En plus d’imposer une concurrence déloyale aux entreprises et de faire perdre des recettes à l’Etat, le commerce illicite nourrit presque toutes les formes de trafic et de violence. Administrations, forces de l’ordre et secteur privé de la sous-région se sont retrouvés pendant deux jours (26 et 27 juin) à Dakar, sur initiative de la Cnes, pour dégager des pistes de solution.
Le commerce illicite fait perdre à l’Afrique 50 milliards de dollars par an. Cette activité est une menace à la fois pour le secteur privé et pour l’Etat. C’est pour cette raison que la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (Cnes) a organisé un panel de deux jours, les 26 et 27 juin, pour se pencher sur la question et dégager des pistes de solution. Le commerce illicite est une menace pour le privé, en ce sens qu’il impose une concurrence déloyale à la fois aux industriels et aux commerçants. En fait, que ce soit les produits fabriqués ou importés, ils ont tous fait l’objet de taxation. Le prix de vente prend donc en compte l’ensemble des charges supportées par le producteur ou l’importateur. Or, le bien issu du commerce illicite n’a pas été imposé. Par conséquent, le prix est moins élevé. Ce qui fait que l’opérateur économique en règle a du mal à écouler son produit.
Au cours d’un panel, mardi dernier, Dr Assane Diop, Président du Syndicat des pharmaciens privés du Sénégal, a donné l’exemple d’officines qui ont fermé boutique dans certains endroits de Dakar, notamment à Keur Serigne-bi, mais aussi à Diourbel, parce que les médicaments sont vendus moins cher dans la rue que dans les pharmacies.
Ainsi donc, le commerce illicite peut contraindre des opérateurs économiques formels à fermer boutique. Ce qui se traduit aussi par le chômage auprès de la population. Le mal est d’autant plus répandu qu’on estime qu’en fonction des secteurs, 30 à 80 % des produits vendus dans la zone Cedeao sont issus du commerce illicite. Si les produits textiles viennent majoritairement de la Chine, l’Inde est plutôt le spécialiste du cosmétique et le Brésil des biens agroalimentaires.
A l’image du secteur privé, l’Etat aussi est affecté en termes de rentrées financières. En effet, étant donné que les recettes douanières ont une part importante dans les budgets de certains pays comme le Sénégal, tout contournement du circuit officiel se traduit par un manque à gagner dans les caisses du pays. De ce fait, les Etats ont moins de moyens pour dérouler des programmes de développement dans les différents secteurs. Il s’y ajoute que certains produits du commerce illicite touchent directement la santé publique. C’est le cas, notamment, des médicaments, du tabac et des jouets. La qualité douteuse de ces produits fait qu’ils peuvent être une menace sanitaire pour les consommateurs.
42 % des médicaments issus du trafic illicite vendus en Afrique
Selon le Français Bruno Delaye, Président de Entreprise et diplomatie, 42 % des médicaments issus du trafic illicite sont vendus dans le continent. Il en est de même du tabac. ‘’Plusieurs centaines de containeurs de tabac sont déposés chaque année en Afrique’’, ajoute-t-il. Rien que la Libye a importé 9,2 milliards de cigarettes en 2015. Une quantité qui dépasse largement sa consommation et qui est destinée à alimenter un trafic. D’après le général Marc Foucaud, Commandant de l’opération Serval au Mali, 16 milliards de cigarettes ont été vendues dans la zone Cedeao, en 2014. Ce qui a généré un profit d’un milliard d’euros environ. Sans compter l’argent issu du trafic de drogue, des armes. Bref, il s’agit d’une manne importante qui est en jeu.
Pour le cas du Sénégal, par exemple, rappelle Mor Talla Kane de la Confédération nationale des entreprises du Sénégal (Cnes), l’Etat est en train de prendre des mesures pour rendre la cigarette moins accessible, notamment aux jeunes. ‘’Si, à côté, il y a un commerce illicite qui permet d’accéder facilement au produit, ça anéanti tous les efforts consentis’’, souligne-t-il. Il est à noter que le commerce illicite n’est pas uniquement le fait des acteurs du marché noir. Des commerçants, importateurs et exportateurs dûment identifiés, abusent des fausses déclarations pour introduire des produits de manière illégale sur des marchés. Le transit est, par exemple, une aubaine à tous ceux qui veulent se livrer à la fraude.
En outre, le commerce illicite serait sans doute d’un moindre mal, s’il se limitait à des aspects économiques et sanitaires. Mais l’activité a un versant sécuritaire plus dangereux. ‘’Derrière les chiffres, il y a les menaces, les violences multiformes qui ralentissent le développement des Etats’’, indique l’ancien ambassadeur malien Boubacar Diarra.
En fait, rappellent les panélistes, presque l’ensemble des activités criminelles sont liées au commerce illicite. Le trafic de drogue et celui des armes, par exemple, utilisent ce créneau pour se développer en Afrique de l’Ouest. Les ports et aéroports des pays de la partie ouest du continent sont les portes d’entrée à la fois de la drogue et des armes, sans compter les frontières qui sont d’une porosité extrême. Ainsi, d’après l’ambassadeur Diarra, entre 4 et 8 millions d’armes de petits calibres sont en circulation dans la zone ouest-africaine. Elles ont alimenté 22 conflits et ont fait 5 millions de morts.
‘’On ne peut pas légiférer individuellement et lutter contre le commerce illicite’’
Et pourtant, les dégâts risquent d’être encore plus importants, du fait des interconnections. ‘’Le trafic d’armes et le trafic de drogue se conjuguent pour financer le terrorisme’’, s’inquiète M. Diarra. Il en est de même du blanchiment d’argent, de la piraterie. En fait, pour traverser les frontières, les trafiquants d’armes et de drogue et autres artistes du blanchiment des capitaux sont obligés de coopérer avec les terroristes. Les groupes extrémistes ont besoin de beaucoup d’argent, en ce sens qu’il leur faut des armes lourdes, des équipements modernes, des moyens de communication de haute technologie, des véhicules d’une qualité rare pouvant aller jusqu’à 180 km/h sur un relief hostile, sans compter les salaires des soldats. Du coup, souligne le général Marc Faucoud, ce sont les terroristes eux-mêmes qui deviennent parfois des soldats le matin et des trafiquants la nuit ou vice-versa. D’après Dr Ibrahima Sall, Directeur exécutif de Trust Africa, 65 % des flux financiers illicites viennent du commerce hors-la-loi.
Autant de menaces donc liées à ce trafic et qui font qu’il urge de trouver des solutions. Durant toute la journée du 26 juin, les intervenants ont beaucoup insisté sur la nécessité d’avoir une approche globale, sous-régionale. ‘’On ne peut pas légiférer individuellement et lutter contre le commerce illicite’’, ont répété plusieurs orateurs. L’une des solutions, selon le colonel Mamadou Diamé de la douane sénégalaise, c’est le partage d’informations. En fait, l’absence ou la faible coopération entre la douane, le secteur privé et les autres administrations est largement exploitée par les contrevenants pour passer entre les mailles du filet. D’où la nécessité de se parler.