Considéré à tort ou à raison depuis un certain temps, par les médias et autres observateurs de la scène politique comme le principal challenger de Macky Sall, capable de mettre en ballotage le candidat de la coalition BBY, à l’élection présidentielle de 2019, à la suite surtout de la mise en écart de potentiels adversaires politiques en exil «forcé» ou en prison tels Karim Wade et Khalifa Sall, le patron du parti Rewmi fait encore les choux gras de la presse. Cette fois-ci, Idrissa Seck, au-delà du front politique, fait face à des attaques venant du chefs religieux, suite à une sortie controversée sur La Mecque comme unique lieu de pèlerinage des musulmans. Une «glissade» qui rappelle, les rencontres de midi entre «Lui et Moi» à la veille l’élection présidentielle de 2007. Les mêmes causes vont-ils reproduire les mêmes effets ? Idrissa Seck tel un phénix pourra-t-il se remettre de sa nouvelle «bourde» ? Eléments de réponse avec le Docteur en marketing et communication politique Momar Thiam et le journaliste-analyste politique Momar Seyni Ndiaye, à travers des analyses croisées.
MOMAR THIAM, DOCTEUR EN MARKETING ET COMMUNICATION POLITIQUE : «Idrissa Seck était dépositaire de l’agenda politique jusqu’au moment de ses propos jugés diffamatoires (…)»
«Il y a une règle de base en communication, et là tous les communicants sont d’accord là-dessus : le trop de communication tue la communication. En l’espèce, dans le cas d’Idrissa Seck, il est vrai qu’il a opéré ce que j’appelle un re-lifting de son image, depuis une bonne période. Depuis 2 ou 3 ans, il a parcouru le pays de long en large où il
s’est mis au niveau des gens, en leur parlant de la situation du pays et surtout en étant dans une stratégie d’écoute. Ce qui a fait que, depuis moins d’un an, il occupe l’espace politique par ses sorties, quelques fois, virulentes à l’égard du pouvoir, et parfois plutôt politiques en terme de proposition dans des domaines bien précis. Je me souviens bien qu’en 2016, j’avais expliqué à vos confrères qu’Idrissa Seck occupe un tout petit peu l’espace public avec ses sorties et qu’il était le dépositaire du débat politique. Parce que tout simplement, à chaque fois qu’il a opéré des sorties, il y a une levée de boucliers autour du pouvoir pour venir lui apporter la réplique. C’est la raison pour laquelle j’avais estimé qu’il était dépositaire de l’agenda politique. Ça été le cas jusqu’au moment, évidemment, de ses propos jugés par certains diffamatoires, si non à l’encontre de la religion musulmane, ont fait échos».
MOMAR SEYNI NDIAYE, JOURNALISTE ET ANALYSTE POLITIQUE : «Cet excès de confiance, voire d’ego, amène Idrissa Seck souvent à commettre des erreurs graves de communication, comme le prouve l’actualité»
«Généralement, le Président Idrissa Seck, réussit ses prestations communicationnelles. Il a le sens de la formule, associé à un bon niveau de langue en wolof comme en français. Il est capable, selon les circonstances, de changer de registre de discours en passant de l’émotion, à la solennité, de l’humour à la gravité. Il a aussi le talent de moduler le timbre de sa voix et l’expression de son visage à chacune de ces séquences. Ceci dit, il pêche par deux défauts majeurs ; un excès de confiance qui frise la prétention, et la présence excessive de la stigmatisation et la personnalisation dans ses sorties médiatiques. De plus, son argumentaire manque souvent de consistance technique et s’attaque plus aux personnes qu’aux faits et aux idées. Il faut reconnaître que ses formules à l’emporte-pièce font souvent mouche chez les couches populaires. La radicalité de ses éléments de langage lui permet de faire une démarcation nette du pouvoir, lui donne l’autorité de l’opposant sans ambiguïté et un positionnement valorisant. Il est sorti en apparence, du discours ambivalent qui a été le sien pendant longtemps. Cependant, cet excès de confiance, voire d’ego, l’amène souvent à commettre des erreurs graves de communication, comme le prouve l’actualité».
IMPACT DES PROPOS SUR SA POSTURE DE CHALLENGER DE MACKY EN 2019
Momar Thiam : «Ces déclarations lui reviennent comme un boulet de sorte qu’on a l’impression qu’il s’est un peu embrouillé là-dessus»
«Je ne juge pas les propos, parce que je ne suis pas spécialiste de la question de l’Islam pour pouvoir en parler. Je parle sous le registre de la communication. Effectivement, nous observateurs et même l’opinion publique en général, sommes habitués à écouter Idrissa Seck dans ses diatribes parlant de la religion musulmane. Parce que, même en parlant de politique, Idrissa Seck fait souvent référence à la religion musulmane, à nos religions en général. C’est sa marque de fabrique. Sauf que, avec la levée de boucliers qu’il a soulevé suite à ses propos autour du conflit Israélo-palestinien et ensuite sur La Mecque, ces déclarations lui reviennent comme un boulet de sorte qu’on a l’impression qu’il s’est un peu embrouillé là-dessus. Je pense que c’est plus par excès de communication, avec les référentiels religieux.
