En observateur averti du sport sénégalais depuis bientôt quarante ans, Mamadou Koumé donne son avis sur le débat concernant la participation des Lions à la Coupe du monde Russie-2018. Dans cet entretien avec EnQuête, ce Maître de conférences au Cesti et ancien président de l’Association nationale de la presse sportive du Sénégal (Anps) revient sur les conditions de couverture des journalistes sportifs.
Pour sa 2e participation à une phase finale de Coupe du monde, le Sénégal a été éliminé dès la phase de poules. Quelle appréciation vous faites de cette campagne en Russie ?
Il y a, aujourd’hui, un débat légitime sur l’équipe nationale, au lendemain de la participation des Lions à la Coupe du monde. Cette sélection est considérée comme la propriété de tous les Sénégalais. Chacun a une opinion. Concernant les résultats, on peut dire que le bilan est contrasté. Il y a du bon et du moins bon. Après sa première sortie, on pensait que l’équipe pouvait accéder au moins aux huitièmes de finale. Je suis de ceux qui pensent que cela aurait été un très bon résultat. Malheureusement, cela ne s’est pas passé ainsi. Au final, il y a eu une petite amertume, une petite déception. Ce qu’on constate, c’est que contre la Pologne, les joueurs ont su bien défendre. La défense était bonne. Il y a quelques défaillances individuelles mais ça, l’entraîneur n’en est pour rien. Par exemple, le gardien qui n’a pas su répondre à ses attentes. Khadim Ndiaye n’a pas fait un grand tournoi. Mais quand il s’agit d’attaquer, c’est beaucoup plus difficile pour cette équipe. On l’a vu par exemple contre la Colombie quand elle a encaissé le but. Il restait un quart d’heure à jouer et c’était très laborieux. Il y avait aussi beaucoup d’espoir sur Sadio Mané mais le joueur de Liverpool a fait ce qu’il a pu. Il est venu à la compétition très fatigué et émoussé surtout par la longue saison avec son club. La conséquence, il n’a pas pu donner ce qu’on pouvait espérer de lui. Le Mondial est très exigeant en termes d’investissement physique. 3 matches en 9 jours, c’est intense.
Après, il ne faut pas se voiler la face. Dans le football sénégalais, il y a l’âge réel et celui supposé de certains joueurs. Cela aussi est un élément à prendre en compte dans la compétition. La mission d’Aliou Cissé n’était pas de gagner la Coupe du monde. Il avait pour devoir de donner une bonne image du football sénégalais. Il faut être critique mais pas sévère. Ce tournoi n’est pas un échec mais l’équipe pouvait mieux faire.
Qu’est-ce qu’on peut retenir alors de positif qui peut être considéré comme un acquis à consolider ?
Il y a un joueur qu’on ne connaissait pas beaucoup et qui s’est révélé lors de cette compétition. C’est Youssouf Sabaly. Pour moi, c’est le meilleur Sénégalais de la Coupe du monde. L’autre aspect positif, c’est la présence du football sénégalais à ce niveau. C’est un peu paradoxal quand on voit la situation générale de notre football. On n’est pas les meilleurs en Afrique où on n’a rien gagné mais les gens ont su se battre pour mettre en place une sélection nationale et jouer dans la cour des grands. Que le Sénégal soit la meilleure équipe africaine parmi les 5 participantes, c’est des choses positives.
Comment vous jugez la prestation du sélectionneur durant cette compétition ?
Le sélectionneur de l’équipe du Sénégal a des pouvoirs exorbitants. L’un de ces pouvoirs est de désigner les 23 joueurs. L’autre, c’est de mettre en place le onze-type. De dire qu’il y a 3, voire 4 en cas de prolongation, qui vont entrer et les autres ne jouent pas. Ça, c’est un pouvoir. Quand vous avez un président de fédération qui ne s’ingère pas dans votre travail et vous laisse faire, cela accroît vos pouvoirs. Donc c’est autant de prérogatives concentrées entre les mains d’un entraîneur. On peut s’interroger sur cette liste des 23. Regardez l’équipe du Sénégal. Elle a eu beaucoup de balles arrêtées mais n’en a pas fait bon usage parce qu’il n’y avait pas de spécialiste. Sadio Mané, Salif Sané et Mbaye Niang, chargés d’exécuter les coups de pied arrêtés, n’ont pas fait oublier quelqu’un comme Henri Saivet, qui a pris part à la Can 2017.
