A vu de la liste des victimes de charlatanisme, l’on se demande s’il est prudent de solliciter la prière d’un ‘’marabout’’ ou même parler à un inconnu, quel que soit le lieu. ‘’EnQuête’’ a fait un tour dans les salles d’audience des tribunaux de Dakar pour constater l’ampleur du phénomène. Envoûtant !
Mouhamed Loum semble se réveiller d’un cauchemar. Il est toujours sous le choc. Le jeune homme ne s’est toujours pas libéré de la peur qui l’habite depuis les dernières fêtes de Pâques. Période durant laquelle l’élève a voyagé au pays de l’irréel. Depuis, sa vie a été saupoudrée de magie. Vendredi dernier, devant le Tribunal de grande instance de Pikine-Guédiawaye, il a retracé le film de son ‘’enlèvement’’ par les ‘’djinns’’. En fait, Mouhamed Loum n’était pas maître de lui-même. Il a été hypnotisé par 3 jeunes qui viennent à peine de sortir du cercle des mineurs. Baba Cissé, Mouhamed Cissé et Moussa Cissé, tous originaires de la région de Sédhiou, précisément de Boghal, dans la communauté rurale de Ndiamacouta, ont usé de pouvoirs mystiques pour le déposséder de ses biens. ‘’Je les ai croisés à la sortie de mon école. Après les salutations d’usage, ils m’ont dit qu’ils sont à la recherche d’un ami depuis ce matin et qu’ils doivent rentrer à Keur Massar. Par la suite, ils m’ont demandé 1 000 F Cfa pour payer leur transport. Nous sommes montés dans le même car’’, a narré l’élève. Il était loin de se douter des manœuvres frauduleuses que les trois malfaiteurs étaient en train d’user à son encontre pour commettre leur forfait.
Mouhamed Loum a été envoûté. Une fois descendus du bus, ces derniers sont entrés en jeu. ‘’Arrivés à la station d’essence de la localité, ils m’ont sommé d’aller chez moi pour leur apporter 15 mille francs Cfa et qu’ils m’attendaient sur les lieux. Je me suis exécuté sans broncher. Quand je suis revenu, ils m’ont encore demandé 35 mille francs Cfa’’, affirme-t-il, avec des trémolos dans la voix.
Mouhamed, Moussa et Baba sont sûrs d’avoir bien joué leur tour. Ils passent ainsi à la seconde étape : celle du ‘’dressage’’. Ils l’emmènent dans la forêt classée de Mbao. Le décor qui s’offre à ses yeux est intimidant : des cornes enfouies à moitié, des talismans, des calebasses par-ci, des bouteilles contenant de l’eau colorée par-là. Les charlatans lui intiment l’ordre de prendre un bain mystique. Aussitôt après, ils lui demandent d’aller prendre de l’argent dans l’armoire de sa mère. Le jeune élève s’empare de bijoux en or d’une valeur de 5 millions de francs Cfa, d’ordinateurs, de tablettes et de téléphones qu’il remet à ses bourreaux.
‘’Je leur ai fait un transfert de 1 950 euros (Soit plus d’1,2 million de francs Cfa), l’argent appartenait à ma maman, via le numéro de téléphone de Baba Cissé. Un jour, ils m’ont donné rendez-vous à 4 h du matin, à l’arrêt Dibiterie de Keur Massar. En sortant de chez moi, j’ai croisé mon père. Il m’a demandé ce que je faisais dehors à cette heure-là. Je lui ai rétorqué que je devais aller à l’école. Sur ce, il m’a demandé de retourner à la maison’’, a-t-il relaté d’une voix à peine audible. Les Cissé n’en avaient pas encore fini avec leur ‘’robot’’. Ils lui réclament 350 mille francs Cfa. Une somme que cet écolier ne savait plus où trouver, puisqu’il avait épuisé les revenus de sa génitrice.
‘’Nos djinns nous ont dit que le temps ne nous est pas favorable’’
Suite aux appels incessants de ses bourreaux, il leur a indiqué qu’il était impossible pour lui de réunir cet argent dans les plus brefs délais. ‘’Nous avons besoin de 350 mille francs Cfa, sinon nous allons vous tuer ou vous rendre…’’, auraient menacé Baba et Cie. Affolé, l’élève est allé voir le président de leur ‘’dahira’’, Ousseynou Diaw, pour lui demander de l’argent. Celui-ci lui fait savoir qu’il n’y avait pas assez de sous dans les caisses. En homme averti, Ousseynou Diaw a été intrigué par les cachoteries du jeune Loum et s’en est ouvert à son père à Malika Montagne, quartier Omar Sy. Ousseynou va le délivrer en purifiant son corps, grâce à ses connaissances religieuses.
