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Guerre économique: Les obstacles qui enchainent le privé national
Publié le samedi 2 juin 2018  |  Enquête Plus
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© aDakar.com par DG
Visite des chantiers du Palais des Sports et de l`Arène nationale
Dakar, le 24 décembre 2017 - Le ministre des Sports Matar Bâ a visité les chantiers du Palais des Sports et de l`Arène nationale. Il a annoncé des délais pour la livraison des deux infrastructures.
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Patrimonialisation, manque de transparence, incivisme fiscal, déficit d’un soutien de l’Etat… Les goulots qui étranglent les entreprises appartenant à des Sénégalais sont multiples. Rares sont celles qui arrivent à émerger dans un environnement marqué par une rude concurrence étrangère. Certains patrons, amenés par le Pdg du groupe Sedima, se sont juré de renverser la tendance. Pour commencer, ils ont annoncé la mise en place d’un ‘’team Sénégal’’. Pour une meilleure prise en charge de leurs intérêts.

Elles veulent devenir des majors. Mais elles refusent de se comporter comme des majors. Ce statut impose, en effet, un certain nombre d’exigences. Elles sont rares, les entreprises sénégalaises à s’y plier. L’une des règles les plus fondamentales est celle de la transparence. Un fonctionnaire des impôts et domaines, sous le couvert de l’anonymat, témoigne : ‘’En fait, les entreprises sénégalaises (les entreprises dont les propriétaires sont des Sénégalais) sont pour la plupart dans l’informel. Elles ne veulent pas respecter les règles de transparence. C’est pour échapper au fisc. Ce sont des sociétés qui n’ont pas un sens élevé du civisme fiscal. Au lieu de mettre la main à la poche, ils vont entrer à gauche et à droite pour trouver des arrangements. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle vous ne les verrez à la Brvm (Bourse régionale de valeurs mobilières).’’

Pour entrer dans cette structure, il faut, en effet, remplir un certain nombre de conditions. Parmi lesquelles la transparence occupe une place fondamentale. ‘’Etre coté à la Brvm nécessite le respect des règles de transparence, la fourniture de documents et le respect des obligations d’informations’’, lit-on sur le portail de la place financière. Autrement dit, il faut un minimum de transparence dans la gouvernance de l’entreprise. Et c’est là que le bât blesse, si l’on en croit Amai Badji du magazine économique ‘’Réussir’’. Le journaliste économique abonde dans le même sens que le fonctionnaire. ‘’Ce n’est pas facile de maitriser les données des entreprises sénégalaises, parce qu’elles ne communiquent même pas sur leurs performances économiques. Il est quasi impossible d’avoir leurs chiffres d’affaires, leur nombre d’emplois, leur bénéfice… C’est l’omerta’’, déclare-t-il. Selon lui, plusieurs raisons peuvent expliquer une telle attitude. Outre le management informel, il cite la patrimonialisation, la tradition… Il explique : ‘’Nous sommes dans une société où les gens ne parlent pas de leurs revenus. En plus, la plupart des entreprises sont familiales. Tout repose sur le fondateur. S’il meurt, la société tombe entre les mains de ses enfants. Bien souvent, elle est mise en péril parce que ces derniers n’ont pas été suffisamment formés, le géniteur n’a pu leur transmettre toute son expérience.'’

Dès lors, il ne faut pas s’étonner que les Sénégalais jouent les seconds rôles, même au niveau national. Sur la scène sous-régionale et surtout continentale, ils sont presque introuvables. Dans un classement publié par le magasine susmentionné en 2013 (le seul qu’on a pu consulter dans nos archives) le privé national vient loin derrière les étrangers, en particulier les Français. Dans ce classement, Sonatel Sa, filiale d’Orange, trône à la tête du peloton. Puis, dans l’ordre, se succèdent, d’après ‘’Réussir’’, la Sar (Société africaine de raffinage), la Senelec, Total, Itoc Sa, le groupe Mimran, Shell, Sococim… Bref, sur les 20 premières, il n’y avait que 5 entreprises appartenant à des privés sénégalais, trois autres qui sont des entreprises publiques. Deux parmi ces entreprises publiques étaient dans le Top 10. A noter qu’il s’agit de la Sar (2e) et de la Senelec (4e) qui bénéficient d’une situation de monopole, mais qui, doit-on le préciser, croulait à l’époque sous les déficits, malgré leurs chiffres d’affaires importants. Tout comme la Suneor qui était à la 13e place.