Un joueur de ce profil a manqué dans cette équipe. Parlant des gardiens, le nôtre a fait une boulette qui nous a coûté la victoire contre le Japon. Le poste de gardien est sérieux. Jusqu’à la veille de la compétition, on ne savait pas qui, entre Khadim Ndiaye et Abdoulaye Diallo, allait être le titulaire. Pour nous qui étions là-bas (Russie), rien n’était sûr, à part quelques journalistes qui avançaient le nom de Khadim Ndiaye. Avant Khadim, Abdoulaye Diallo était le titulaire. On a dit qu’il n’avait pas fait suffisamment de matches, qu’il manquait de rythme. Je ne suis pas sûr que son entraîneur actuel (Tony Sylva, Ndlr) ait eu beaucoup de matches avant la Coupe du monde 2002. A part Diallo, il y a Alfred Gomis qui a joué 26 matches en Serie A italienne (dont 25 titularisations avec Spal 2013, Ndlr). Il a été aligné contre l’Afrique du Sud (2-1, comptant pour la 6e et dernière journée des éliminatoires du Mondial 2018). Il a arrêté un penalty au cours du match. Ce qui est très rare pour nos portiers. Ce que je ne comprends pas, c’est qu’en 5 matches de préparation, pourquoi le coach ne l’a jamais essayé pour voir ce qu’il vaut, alors qu’il l’a aligné dans un match presque décisif. A ce niveau, il y a un véritable problème.
Y a-t-il d’autres choses qui vous interpellent ?
Le coach a sélectionné beaucoup d’attaquants qui ne lui ont pas donné satisfaction : Mame Biram, Moussa Sow qui n’a pas joué, Moussa Konaté, et Diafra Sakho qui a joué un bout de match. Comment on peut prendre à la fois quatre avant-centres qui ne donnent pas satisfaction ? Pourquoi on n’a pas osé appeler un nouveau ? Tout cela fait qu’un sélectionneur au Sénégal a des pouvoirs très larges. Et cela n’a pas commencé avec Cissé. Je suis l’équipe nationale de football depuis plus de trente ans. Quand on interroge un peu l’histoire de cette sélection, on peut noter quelques exemples où l’entraîneur a eu beaucoup de pouvoirs et que la fédération n’a pas su mettre le holà. En 1992, on s’est rendu compte que, sur la liste des 22 sélectionnés pour la Can qui s’est tenue au Sénégal, il y a eu des joueurs âgés, certains qui n’étaient pas au point.
L’entraîneur à l’époque, Claude Le Roy, avait effectué sa sélection et au final, on a presque fait de la figuration parce qu’on s’est arrêté en quarts de finale. Lamine Ndiaye a été coach quand Henryk Kasperczak est parti. Il lui a été assigné comme mission de qualifier l’équipe à la Can 2010. On a joué un match, ici, contre la Gambie où le Sénégal a concédé le nul (1-1). Lors de ce match, l’entraîneur a appelé les héros, entre guillemets, de 2002 qui étaient fatigués, pas dans le coup. Conséquence, le Sénégal est éliminé. Et le dernier exemple, c’est Alain Giresse, en 2015, à Mongomo (Guinée Equatoriale). Il aligne une équipe qui gagne son premier match contre le Ghana et trois jours plus tard, il change carrément le groupe. Le résultat, l’équipe est rentrée alors qu’elle avait pris un bon départ. Il faudrait parfois que la fédération dise non, ce n’est pas comme ça que ça se passe. Il faut que ces gens soient avisés. Quand on prend l’équipe de 2002, il y avait un président ancien footballeur, El Hadji Malick Sy ‘’Souris, qui était intervenu parfois pour dire : c’est ça que je vois. C’est important, on ne peut pas laisser un entraîneur avec des pouvoirs exorbitants. Le sélectionneur, il part. Ce sont les pouvoirs publics qui en paient souvent les conséquences. Claude Le Roy est parti après l’échec de 1992, Lamine Ndiaye et Alain Giresse de même. Il faudrait aussi qu’on recadre un peu les pouvoirs étendus du sélectionneur.
