Les travailleurs de la santé et de l’action sociale affiliés à l’alliance And Gueusseum déroulent, depuis mardi, leurs 6e et 7e plans d’action pour pousser l’État à matérialiser les accords signés en 2014. Dans les hôpitaux, centres et postes de santé, seuls les urgences et le service minimum sont épargnés par cette grève cyclique dont les malades continuent à payer les pots cassés.
Des hôpitaux, des centres et postes de santé déserts. Des malades à la recherche d’un personnel de santé introuvable. Du centre hospitalier régional de Thiès au poste de santé de Mbour 1, en passant par le centre de santé du Dixième, le constat est le même : le personnel soignant est absent, excepté ceux qui s’occupent des urgences et du service minimum. La grève des travailleurs du Syndicat unique des travailleurs de la santé et de l’action sociale (Sutsas) affiliés à l’alliance And Gueusseum, dirigée par Mballo Dia Thiam, est passée par-là avec son lot de conséquences.
Des malades qui cherchent désespérément leurs infirmiers, gynécologues, ophtalmologues et sages-femmes… sont complètement laissés à eux-mêmes. ‘’J’avais emmené mon fils qui a mal à la dent en consultation. Je suis venu très tôt pour avoir une meilleure place, parce que je devais juste après rejoindre mon lieu de travail. Mais c’est un déplacement vain. Une fois sur place, on m’a fait savoir qu’une grande partie du personnel est en grève. Un de mes interlocuteurs m’a juste demandé de revenir le vendredi. Est-ce qu’on a besoin de revenir 48 heures après pour se faire soigner ? Pendant ce temps, est-ce que la douleur que ressent mon fils va diminuer ?’’, s’interroge sans cesse et sur un ton sec Ibrahima Sylla.
Croisé devant le grand portail du centre hospitalier régional El Hadj Ahmadou Sakhir Ndiéguène de Thiès à 8 h 17 mn, ce père de famille tempête et demande aux deux parties de renouer le fil du dialogue pour trouver une solution consensuelle allant dans le sens d’alléger la souffrance des patients. ‘’Cela ne peut et ne doit perdurer. L’État et les grévistes doivent privilégier le dialogue et essayer, ensemble, de trouver des solutions. Dans ce combat, ce sont les malades qui paient les pots cassés avec la grève qui n’a que trop duré. Comme le personnel soignant est absent, je suis obligé d’emmener mon fils dans une structure privée. Ma famille se soigne ici. Encore une fois, l’État et les travailleurs doivent accepter de dialoguer’’, martèle M. Sylla, jetant parfois un regard inquiet sur son garçon. Visiblement très en colère, il regrette d’avoir fait un déplacement ‘’inutile’’ à l’hôpital régional.
Des Asp à la rescousse
D’une structure de santé à une autre, c’est le même constat. Le travail est au ralenti. Au centre de santé du Dixième, ce sont les agents de l’Agence de sécurité de proximité qui prennent le relais. Ils ne sont plus là uniquement pour veiller à la sécurité des lieux. Ce sont désormais des ‘’infirmiers, des gynécos autoproclamés’’. A la place du personnel de santé, ils fournissent des informations aux malades sur les jours de travail à temps plein des grévistes, c’est-à-dire lundi et vendredi. ‘’Madame, si vous voulez vous faire consulter, revenez le vendredi, sinon vous allez encore patienter jusqu’au lundi prochain’’, glisse l’un d’eux à une dame de teint clair, bien en chair et d’une taille moyenne. Cette dernière a eu du mal à sortir du poste de contrôle. Elle ne cesse de poser des questions aux trois Asp. ‘’Donc, je reviens quand ?’’, demande-t-elle. ‘’Revenez vendredi prochain, si vous voulez.
Une grande partie du personnel est en grève. Vous ne l’avez pas écouté à la radio ?’’, rétorque à nouveau l’agent. Une information dure à avaler. ‘’Ce n’est pas normal. Je ne suis au courant d’une quelconque grève à travers les médias. L’hôpital est presque vide. Cela ne peut pas continuer. J’étais venue pour une consultation en ophtalmologie. Mes yeux me font mal. Et tout ce qu’ils me disent c’est de patienter jusqu’au vendredi. Il faut que le gouvernement nous vienne en aide, en acceptant de prendre en compte toutes les revendications. Les malades sont fatigués’’, se plaint Mme Sarr qui n’a pas voulu décliner son identité complète.