Dans le privé, seul Itoc d’Abdoulaye Diao, plus connu sous le nom de Baba Diao, (5e) figurait dans le Top ten. Suivaient Tse de Cheikh Amar (12e), Elton (16e), Comptoir commercial Mandiaye Ndiaye (19e) et Diprom (20e). D’autres sociétés sénégalaises figuraient dans les 50 premières. Il s’agit de Cse de Yérim Sow (29), Nma Sanders d’Ameth Amar (30e), Holding Ccbm (34e), Lonase (37e), Bocar Samba Dièye (38e), Port autonome de Dakar (44e) et Ndiène Sarl qui ferme le podium des 15 entreprises sénégalaises dans le Top 50 en arrivant à la 45e place.

Pour le classement, Amai Badji renseigne qu’il y avait plusieurs critères. Mais parmi les plus importants, il y avait le chiffre d’affaires et le nombre d’emplois. Pourquoi le classement n’a plus été reproduit depuis cette date ? Le journaliste confirme l’agent des impôts et domaines. ‘’Chaque année, on entreprend de le faire, mais il est difficile d’accéder aux chiffres des entreprises appartenant à des Sénégalais. Je ne sais pas pourquoi’’. A ce propos, le fonctionnaire revient à la charge. ‘’Le problème est tout simple. C’est ce qu’elles ont peur d’être redressées. C’est pourquoi elles ne donnent jamais leurs chiffres réels. Du moins, plusieurs ne le font pas’’.

Cinq ans plus tard, il serait important de voir ce que sont devenues ces sociétés qui, bon an mal an, tentaient de faire face à la concurrence. Il serait étonnant de les trouver à leur place d’alors. C’est le cas, par exemple, de Tse qui s’était fait un nom grâce à la proximité entre son Pdg et l’ancien régime. Depuis la chute du régime libéral, ladite société n’est plus ce qu’elle était. Pendant ce temps, Elton et Diprom, également, arrivent difficilement à résister à l’offensive de Total ces dernières années. Ainsi, seul Itoc arrive à maintenir, voire renforcer sa position dans le secteur des hydrocarbures. Beaucoup d’autres entreprises n’ont pu résister à la razzia de la concurrence d’expatriés. Rien qu’en 2017, 275 entreprises sont tombées en faillite, a annoncé récemment le ministre de l’Emploi Samba Sy. Un chiffre effarant qui ne laisse pas les pouvoirs publics indifférents.

Autre constat qui ressortait du classement de ‘’Réussir’’, c’est que pour l’essentiel, les Sénégalais ne mettent pas leurs sous dans la grande industrie, les secteurs à fort potentiel de main d’œuvre. En effet, outre Itoc, les autres entreprises présentes dans le Top 20 interviennent surtout dans le commerce (Tse et Comptoir commercial Mandiaye Ndiaye) et les services (Diprom). Il ressort également de l’analyse de certaines spécialistes que les entreprises sénégalaises présentes dans ce classement sont parfois des géants aux pieds d’argile. Il suffit qu’un régime saute pour qu’elles tombent avec lui. Ils citent pour exemple Tse.

Le procès des entreprises étrangères

Pendant que les Marocains, Rwandais et autres pays s’emploient à mettre en place des entreprises fortes, au Sénégal, la tendance est plutôt de désigner les étrangers comme boucs émissaires.

Dans le mal sénégalais, l’autre est souvent désigné comme responsable. Ainsi les collectifs se multiplient. Derrière les revendications légitimes de mettre en place des entreprises fortes, se cachent parfois des slogans creux qui ne reposent sur aucun fondement. Ainsi entend-on ‘’France dégage’’, ‘’Préférence nationale’’… A en croire le professeur Meissa Babou, à l’heure de la mondialisation, les entreprises sont appelées à s’adapter ou à disparaitre. Selon lui, aucun Etat ne peut se recroquevillé sur lui-même. L’Etat ne saurait donc se passer des investissements étrangers.

Toutefois, argue-t-il, il est légitime pour n’importe quel pays d’accompagner ses nationaux pour les rendre plus forts et aptes à supporter la concurrence d’où qu’elle vienne. ‘’Cela requiert une volonté politique. Tous les pays du monde le font. Je peux comprendre que l’Etat donne certains marchés à des sociétés étrangères. Mais certains marchés faciles à réaliser, il faut les donner à des nationaux. Comment peut-on expliquer le fait de donner la construction d’un immeuble à Pompier à des Marocains ? Rien ne le justifie. C’est la même chose pour certains chantiers à Diamniadio’’. Par rapport à l’argument des moyens, l’économiste trouve que c’est insuffisant. ‘’Tout ça, c’est l’Etat qui doit mettre en place le dispositif. L’expertise est là dans certains domaines, mais les moyens font défaut.