‘’Le football sénégalais a besoin de se structurer’’
Le débat s’est posé sur le sort du coach. Certains pensent qu’il faudrait mettre fin à son contrat. Quel est votre avis sur la question ?
On ne peut pas, aujourd’hui, dire à Aliou Cissé de partir. Il faut qu’il reste et termine son travail. Cela veut dire aller jusqu’à la Can 2019. D’ailleurs, les pouvoirs publics et la fédération sont pour la continuité. Aliou Cissé doit sa nomination à l’opinion publique et à la presse. Celles-ci avaient estimé, à un moment donné, qu’il avait le profil pour prendre en charge l’équipe nationale. Personnellement, je suis pour l’expertise nationale. C’est nous Sénégalais qui allons construire notre pays. Si nous ne pouvons pas sortir un entraîneur national de football parmi nos techniciens, c’est à désespérer. Deschamps entraîne l’équipe française alors qu’il a fait carrière en France. Thierry Henry fait partie des entraîneurs de la Belgique alors qu’il a joué en même temps que Salif Diao, Moussa Ndiaye à l’As Monaco.
Pourquoi ils ne seraient pas eux capables de prendre en mains la sélection nationale ? Je suis aussi pour que les gens s’ouvrent davantage aux entraîneurs locaux. Il y a un travail à faire à ce niveau. Peut-être que c’est la Direction technique qui doit le faire. Il faut que les gens discutent, se parlent. Aliou Cissé a manifesté son intention de continuer le travail, il faut l’encourager dans ce sens. Cependant, attention ! On peut avoir l’ambition de gagner la Can mais rien n’est sûr. C’est très aléatoire. En 2017, le Sénégal avait une équipe considérée comme la meilleure du tournoi. Et l’équipe s’est arrêtée en quarts de finale à l’épreuve des tirs au but. Elle n’a pas su saisir sa chance dans un match qu’elle a dominé. Déclarer que je veux continuer et mon objectif, c’est de gagner la Can ! Non, il ne faut pas tenir ce discours. Ce qu’il faut dire, c’est qu’on va se préparer, essayer d’être prêt et d’aller à la conquête du titre.
Le président de la Fédération sénégalaise de football (FSF), Me Augustin Senghor, a déclaré dans la presse que l’équipe est sur la bonne voie pour un meilleur résultat à la prochaine Can. Partagez-vous ce point de vue ?
Le football sénégalais a besoin de se structurer. J’encourage le président Senghor, qui a encore trois ans de mandat, à faire des progrès dans le domaine de l’administration et de la communication de notre football. Ce sont des domaines importants. L’autre aspect important, c’est que le Sénégal va jouer ici en octobre. On doit mettre les conditions pour jouer en ayant une bonne pelouse. Si on n’a pas joué ici un des 5 matches de préparation du Mondial, c’est en partie à cause du terrain. Nous avons encore trois mois. Il est temps de se pencher sur l’état de la pelouse du stade Léopold Sédar Senghor pour mettre les joueurs dans de bonnes dispositions de jeu. Comme le football va gagner un peu d’argent avec la Coupe du monde, c’est des chantiers sur lesquels la Fédération de football peut investir.
‘’Le problème de cette formation, c’est de créer le jeu, d’attaquer. Elle sait bien défendre’’
Est-ce qu’il ne faudrait pas aussi penser à faire de la place à de jeunes joueurs ?
Absolument ! Il ne faut pas tout chambouler. Quand on voit cette équipe, c’est sûr qu’il y a deux ou trois personnes qui doivent descendre du train et qu’il y a d’autres qui peuvent monter. Le problème de cette formation, c’est de créer le jeu, d’attaquer. Elle sait bien défendre. D’ailleurs, c’est un chef-d’œuvre de défense qu’elle a servi contre la Pologne. Les chantiers dans l’équipe, c’est aussi amener à petites doses quelques joueurs.
Me Senghor a avoué dans un journal l’échec du marketing. Est-ce concevable que la FSF puisse faillir dans la promotion de l’image de l’équipe nationale du Sénégal ?
