Il y a cinquante ans, le 10 juin 1968, disparaissait à Dakar Maître Lamine Guèye, le premier président de l’Assemblée nationale du Sénégal indépendant. Il avait 76 ans.
Le 11 juin 1968, lors de ses funérailles, le président Léopold Sédar Senghor saluait la mémoire de cet avocat qui, selon lui, "rassemblait en sa personne tous les dons : intelligence, l’aisance et la générosité, la culture et l’éloquence".
Né le 20 septembre 1891 à Médine (ex-Soudan français, actuel Mali), Lamine Guèye entre à l’école coranique à l’âge de six ans. Son père, Birahim Guèye, un riche négociant, l’inscrit à l’école des frères de Ploermel, devenue Brière-de-Lisle. Il avait alors douze ans. Après une année à l’Ecole supérieure commerciale (dite Fsidherbe), Lamine Guèye obtient en 1907 son brevet élémentaire. Nommé instituteur, il sert dans de nombreuses écoles du Sénégal.
En 1918, lors d’un passage à Paris, Lamine Guèye passe avec succès les épreuves du baccalauréat et, deux and plus tard, il obtient, toujours dans la capitale française, une licence en droit. De retour au Sénégal, Lamine Guèye enseigne les mathématiques à l’Ecole normale William-Ponty.
Parmi ses élèves, il y avait Félix Houphouët-Boigny, le premier président de Côte d’Ivoire (1960-1993). Puis, Lamine Guèye quitte l’enseignement pour s’inscrire comme avocat-défenseur près la cour d’appel de l’Afrique occidentale française (AOF), à la faculté de droit de Paris. En décembre 1921, il soutient avec la mention "Très bien" une thèse intitulée : "De la situation politique des Sénégalais originaires des quatre communes de plein exercice".
Lamine Guèye entame sa carrière politique en 1923 en s’inscrivant à la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO). Objectifs déclarés : "(...) Faire disparaître l’indigénat, supprimer le statut du sujet français, abolir l’odieuse inégalité entre mes compatriotes". Maire de Saint-Louis en 1925, il démissionne le 2 avril 1927 et crée, sept ans plus tard, le Parti socialiste sénégalais, qui sera battu aux élections législatives de 1934.
Ayant fait de l’amélioration de la condition de ses compatriotes son cheval de bataille, le député Lamine Guèye obtient, le 13 avril 1945, la modification du décret qui refusait le droit de vote aux femmes sénégalaises, citoyennes françaises. Ainsi, son nom est attaché à deux lois qui ont fait disparaître l’inégalité non seulement au Sénégal, mais dans toute l’Afrique noire francophone : la première, votée le 7 mai 1946, reconnaît la qualité de citoyen à l’ensemble des ressortissants des territoires d’Outre-mer, tandis que la seconde, dénommée "loi du 30 juin 1950", proclame l’égalité de traitements et d’avantages de toutes natures à tous les fonctionnaires civils et militaires servant Outre-mer.
Avocat infatigable de sa race, Maître Lamine Guèye défend en 1947 les parlementaires malgaches, après leur rébellion contre l’ordre colonial. Ses intenses activités politiques l’amènent à cumuler plusieurs postes : président du Conseil général du Sénégal, sous-secrétaire d’Etat à la présidence, dans le cabinet de Léon Blum, et sénateur du groupe PAR, le Parti du regroupement africain.
Maire de Dakar pendant 16 ans (1945-1961), Lamine Guèye est nommé délégué de la France au Conseil économique et social des Nations unies (1952-1957). C’est aussi, à ce poste de maire, qu’il s’est illustré en octroyant des bourses d’études en France à de nombreux Sénégalais. De décembre 1960 à mars 1968, il est réélu quatre fois président de l’Assemblée nationale du Sénégal.
Durant la crise de décembre 1962, il se range aux côtés du président Léopold Sédar Senghor. Et c’est à son domicile que s’est déroulée la session des députés ayant abouti à la destitution de Mamadou Dia de la présidence du Conseil. Le 10 juin 1968, Lamine Guèye s’éteint des suites d’une longue maladie.
ADC/ESF