Réagissant à la grève de la faim des détenus de Thiès accusés du double meurtre de Bara Sow et Ababacar Diagne, le ministre de la Justice a fait preuve d’un manque de maîtrise caractérisé du dossier.
«Le dossier est en phase d’être bouclé et la durée de l’instruction se comprend parce que c’est une affaire de crime de sang. On ne peut pas juger dans la précipitation. C’est cela qui fait que l’instruction a pris du temps (…)», a déclaré Ismaïla Madior FALL, hier soir, sur les ondes de la Rfm. Il ignore que le dossier est déjà bouclé par le juge d’instruction depuis 2013. Mieux, tous les accusés sont renvoyés en jugement devant la Chambre criminelle (ex-Cour d’assises), y compris Cheikh Béthio THIOUNE. Erreur impardonnable de la part d’un ministre de la Justice qui, par essence, est censé être informé de la situation de tous les dossiers judiciaires en instance. Cela en raison de sa tutelle sur le parquet. Et de surcroit, un homme du domaine, spécialiste de la chose judiciaire et juridique doublé de professeur de droit. A-t-il été abusé par ses collaborateurs où par ses conseillers ? Mystère et boule de gomme !
Cette réaction laconique du garde des Sceaux exacerbe la situation. Celle-ci n’est pas pour plaire aux concernés qui durcissent le ton et dont la grogne n’a qu’un seul mobile : la longue détention sans procès. Cela fait 6 ans que ce dossier dort dans les tiroirs de la Justice. Les accusés sont placés sous mandat de dépôt depuis le 26 avril 2012, pour «homicide avec actes de barbarie, recel de cadavres, non dénonciation de crimes, association de malfaiteurs, détention d’armes à feu sans autorisation administrative, infraction aux lois sur les inhumations».
Entre temps, leur guide, Cheikh Béthio Thioune, est remis en liberté pour des «raisons médicales» et aussi en raison de la reconstitution des faits qui amoindrit sa responsabilité dans les faits incriminés. De même que l’expertise ayant attesté que le sang trouvé sur son véhicule émane d’un animal et non des personnes tuées. Paradoxalement, ses chauffeurs sont toujours derrière les barreaux. La perspective d’un retour du Cheikh à la case prison ne fait l’ombre d’aucun doute, en vertu de l’article 206 du Code de procédure pénale. Lequel dispose, en substance, qu’on ne comparait pas libre devant la Chambre criminelle (ex-Cour d’assises). Faire retourner le Cheikh en cette période préélectorale pourrait être fatal au régime avec qui il est en odeur de sainteté.
Mais il y a plus grave encore : l’annonce d’un jugement faite depuis 2015 par l’ancien ministre de la Justice, Sidiki Kaba, n’a pas été suivie d’effets. «Ils seront tous jugés le plus rapidement. Les dossiers sont actuellement ficelés. Le temps judiciaire appartient aux magistrats (…)», avait déclaré l’ex-Garde des sceaux il y a 3 ans. Malgré cette promesse, le dossier ne bouge pas.
Toutes leurs demandes de remise en liberté sont systématiquement rejetées. Motif allégué : la «gravité des faits», le «risque de trouble à l’ordre public» et celui de «subornation de témoins». Tous leurs camarades initialement arrêtés dans le cadre de cette procédure sont libérés, certains pour «vice de forme» d’autres par le biais de la liberté provisoire. Mais les 16 restent toujours en taule. Le drame social qui en résulte en dit long sur leur calvaire. Des familles se sont disloquées. Certains d’entre eux ont vu leurs femmes quitter le ménage, s’arrachant de droit le divorce, comme les y autorisent le Code de la famille. L’un d’entre eux n’a pas eu l’occasion d’assister aux funérailles de son pater décédé. L’autre qui a récemment perdu sa mère se trouve dans la même galère.
Sur le plan judicaire, plus rien ne justifie une telle situation. L’instruction est terminée, contrairement aux allégations le patron de la Chancellerie. Les accusés renvoyés en jugement. Aussi étonnant que cela puisse paraître, plusieurs sessions de la Chambre criminelle (ex-Cour d’assises) impliquant des cas plus récents se sont tenues sans que le dossier en question ne soit enrôlé.
On peut, cependant, opposer à ces Cantakuun grévistes de la faim le fait que d’autres détenus purgent une détention provisoire plus longue la sienne, dans différentes prisons du Sénégal. Ils endurent leur calvaire en silence, attendant toujours un procès dont la date reste incertaine.