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Felwine Sarr – Bénédicte Savoy - ‘’Tout ce qui a été acquis en dehors du plein consentement peut être sujet à restituer’’
Publié le mercredi 27 juin 2018  |  Enquête Plus
Felwine
© Autre presse par DR
Felwine Sarr et Bénédicte Savoy
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L’un est économiste et l’autre est historienne de l’art. Lui est sénégalais et elle est française. Felwine Sarr et Bénédicte Savoy forment le duo choisi par le président français, Emmanuel Macron, pour travailler sur les conditions de restitution du patrimoine africain présent dans les collections nationales françaises. Ils étaient tous les deux à Dakar, il y a quelques jours, pour échanger avec des professionnels et experts du patrimoine autour de ce projet. A mi-parcours de leur mission, ils ont présenté sommairement ce qu’ils ont eu à faire jusque-là et ce qu’il reste à faire. Le tandem donne également son avis sur différentes conditions exigées par des pays africains, dans le cadre de cette restitution.



En quoi consiste cette restitution dont on parle tant en Afrique ?

Felwine Sarr : Lors de son discours du 28 novembre 2017 à Ouagadougou, le président français Emmanuel Macron annonçait sa volonté de procéder à des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain présent dans les collections nationales françaises et que les conditions devraient être réunies d’ici 5 ans. Le 19 mars 2018, il nous confiait, à Bénédicte Savoy et à moi, la mission de réfléchir aux conditions et modalités de restitution et de lui rendre un rapport comprenant des propositions concrètes en novembre 2018. Dans le préambule de la lettre de mission qui fixe le cadre de notre travail, le président français parle de sa volonté de ‘’lancer une action déterminée en faveur de la circulation des œuvres et du partage des connaissances collectives des contextes dans lesquelles ces œuvres ont été créées, prises, pillées, sauvées ou détruites.

Cette circulation pourra prendre différentes formes jusqu’à des modifications pérennes, des inventaires nationaux français et des restitutions’’. La demande de restitution du patrimoine africain qui est présent dans les collections françaises et européennes, est ancienne. En 1978 déjà, Amadou Makhtar Mbow, Secrétaire général de l’Unesco, lançait un appel à la restitution des œuvres du patrimoine africain. Plusieurs pays africains, notamment l’Ethiopie, le Bénin et le Nigeria, réclament le retour de leurs objets de leurs patrimoines subtilisés lors de missions coloniales ou acquises dans des conditions douteuses sur divers marchés. Sont concernés des trônes royaux, des masques, des manuscrits, etc. Le Bénin avait déjà formulé plusieurs demandes de restitution, mais il leur était opposé des fins de non-recevoir. C’est aussi dans ce contexte qu’il faut apprécier la décision d’Emmanuel Macron de restituer. Cela constitue un pas historique.

Quelle est la démarche que vous adoptez pour faire le travail demandé ?

Felwine Sarr : La démarche que Bénédicte et moi avons adoptée, c’est de constituer un premier cercle de conservateurs, de directeurs de musée, de juristes, d’historiens de l’art, de galeristes et tous ceux qui peuvent contribuer à la réflexion. C’est ce qui nous avait d’ailleurs réunis à Dakar en juin. Il nous semblait important de le faire sur le continent africain. L’une des premières questions que pose cette mission est de déterminer les objets concernés et leur provenance. Aussi, il s’est agi, pour nous, de procéder à un inventaire et à une cartographie afin d’en connaître la nature, la quantité, le lieu de provenance aux fins de pouvoir déterminer les critères de substitution.

Nous avons commencé ce travail et nous avons bien avancé. Les questions soulevées par la restitution ou les restitutions sont nombreuses et sont d’ordre symbolique, technique, philosophique, juridique et politique. Elles engagent une réflexion sur le patrimoine et sa fonction, l’histoire et le passé colonial, la circulation des œuvres d’art, la muséographie, la nature et la qualité des relations entre les peuples et les nations. A ces questions s’ajoute, pour les Africains, celle de la réception de ces œuvres absentes, pour certaines, depuis un siècle et demi. Le débat tourne sur la capacité d’accueil des musées du continent africain. La question de la conservation est certes importante, mais elle n’est pas la seule. La question de la resocialisation des objets du patrimoine nous semble aussi impérieuse que celle des conditions techniques d’accueil des œuvres. Comment réinscrire ces objets dans un univers de sens et les mettre en dialogue avec les sociétés africaines ?