‘’Depuis que Diaw m’a lavé avec de l’eau bénite, j’ai retrouvé mes esprits. J’ai raconté ce qui m’était arrivé à mes parents qui ont porté plainte, par la suite’’, a-t-il souligné. A la police, il lui a été demandé de ne pas couper le contact avec les Cissé. Confrontés presque tous les jours à ce genre d’affaire, ils savaient que les mis en cause allaient poursuivre leur activité délictuelle.
‘’J’ai suivi les directives. Et lorsqu’ils m’ont appelé, je leur ai expliqué que je ne pouvais pas me déplacer et qu’ils devaient venir chercher l’argent. Mais Baba m’a dit : ’Nos djinns nous ont dit que le temps ne nous est pas favorable.’ Sur mon insistance, ils ont accepté. C’est au moment où je leur jetais l’enveloppe contenant l’argent à partir de notre balcon qu’ils ont été appréhendés par des jeunes qui étaient aux aguets‘’, a-t-il éclairé. Seul ‘’le cerveau’’ Baba Cissé a eu la chance de s’échapper.
Devant la barre, les prévenus ont tenté de nier l’évidence. Même s’ils portent le même patronyme, ont été arrêtés au même moment, au même lieu et sont originaires du même village, Mouhamed Cissé et Moussa Cissé ont juré qu’ils ne se connaissent ni d’Adam ni d’Eve. ‘’C’est faux. Je n’ai jamais vu Mouhamed Loum. Je suis élève à Boghal. Je ne connais pas mon co-prévenu. Je viens souvent à Dakar pendant les vacances. J’étais allé rendre visite au chauffeur de mon oncle à Malika, lorsque j’ai été appréhendé le mercredi 4 avril’’, a-t-il servi.
Cireur de chaussures de son état, Moussa a soutenu qu’il était ‘’au mauvais endroit, au mauvais moment’’. Pourtant, l’avocat de la défense, Me Aboubakry Barro, a plaidé la clémence. Quant à la présidente du tribunal, Fatou Faye Lecor, elle a reconnu les prévenus coupables des délits pour lesquels ils sont poursuivis. Ainsi, ils ont été condamnés chacun à 1 an de prison. Mouhamed et Moussa doivent aussi verser 8,5 millions de francs Cfa au plaignant.
Entre souffrances, peurs et déceptions des victimes
A l’image de cette histoire, les faits d’association de malfaiteurs, d’escroquerie et de charlatanisme sont fréquents au Sénégal. Ces infractions reviennent sans cesse à la barre du tribunal des flagrants délits de Dakar, en correctionnel ou parfois même devant la chambre criminelle. Selon le ministère public, ces agissements portent atteinte aux victimes, mais également à leurs biens, avec toujours le même modus operandi. ‘’Malheureusement, les coupables prennent souvent des peines allant de 6 mois à 1 an de prison. Il n’y a pas de sanction dissuasive’’, s’est désolé le parquet, il y a quelques jours, lors de son réquisitoire sur une affaire relative à ce phénomène. Le ministère public regrette que les charlatans jouent sur le subconscient des parties civiles, alors qu’ils devaient aller travailler pour gagner leur pain à la sueur de leur front. ‘’Ils ciblent les gens qui ont des problèmes pour leur soutirer de l’argent’’, s’offusque-t-il. De plus, la plupart de ces affaires ne font pas l’objet d’une plainte. Les victimes ne veulent pas être la risée de l’opinion publique. Elles préfèrent vivre en silence leurs souffrances, peurs et déceptions. Elles se considèrent comme ‘’naïves’’, car dupées par des hommes qui sont en majorité des marabouts venus de Ndiamacouta. Des prédateurs qui font de leur savoir une arme. Conséquence : ils usent de subterfuges et de moyens mystiques pour se faire remettre des sommes indues, en promesse d’un rêve irréalisable.