Il faut que l’Etat appuie les banques, les incitent à accompagner le privé national. On ne développe pas un pays qu’avec des capitaux étrangers. Il nous faut créer des milliardaires comme Cheikh Amar. Il suffit d’une commande de l’Etat pour faire un champion. C’est comme ça qu’on arrivera à mettre en place des champions. Cela ne se décrète pas’’. Meissa Babou demande aussi une révision du Code des investissements pour imposer aux investisseurs étrangers d’ouvrir leurs capitaux à des Sénégalais. Ainsi, non seulement elles se fortifient, mais aussi elles gagnent en expérience. M. Babou dénonce également le manque de concertation dans la mise en place des plans de développement. Bien souvent, constate Amai Badji, c’est le contraire qui se produit. Les entreprises sénégalaises sont exclues dès l’élaboration des cahiers des charges. ‘’Soit c’est l’expérience qui leur fait défaut, soit c’est les finances. Il faut que l’Etat corrige à ce niveau’’.

Le privé national à l’assaut des ‘’envahisseurs’’

Pour renverser la tendance, certains privés sénégalais ont promis de se regrouper au sein d’une structure dont les contours restent à déterminer.

L’espoir est peut-être permis. Pour Amai Badji, il existe tout de même des entreprises sénégalaises qui ont pu s’imposer, malgré la rude concurrence des étrangers. Outre certaines entreprises des Btp, M. Badji cite l’exemple de Sedima qui présente, selon lui, un bel avenir. ‘’A l’heure actuelle, je pense que c’est une des rares entreprises sénégalaises suffisamment formalisée et bien tenue pour adhérer à la Brvm’’. Son Pdg Babacar Ngom a annoncé dans une interview parue cette semaine dans ‘’l’Observateur’’ qu’il compte mettre en place une organisation patronale qui ne va regrouper que des nationaux. De bonne guerre, pense Meissa Babou. ‘’Puisque les politiques ne prennent pas en compte leurs préoccupations, c’est tout à fait normal qu’ils se regroupent et se battent. Personne ne le fera à leur place’’.

Même si les contours d’une telle structure ne sont pas encore définis, le journaliste économique croit savoir que c’est une bonne chose. Il faut que les nationaux mutualisent leurs forces pour faire face aux capitaux étrangers. ‘’Il faut mettre en place des consortiums forts. Chacun apportera son capital, son expérience, son expertise... Notre pays a tout intérêt, parce que dans ce cas, il y a toute une chaine de valeur qui va se créer. Les richesses sont produites au Sénégal, les emplois sont créés au Sénégal, les impôts payés au Sénégal et l’argent sera réinvesti au Sénégal’’, a-t-il déclaré.

Pour le Pdg de Sedima, si l’Amérique est la première puissance économique mondiale, ‘’c’est parce que le team Usa est sur les podiums mondiaux dans moult secteurs avec des entreprises comme General Motor, Google, Exxon Mobil, Apple, Facebook…. Les team Maroc, Nigeria, Egypte, Kenya, Rwanda dans les podiums sous-régionaux et continentaux’’. Il ajoute : ‘’Quand un pays a des soubresauts, vous voyez que certains plient bagages et partent. Nous, c’est notre pays, tout ce que nous avons bâti est là. L’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants est là, et c’est notre intérêt qu’il reste en paix et qu’il aille toujours dans la bonne direction.’’ Monsieur Ngom estime qu’il est un sentiment bien partagé chez certains entrepreneurs sénégalais que l’Etat ne les appuie pas assez. Il fait de ce combat un de leur credo. Car, disait-il à nos confrères : ‘’Nous ne connaissons aucun pays ambitieux qui pousse les enfants des autres plus que les siens. Mais la solution n’est pas de se plaindre. C’est au secteur privé national d’être fort, plus crédible et de montrer sa capacité à pousser l’économie du pays vers l’avant.’’

Ainsi compte-t-il se battre pour un team Sénégal qui puisse rapporter plein de médailles. Pour ce faire, il faudra le soutien de l’Etat. Comme il sait si bien le faire avec l’équipe nationale de football.
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