Si au centre de santé du Dixième, les portes de l’administration sont ouvertes, tel n’es pas le cas au poste de santé de Mbour 1. A notre arrivée à 9 h 43 mn, c’est le calme plat qui y règne. Les portes dudit établissement sanitaire ont été fermées. Une seule fille enceinte, debout en face de la grande porte, cherche, en vain, un interlocuteur. ‘’Il ne devrait pas y avoir de mouvement d’humeur dans les structures de santé. Ce n’est pas normal qu’on nous tienne en otage. J’étais venue pour un rendez-vous. Je suis enceinte et j’ai besoin de consultation périodique. Cette consultation doit être respectée et suivie à la lettre pour assurer une bonne santé à mon enfant’’, soutient la future maman qui, finalement, décide de vider les lieux. Le rendez-vous est pris pour vendredi ou pour un autre jour.
PAPE MOR NDIAYE (SECRETAIRE GENERAL DU SUTSAS/SECTION THIES)
‘’L’État doit avoir pitié des populations’’
La situation que vit le secteur de la santé, depuis presque le début de l’année, ne laisse pas indifférent le secrétaire général du Sutsas de la section départementale de Thiès. De plan d’action en plan d’action, on constate que rien ne bouge et la situation reste la même. D’après Pape Mor Ndiaye, celle-ci est ‘’déplorable et regrettable’’. Ainsi, demande-t-il aux autorités en charge des questions sanitaires de réagir et de trouver des solutions idoines à leurs revendications qui tournent principalement autour de la matérialisation des accords signés en 2014 entre le gouvernement et les travailleurs de la santé.
‘’Franchement, on ne devrait pas arriver à la situation où nous en sommes aujourd’hui. Des accords ont été signés en 2014. Ces derniers parlent de formation, d’élection dans le secteur et des points à incidence financière comme l’indemnité de logement, la retraite à 65 ans… Et quatre ans après, rien de concret n’a été fait, sinon des ébauches d’une solution qui n’ont jamais été acheminées’’, se désole le syndicaliste en service au centre hospitalier régional El Hadj Ahmadou Sakhir Ndiéguène de Thiès. Pape Mor Ndiaye persiste et signe que la grève cyclique dans le secteur de la santé peut être résolue avec une volonté politique digne de ce nom.
Autre point d’achoppement dans ce combat sans fin, le paiement tardif des salaires des contractuels de la Jica et de Cobra. Sur ce registre, le secrétaire général du Sutsas/section Thiès trouve ‘’inadmissible’’ que des travailleurs puissent rester respectivement 8 à 4 mois sans salaires. ‘’Nous avons débuté par une marche nationale (mois de février, Ndlr), puis une grève de 24, 48 et 72 heures renouvelables, plusieurs fois. Par la suite, nous avons rencontré les autorités, notamment le Premier ministre. Et voilà, aujourd’hui, le statu quo. On dirait que le système de santé n’a pas d’autorité. L’État doit avoir pitié des populations’’, fulmine le coordonnateur départemental de l’alliance And Gueusseum.
Pape Mor Ndiaye d’enchaîner pour attirer l’attention des populations, notamment les patients. ‘’Il faut qu’ils sachent que nous ne sommes pas là pour leur faire du mal. On continue à soigner les populations. Nous respectons les urgences et faisons un service minimum.
Moi, par exemple, j’ai passé la nuit à l’hôpital (mardi à mercredi), parce que j’étais de garde. Les urgences et le service minimum sont épargnés. Mais quand on débraye, ça va faire mal. Il appartient donc à l’État de nous convoquer, de discuter avec les acteurs et de trouver des solutions aux revendications des travailleurs de la santé’’, estime M. Ndiaye, informant qu’une évaluation est prévue ce vendredi, c’est-à-dire à la fin de leur plan d’action, pour discuter de la suite à donner à leur combat.
En revanche, si rien n’est fait, dit-il, ses collègues et lui n’excluent guère de poursuivre ‘’la guerre’’.