Si certains ont malencontreusement croisé le chemin des malfaiteurs, d’autres, par contre, sont allés à leur rencontre à la recherche du miracle. Alioune Barry alias ‘’John’’ et Mamadou Diallo ont été condamnés, il y a quelques années, respectivement à 10 ans de travaux forcés et à 5 ans de prison ferme. Le duo escroquait des dames qu’il rencontrait dans la rue. Ce jour-là, Alioune croise Saly Sène et l’intercepte pour lui faire part de ses pouvoirs magiques. Il lui fait croire qu’il était capable de transformer sa vie en un conte de fée, si elle accepte tout ce qu’il lui demande. Son compère Mamadou Diallo intervient sous l’identité d’un simple passant émerveillé par les dons de John.
Tous deux se mettent à la convaincre et l’invitent à se rendre dans un coin plus tranquille pour discuter. Saly accepte sans arrière-pensées. Les agents de police qui étaient en patrouille sur les lieux se sont approchés d’eux pour leur demander l’objet de leur présence dans cet endroit. N’ayant pas fourni de réponses convaincantes, ils ont été tous embarqués. Arrivés au poste de police, Saly passe aux aveux sans tarder. Son histoire finit par intriguer les enquêteurs qui, auparavant, avaient reçu quatre filles qui avaient déjà déposé des plaintes pour des faits similaires. L’une d’entre elles, M. K. D., confiait aux limiers qu’elle avait été victime d’un viol collectif. Que ses bourreaux l’avaient, par la même occasion, dépouillée de 210 000 F Cfa et de trois téléphones portables. Une fois devant les suspects, elle a reconnu Alioune Barry comme étant l’un de ses violeurs.
Amdy Fall, l’homme qui voulait une épouse djinn
La Chambre criminelle de Dakar a également jugé Ibrahima Sow alias ‘’Aïdara’’ pour séquestration, enlèvement de mineure, détournement de mineure, viol, pédophilie, vol et charlatanisme. Un prévenu qui aurait même envoûté son épouse pour la marier. L’une des victimes, Siamala, âgée de moins de 15 ans, raconte : ‘’J’ai rencontré Ibrahima Sow devant une boutique. Il m’a dit qu’il était un ami et collaborateur de la chanteuse Viviane Chidid. J’ai été emmenée dans un bâtiment inachevé où j’ai séjourné avec lui avant de me faire violer. Là-bas, j’ai fait la connaissance d’Aïta. Il nous donnait des gris-gris.’’
De son côté, Fatou Cissé Dieng narre : ‘’Ibrahima m’a donné du lait caillé que j’ai bu avant de perdre connaissance.’’ Aïta Mbaye d’enfoncer : ‘’Nous sommes toutes restées chez lui pendant 19 jours, suite à un enlèvement. Il voulait nous emmener à Saly (Mbour) pour nous vendre aux touristes. Ces derniers devaient nous faire jouer dans des films pornos afin de gagner de l’argent. Egalement, on devait se faire photographier toutes nues. Aïdara nous a indiqué qu’il connaissait même Karim Wade et qu’il devait l’accompagner à un baptême.’’ Elle poursuit : ‘’Il a tenté d’abuser de moi sans y parvenir. J’ai été prise à l’Unité 14 des Parcelles-Assainies de Keur Massar, avant d’être emmenée jusque derrière le palais de la République. Il m’a dit qu’il allait, par la suite, me remettre ma virginité, de retour de Saly. Il me caressait les parties intimes avec l’aide d’un bâton.’’
Autant de faits concordants qui ont convaincus les policiers à faire une descente chez lui. Une fouille minutieuse de la chambre du charlatan a permis de découvrir des talismans, des papiers avec des écritures en arabe expliquant des pratiques destinées à envoûter les gens ou à faire sortir de prison des condamnés.
Face au juge, il est passé aux aveux : ‘’Je suis un artiste-chanteur. Je ne connais que les ‘Khassidas’ (poèmes de Serigne Touba, fondateur du mouridisme). Mais j’ai juste été possédé par Satan et je le regrette. J’ai appris le Coran à Touba. J’ai utilisé des pouvoirs mystiques pour que Siamala et Aïta m’obéissent au doigt et à l’œil.’’