Bénédicte Savoy : Notre mission a commencé au début du mois de mars 2018. Ce jour, nous étions au musée du Quai Branly, à Paris. Nous sommes au milieu du mois de juin, nous sommes à peu près à la mi-temps de notre parcours. Nous devons rendre un rapport au mois de novembre. Depuis le mois de mars, nous avons réuni, comme l’a dit Felwine, un cercle de ‘’Critacals Friends’’ pour poser les grandes questions. Notre seconde priorité immédiate a été d’entrer en contact avec les acteurs professionnels, le patrimoine non seulement en France, mais aussi et surtout sur le continent africain. Notre premier voyage nous a menés au Bénin. Il a été suivi d’une rencontre à Paris avec les conservateurs du musée Quai Branly et le personnel du musée.

Puis nous sommes venus à Dakar pour dialoguer avec Malick Ndiaye (Ndlr : conservateur du musée Théodore Monod de l’Institut fondamental d’Afrique noire) et Hamady Bocoum du Musée des civilisations noires. Lors de ces voyages, nous tentons toujours de rencontrer les professionnels, les experts de ces questions. Nous avons été, la semaine dernière, à Bamako, à la rencontre de nos collègues du Musée national du Mali notamment. Nous envisageons une rencontre du même genre en juillet à la rencontre des experts camerounais. Puis au mois de juillet, nous réunirons pour la première fois les directeurs des musées régionaux de Nanterre, du Havre et d’Angoulême qui possèdent aussi des collections africaines, pour partager avec eux ce projet. Parallèlement, nous avons mené des ateliers dont celui à Dakar avec les questions soulevées par Felwine. En fin juin, nous avons un atelier à Paris avec deux juristes. Par ailleurs, nous serons reçus à l’Assemblée nationale pour une audition par le groupe des parlementaires qui s’occupe du patrimoine en début juillet.

Entre ces voyages et ces rencontres, la question qui nous a principalement occupés est celle de l’inventaire, c’est-à-dire la qualité et la quantité de pièces d’origine. A ce jour, on sait que 5 142 pièces du Sénégal sont présentes au musée Quai Branly. Dans ce grand nombre, sont comprises aussi des photographies ethnographiques. Si on retranche les photographies, pour le cas du Sénégal, on se retrouverait avec à peu près 3 000 objets. Le record est détenu par le Cameroun avec 15 169 objets dont il faut retrancher le matériel iconographique.

Quels sont, aujourd’hui, les objets concernés ? Ceux qui sont volés, pillés ou prêtés en font-ils partie ?

Felwine Sarr : Notre première mission était de faire un inventaire pour savoir quels sont les objets qui sont concernés dans les collections nationales françaises, d’une part. Aussi, nous allions faire l’histoire des collections, donc savoir comment ces objets sont arrivés. Bien évidemment, l’idée de la restitution est adossée à celle de devoir rendre à son propriétaire légitime un bien que nous avons obtenu de manière indue. Les objets arrivés dans les collections françaises par spoliation ou pillage et que c’est arrivé, on a des exemples avec le général Alfred Dods qui, en 1892, met à sac le palais d’Abomey en emportant des objets qu’il a offerts au musée. Ces objets issus d’un pillage clair et net, avéré sont des objets qui doivent être restituables, d’une part. Il y a des objets qui sont arrivés dans des collections françaises à travers le marché de l’art.