S’ils n’ont pas réussi, c’est d’abord parce qu’ils n’ont pas de service de communication en place qui s’occupe de ça. Ensuite, il ne faut pas rêver, on est au Sénégal. On est très désorganisés sur ce plan. Les gens iront en Asie copier le maillot et venir le vendre ici. La fédération avait des partenaires. Qu’est-ce que ces derniers ont apporté au football sénégalais ? On aura peut-être des informations à l’heure du bilan.
L’hégémonie du football de l’Europe est aujourd’hui certaine avec la présence de quatre équipes européennes en demi-finales…
Les équipes sud-américaines doivent se dire que le romantisme est fini. C’est l’heure du réalisme. L’équipe du Brésil était incomplète. Elle avait une bonne défense et de bons attaquants mais n’avait pas de bons milieux de terrain capables de faire la transition entre la défense et l’attaque. L’Argentine n’a pas de défense, avec un gardien médiocre qu’ils ont dû changer. Prendre quatre buts contre la France, cela veut dire que les gens n’ont pas mis l’accent sur l’aspect défensif. L’Uruguay reposait sur un duo (Cavani - Suarez). Quand l’un est absent, c’est comme on dit : quand un être vous manque, tout est dépeuplé. Le Pérou revenait à la compétition après 36 ans d’absence. J’ai rencontré à Ekaterinbourg un jeune Péruvien qui m’a dit : ‘’J’ai l’âge de l’absence de mon pays à la Coupe du monde’. Pour la Colombie, toute l’équipe tournait autour d’un joueur, James Rodriguez. Malheureusement, avec sa blessure, ils n’ont pas pu aller loin. C’est sûr, il y a l’ascendance européenne sur le football mondial. J’espère qu’ils vont se réveiller. Il faut noter le progrès des Asiatiques. Le Japon est allé au second tour. La Corée du Sud a créé la sensation en éliminant l’Allemagne. Pour un match qui ne comptait que pour du beurre, les Coréens ont joué le jeu malgré leur élimination. Même l’Iran a réalisé un tournoi remarquable. Le Portugal l’a échappé belle.
On a l’impression que tout le monde avance, sauf l’Afrique…
L’Afrique noire n’avance pas. Le Nigeria avait une équipe très jeune. C’est peut-être un choix des dirigeants du football nigérian. Chez nous, il y avait aussi beaucoup de binationaux. Ils sont 10 sur 23 joueurs, c’est important. L’autre chose, c’est qu’une compétition comme celle-là exige beaucoup d’investissement physique. Ces binationaux jouent avec leur âge réel. C’est pour ceux qui sont nés ici qu’on parle d’âge supposé. Il faut régler ce problème. On ne peut pas continuer à le contourner. Beaucoup de gens pensaient qu’avec la biométrie, on allait y arriver mais ils trouvent toujours des parades, des complices aussi. C’est l’une des faiblesses de notre sport. Le seul moyen d’y mettre fin est que nos fédérations, nos structures sportives soient bien organisées. Que ceux qui veulent jouer au football aient une licence très tôt et qu’ils soient fichés systématiquement. Quand on introduit le joueur dans la biométrie à l’âge de 7 ans, à partir de ce moment, les gens ne pourront pas apporter des changements. Sinon je n’ai pas beaucoup d’espoir.
Comment s’est passée la couverture médiatique pour la presse sportive sénégalaise en Russie ?
Les conditions de travail étaient difficiles dans la mesure où la FSF n’a consenti aux journalistes que le temps réglementaire édicté par la Fifa. C’est-à-dire les quinze minutes. Les journalistes n’ont pas eu accès aux Lions. C’est seuls ceux qui avaient des contacts personnels avec des joueurs qui ont pu faire d’autres papiers. Les entreprises de presse ont également des efforts à faire pour mettre leurs reporters dans de meilleures conditions. Il faut saluer le rôle de l’Association nationale de la presse sportive (Anps) qui a répondu présent et pallié certaines défaillances des organes de presse. Les pouvoirs publics aussi ont apporté leur soutien, sans lequel cela aurait été encore plus difficile de couvrir la Coupe du monde. C’est le lieu de les remercier. Il y avait, sur place, près d’une soixantaine de journalistes et techniciens. Pour l’équipe du Sénégal, c’est une première d’avoir autant d’envoyés spéciaux dans une compétition.