En mai 2015, l’émigré d’Espagne Mansour Sarr a vécu une mésaventure… pour le moins surréaliste ! Alors qu’il venait de rentrer au pays pour y passer quelques mois, il a fait la connaissance d’Amdy Moustapha Fall, par l’intermédiaire d’un certain Tamsir Fall. ‘’Comme je voyage très souvent, j’ai sollicité les services d’Amdy Fall pour qu’il me fasse des prières afin que mes affaires marchent davantage’’, dit-il. Avec son ami Mamadou Lamine Diédhou, ils sont allés au domicile du charlatan pour que ce dernier leur formule des prières. Un arsenal de talismans et de cornes enveloppées de tissus rouges avec une décoration de cauris blancs et d’autres gris-gris constituaient le décor sur une mallette dans la chambre de retraite spirituelle. Le sieur Fall va procéder à une démonstration qui a émerveillé les visiteurs. Amdy Moustapha a rempli une caisse vide en billets de dollars, d’euros et de francs Cfa. Toujours dans ses œuvres, il leur a promis 3 milliards de francs Cfa et une femme djinn à chacun, à condition qu’ils satisfassent les exigences des génies qui réclament, avant toute opération, la somme de 3 millions de francs Cfa par personne.
‘’Le marabout nous a conduits dans la forêt de Toglou, vers Sindia, pour y rencontrer des djinns. Une fois sur place, des voix invisibles nous ont parlé en nous demandant de remercier le bon Dieu de nous avoir accordé cette chance, car nous étions tombés sur de bons croyants. Et que les biens que nous allions recevoir d’eux sont bien licites’’, a rapporté l’émigré.
Mais, au lieu de faire fortune, ils vont plutôt faire la fortune du charlatan. Amdy Fall, se disant hypnotisé par le premier talisman que Moustapha Fall lui a remis, accompagné d’un bain mystique, n’a cessé de verser de l’argent, pour un total de 3 millions de francs Cfa. ‘’Je lui avais remis 1,5 million de francs Cfa, la veille de la Korité, pour les sacrifices. Trois semaines après, mon futur beau-père, le djinn, m’a appelé pour que je lui verse la somme restante. De plus, Moustapha Fall m’a réclamé de l’argent pour les habits de ma future épouse’’, se souvient-il. Quand est-il de ce couple ? Moustapha déclare avoir rencontré sa tendre épouse, ‘’djiné Maïmouna’’, à trois reprises chez le charlatan. Mais ça s’est toujours passé la nuit. ‘’Je n’ai pas pu voir son visage, parce que la chambre était mal éclairée’’. En réalité, ce n’était que de la pure supercherie !
Les femmes, les plus touchées : A la recherche d’un mari ou pour préserver leur ménage
Si les hommes en sont des victimes, les dames le sont sans doute davantage. Souvent, elles s’attachent les services de marabouts pour des bénédictions. Soit pour trouver un mari, soit pour avoir un ménage paisible. Au finish, elles n’ont que leurs yeux pour pleurer. C’est le cas de K. S. qui a fini par se retrouver avec une grossesse dont l’auteur est un ‘’imam’’ âgé de 70 ans. ‘’On m’a recommandé Oumar Thioubou et je suis partie le voir pour régler mes problèmes conjugaux. Sur place, après avoir formulé des prières, il m’a prescrit de l’eau bénite. Quelques minutes après l’avoir bue, je me suis endormie. Il a abusé de moi’’, a-t-elle avoué.
Oumou Ngom est aussi une victime. Voulant mettre un terme à son mariage et récupérer les enfants de son conjoint, la dame a sollicité les services d’un maître coranique. Le marabout lui a demandé un million de francs Cfa pour les besoins de sacrifices et d’offrandes. Oumou dit avoir été conduite dans la forêt classée de Mbao avec le Guinéen Gurro Kebbeh où elle a eu ‘’un entretien avec les djinns’’. Les séances de divination qui devaient durer moins d’une semaine finirent par tirer en longueur. Alors qu’elle avait déjà remis 350 mille francs Cfa au charlatan. ‘’J’ai remis au total 9 000 000 F Cfa à Gurro et j’ignorais sérieusement les raisons pour lesquelles je me comportais ainsi. J’étais hypnotisée et ne comprenais rien à ce qui se passait’’, a confessé Oumou. Elle ajoute s’être rendue, une seconde fois, dans la forêt de Mbao, à la demande de Gurro. A son arrivée, elle aurait trouvé son ‘‘bienfaiteur’’ avec trois sacs remplis de billets de banque d’un montant total de 17 millions de francs Cfa. ‘’Il m’a fait savoir que l’argent m’appartenait, mais avant de pouvoir en disposer, je devais d’abord lui verser 7 millions. Ce que j’ai refusé et il a menacé de tuer ma fille. Finalement, je lui ai remis cette somme’’, a-t-elle avoué.
Depuis, aucun miracle ne s’est produit. Oumou Ngom était au royaume de l’irréel.