Là aussi, dans le marché de l’art, il y a plusieurs strates. Certains sont issus d’une vente qu’on va dire normal et d’autres viennent de trafics illicites. On a un atelier juridique le 26 (Ndlr : aujourd’hui) qui doit régler ces questions de manière plus précise. Mais il est bien évident que la manière dont les objets ont été acquis est un critère fondamental pour voir s’ils doivent être restitués ou pas. Il y a des objets qui sont arrivés à travers des collections ethnographiques comme ‘’Mission Dakar-Djibouti’’ de Marcel Griaule (Ndlr : célèbre expédition ethnographique et linguistique menée pour compléter les collections du Musée d'ethnographie du Trocadéro afin de créer une vitrine savante de la colonisation entre 1931 et 1933). Ceux qui ont lu ‘’L’Afrique Fantôme’’ (Ndlr : livre édité chez Gallimard et paru pour la première fois en 1934) de Michel Leiris ont vu dans quelles conditions ces collections qu’Hamady Bocoum appelle ‘’Les collections de la ruse’’ sont arrivées par asymétrie épistémologique où certains savaient la valeur que certains de ces objets avaient pour les Noirs. Dans ce jeu de savoir asymétrique, ces critères-là, même si ces objets n’ont pas été pillés ou spoliés, peuvent permettre de dire que ces objets ont été acquis dans des conditions de dissymétrie ou d’asymétrie qui justifieraient qu’on les rende. Tout ce qui a été acquis en dehors du plein consentement, de la symétrie, peut être sujet à restituer.

Bénédicte Savoy : Ces critères de ‘’restituabilité’’ font partie des choses qu’on va fixer plus tard. Le moment où les œuvres sont arrivées y jouera sûrement un rôle. C’est-à-dire qu’il y a une période historique, disons entre le milieu du XIXe siècle et les années 1950, ce sont les années rouges de l’histoire des collections. Là, on sait que les choses se sont passées de manière moins consentie que peut-être après les indépendances. Une autre question, il y a d’un côté les pillages et avec le même mot, mais avec une tout autre signification, les pillages archéologiques ou de trafic illicite d’œuvres sorties du territoire après les indépendances, dans ces cas-là, d’un autre côté. Il faut donc qu’on fasse bien attention à notre terminologie. On travaille à ces critères qui ne sont pas encore complètement fixés. C’est un travail de dentelle. C’est un travail très fin. On n’y va pas à la louche. Il est important de le savoir. C’est ce qui rend notre mission à la fois importante et difficile.

Certains se demandent à quoi va servir à l’Afrique, aux Africains ces objets qui leur seront peut-être restitués ?

Felwine Sarr : Cela leur permettrait de se reconnecter à leur histoire, la mémoire, ré-envisager un élan vers l’avenir, en se réappropriant tous les éléments de son histoire et soigner un certain nombre de problématiques que je dirais relationnelles. Si on a envie de transmettre notre histoire à nos enfants, on pourra le faire, puisque des objets témoins de notre histoire seront là. Les gens ne seront donc pas obligés de se rendre à Paris, au Quai Branly pour voir le trône du roi Béhanzin, par exemple. Les peuples Dogon ont des objets absolument importants pour des rituels qui sont au Quai Branly. La cérémonie du ‘’Sigui’’ se fait tous les 60 ans dans l’espace ‘’Dogon’’ et on doit y montrer un serpent de terre de 11 mètres pour se rappeler du moment où les hommes ont eu accès à la parole. La cérémonie aura lieu bientôt en 2028 et le serpent de terre est au musée Quai Branly, pour vous donner un exemple.

Bénédicte Savoy : Il n’y a pas une réponse à cette question-là. Il y aura différentes réponses parce que cela va apporter au peuple africain différentes choses selon la nature des objets. Ce que cela apporte d’abord, c’est la connaissance de soi-même. La connaissance de l’artisanat, par exemple s’il s’agit d’objets sculptés, peut permettre la connaissance d’anciens cultes qui ont peut-être disparus et qui sont peut-être très importants et ont donné à des générations d’avant beaucoup d’énergie ; la connaissance de technologies oubliées. Donc, une meilleure connaissance de soi d’abord et puis la possibilité de décider soi-même ce que l’on veut faire avec ces objets. D’une certaine manière, les pays africains reprennent la parole sur leur propre patrimoine. Cela est très important. On ne peut pas dire dès aujourd’hui ce que cela va faire, mais il est sûr que ça fera quelque chose. Ce n’est pas à moi de vous dire ce que cela va faire. Ce qui est important, c’est de donner les conditions pour qu’il se passe quelque chose. Ce quelque chose, quand il est lié à la culture et que cette culture est importante, il faut qu’on la protège. Les choses se passent en général plutôt bien dans ces cas-là.

