Cinquante ans après la mythique et glorieuse révolte étudiante de mai 1968, qui avait ébranlé le régime senghorien jugé trop autoritaire et inféodé aux ténors de la Françafrique, le mouvement étudiant sénégalais défie à nouveau un régime présentant des caractéristiques très similaires voire identiques.
Nous nous trouvons, en effet, dans un contexte marqué par une panne du dialogue politique, une gouvernance tyrannique et une bienveillance démesurée envers les multinationales et le Capital français. Mais contrairement à mai 68, la classe ouvrière sénégalaise semble bien être tenue en laisse par une aristocratie syndicale très loin d’être belliqueuse et qui se complaît dans un partenariat des plus équivoques avec les pouvoirs publics et le patronat étranger.
Si dans certains secteurs (Santé, Éducation, Justice), des luttes épiques ont été menées ou continuent de l’être par certains syndicats de travailleurs, elles restent encore marquées par la division, l’immaturité et le corporatisme. Elles ne réussissent, dans le meilleur des cas, qu’à grappiller quelques indemnités ou avantages de plus et ne s’inscrivent nullement dans une perspective de résolution des problèmes de fond ayant trait aux politiques publiques mises en œuvre, très souvent plombées par les orientations antinationales du pouvoir actuel.
Quant aux étudiants, jadis avant-garde des luttes sociopolitiques dans nos pays faiblement industrialisés, du temps où ils étaient organisés en unions nationales, ils ne semblent plus s’intéresser qu’au paiement régulier de leurs modiques bourses mensuelles, qui ont constitué, toutes ces dernières années, l’alpha et l’oméga de leur action revendicative.
Cette dernière connaît depuis une dizaine de jours une exacerbation notoire, du fait de la mort prématurée de l’étudiant Fallou Sène. C’est donc la maladresse d’une administration, au sein de laquelle, l’appartenance politicienne et partisane prime sur les compétences techniques et professionnelles, qui les a jetés dans la confrontation contre un gouvernement politiquement responsable de la mort d’un des leurs. Il est donc tout à fait légitime que les étudiants demandent des comptes aux dirigeants politiques de notre État et ils ont parfaitement le droit de réclamer la démission de certains ministres, qui sous d’autres cieux, auraient d’eux-mêmes rendu le tablier. Ce faisant, ils posent des actes éminemment politiques.
Au vu de l’extraordinaire capacité de mobilisation, dont ils ont fait montre, cet objectif est largement à leur portée, surtout dans la délicate période pré-électorale que nous traversons. La dernière chose dont a besoin le président de l’APR, prêt à se lancer dans la bataille du second mandat, après l’élimination de ses adversaires politiques et la perversion du processus électoral, c’est bien d’émeutes estudiantines sur toute l’étendue du territoire national. Il a plutôt besoin de quiétude pour dérouler son plan de communication entamé par la publication du premier tome de son livre consacré au bilan de son septennat usurpé.
Mais se contenter d’un simple réaménagement gouvernemental serait manquer d’ambition parce que le système resterait intact et que les mêmes causes produiront inéluctablement les mêmes effets, comme le démontre la macabre liste des martyres de l’Université.
Il doit impérativement être mis fin à cette politique de soumission à l’Étranger, comme l’illustrent clairement les révélations sur le montage financier de l’autoroute à péage, les faveurs excessives accordées aux sociétés françaises (Auchan, Total, Orange…), sans oublier la signature des accords de partenariat économique (APE), ni la renonciation à la souveraineté monétaire, par la perpétuation de la monnaie néocoloniale que constitue le franc CFA. Non contents d’avoir la haute main sur tous les secteurs significatifs de notre économie nationale, les représentants du Capital étranger sont entrain de planifier – selon le schéma congolais - le pillage de nos nouvelles ressources pétrolières et gazières, grâce à la signature d’accords léonins avec notre gouvernement.
Un second mandat à ce régime pourrait également être synonyme de remise en cause des quelques libertés démocratiques, qui nous restent et d’instauration d’un leadership à la rwandaise ou à la turque.
Il est donc tout à fait illusoire et même suicidaire de cantonner les actions revendicatives à la seule sphère des intérêts corporatistes et de vouloir créer des barrières artificielles entre les luttes syndicales et celles politiques.
Assurément, notre pays se trouve à la croisée des chemins ! Tous les citoyens sont interpellés et en premier lieu, le mouvement étudiant, qui en quelques jours, a redistribué les cartes et laissé entrevoir de nouvelles perspectives de libération de notre peuple.
Ce qu’il faut, c’est renouer avec l’esprit de mai 68 et regrouper toutes les forces vives de la Nation autour d’une plateforme concertée centrée sur la souveraineté nationale, la refondation institutionnelle et l’émergence citoyenne, conformément aux conclusions des Assises Nationales, plus actuelles que jamais.
C’est la seule voie pour libérer notre Nation de la pesante tutelle néocoloniale, quel que puisse être le vainqueur des élections présidentielles prévues en 2019.