Certains sont pour une restitution totale, d’autres plaident pour une restitution partielle. A votre avis, quelle est la meilleure formule ?

Felwine Sarr : Je ne pense pas qu’on restitue tous les objets. Je pense qu’il serait même bien que des objets restent là-bas pour témoigner de notre présence culturelle. L’idée n’est pas que chacun reparte avec ses objets et restent chez lui. Il faudrait tout de même que ceux qui doivent rester là-bas fassent l’objet d’un consentement. Je pense que les objets qui ont une charge symbolique la plus forte et que les chefferies réclament, ceux-là doivent revenir. Le reste peut être l’espace de circulation, les musées peuvent se les prêter. On pourrait ainsi être dans une vision où les objets circulent, dans un patrimoine ouvert, global. Ce serait bien que nous voyons les objets des autres et qu’eux aussi voient les nôtres. Il faut juste que cela relève d’une forme de choix autonome.

Bénédicte Savoy : Je pense qu’il faut négocier avec ceux qui veulent récupérer. Notre expérience, lors de l’atelier de Dakar dans les différents débats qu’on a eus, on a eu des interlocuteurs tous très raisonnables. On est des gens raisonnables. Les collègues africains avec lesquels on a travaillé sont tous des personnes extrêmement responsables. On verra où ça nous mène. On verra bien. Ce n’est pas à ce moment de notre mission qu’on dira si ce sera tout ou beaucoup. On est dans le dialogue et cela doit se décider ensemble.

Des pays africains parlent également, aujourd’hui, des archives audiovisuelles du continent détenues par la France. Vous travaillez sur la question ?

Bénédicte Savoy : Vous parlez des archives audiovisuelles, mais il y a aussi toutes les archives papier qui permettent de reconstruire non seulement l’histoire de ces objets, mais plus généralement celle de plusieurs pays africains. Toutes ces questions-là sont liées comme dans un grand engrenage. Il est difficile de les séparer des œuvres d’art. Mais il se trouve que dans le cadre de notre mission, on travaille sur les collections qui sont dans les musées. Mais vous avez raison, la question de l’accès à l’image, aux archives phonographiques également sont extrêmement importantes et sont liées. Même si elles ne sont pas au cœur de notre mission, on les évoquera dans le rapport.

Qu’en est-il des collections privées, parce que des ministres africains de la Culture s’attendent à ce que le patrimoine détenu par des tiers soit restitués aux pays concernés ?

Bénédicte Savoy : Vous avez raison, cette question a été évoquée à l’Unesco, lors d’une réunion qui était très importante, puisque plusieurs Etats africains ont été représentés par leurs ministres de la Culture, présidents de la République, ministres des affaires étrangères, ont eu une parole très forte. A l’Unesco, il a été un peu question des collections privées. Mais, pour le moment, le débat porte principalement sur les collections publiques nationales. C’est déjà un vaste chantier pour 6 mois et 2 personnes. Les collections privées sont des propriétés privées sur lesquelles évidemment, du moins à ma connaissance, le président n’a pas de prise.

Avez-vous pensé à un processus de restitution ?

Bénédicte Savoy : On a beaucoup pensé à une question. Après des décennies et des décennies d’immobilisme en France et même d’arrogance, c’est-à-dire de fins de non-recevoir aux demandes de restitution, là les choses ont bougé. Tout d’un coup, un jeune président français se réveille un matin et décide de proposer la restitution. Cela ne veut pas dire que tout le monde est prêt tout de suite à recevoir les objets. Il faut donc une souplesse et que chacun puisse y aller à son rythme, même si nous avons l’espoir que ce dernier ne va pas encore durer des décennies. Il ne faut pas brusquer les pays concernés. C’est pour cela que des journées de dialogue, comme celle menée à Dakar, sont extrêmement importantes, parce que cela permet de comprendre que certains Etats comme le Bénin ou le Nigeria sont très avancés dans ce projet, parce qu’ils avaient commencé bien avant Macron. D’autres sont un peu surpris de ce qui leur arrive. Il ne faut pas que ce geste nouveau et historique amène de nouvelles violences avec le sentiment pour les uns d’être dépossédés trop vite et pour les autres de recevoir des choses auxquelles ils n’avaient même pas pensé pendant des siècles.

BIGUE BOB
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