On est dans un pays où, quand on parle de politique, je pense qu’il vaut mieux parler de politique. Et quand on parle de religion, qu’on parle de religion et il y a des espaces qui sont dédiés à cela. Si vous regardez très bien, ceux qui ont apporté la réplique, ce sont des personnes qui sont plus dans le milieu religieux, pour ne pas dire médiatiquo-religieux. Je veux parler de Sidy Lamine Niass, de Bamba Ndiaye, du cadre des Imams, etc. Vous n’avez pas entendu un homme politique lui apporter la réplique. Donc, on peut ranger cela dans le volet religieux. Mais, forcément, cela a une connotation politique puisque c’est l’homme politique qui s’exprime, pas n’importe lequel. Il s’agit de quelqu’un qui a été Premier ministre dans ce pays et qui, aujourd’hui, pour certains observateurs de la scène politique, redevient un challenger de la Présidentielle de 2019. Donc, il est un homme politique à qui on prête une attention attentive. Je pense que sous ce registre là, c’est peut-être une glissade. Il aurait pu faire l’économie de ce discours là, surtout qu’on est en période du mois de ramadan et que le conflit Israélo-palestinien est tellement sensible de sorte que les hommes de paix qui se prononcent là-dessus adoptent plus une posture diplomatique. L’opinion, en général, qui est plutôt juge des hommes politiques, au Sénégal en tout cas, est plus imprégnée de la chose religieuse compte de tenu du contexte du ramadan. Donc, cela ne fait qu’amplifier ses propos. Je ne dis pas que ce qu’il a dit c’est vrai ou pas, parce que je ne suis pas un spécialiste du domaine religieux».
Momar Seyni Ndiaye : «Cet épisode va réfréner cet élan qui avait pris des allures de repentance»
«La posture du Président du parti Rewmi, me rappelle toutes proportions gardées, celle de l’écrivain d’origine iranienne, Salman Rushdie, auteur du roman blasphématoire, les Versets Sataniques. Les sorties de Sidy Lamine Niasse et de Bamba Ndiaye ressemblent à bien des égards à une sorte de fatwa, même si aucune menace ne pèse sur son intégrité physique et sa liberté de mouvement.
Il me paraît aussi difficilement acceptable que certains s’érigent en Gardiens du Temple et Docteurs de la foi pour distribuer des brevets de piété et d’orthodoxie. La médiatisation de ces dérapages verbaux Idrissa Seck, nuira forcément à l’image du Président du Rewmi. Dans notre contexte sociologique, taxer un candidat à la présidentielle de «juif et de franc-maçon», c’est le jeter à la vindicte populaire. Idrissa Seck avait réussi une remontée assez spectaculaire de sa cote d’estime. Cet épisode va réfréner cet élan qui avait pris des allures de repentance.
Jusqu’à présent, il représentait aux yeux de nombres de Sénégalais, un modèle d’homme politique très ancré dans ses valeurs religieuses. Ces qualifications risquent de le déclasser politiquement et sociologiquement en le ravalant au rang de mécréant. Il risque d’être la victime de ses propres erreurs de communication et d’un certain ordre moral et religieux».
REPETITION DES ERREURS FATALES COMMISES EN 2007
Momar Thiam : «Je ne pense pas que ce débat là puisse entamer intégralement sa crédibilité politique...»
«J’ai l’habitude de dire que la politique n’est pas une science exacte. On a vu des hommes politiques faire des erreurs malencontreuses et on a souvent pensé que de ces erreurs, ils ne se relèveront plus. La politique étant quelque fois, ce que j’appelle, un processus continu qui se métamorphose lui-même, les hommes politiques ont cette capacité de rebondir. Mais, de rebondir sur d’autres chemins et quelque fois même, c’est la situation politique qui leur impose et leur favorise cela. D’aucuns disaient qu’Idrissa Seck était fini, depuis son fameux désaccord avec Abdoulaye Wade, avec tout ce que cela lui a coûté. Pourtant, quand il est revenu en scène, après avoir parcouru le pays, il a bénéficié de l’oreille attentive et, surtout, de l’oreille des médias puisqu’il faisait la Une des médias. Il s’est quelque part ressuscité. Un penseur disait qu’un «homme politique n’est fini qu’à l’intérieur de sa tombe». Tant qu’il n’est pas mort, il n’est pas fini. Je ne pense pas que ce débat là puisse entamer intégralement sa crédibilité politique et sa posture en tant que futur challenger de Macky Sall à la présidentielle de 2019. Ça, personne ne peut le prédire aujourd’hui, d’autant plus que l’espace public et politique est aujourd’hui animé par d’autres challengers potentiels, qui sont des candidats potentiels. Mais, évidemment, ça fait tâche. Toutefois, les erreurs de communication servent toujours de leçons. Et, je pense que, compte tenu du brouhaha que cela a créé, ça servira de leçon pour être beaucoup plus attentif à ce que l’on dit ou les propos que l’on profère compte tenu du contexte, etc.».
Momar Seyni Ndiaye : «On pourra mesurer sa capacité à faire de ses attaques, une opportunité de victimisation»
«Idrissa Seck avait réussi à se replacer dans l’opinion dans une posture plus valorisée après ses graves erreurs du passé. Aujourd’hui, il est rattrapé par ses vieux démons. Pour l’heure, la réaction et les réponses qu’il a fournies sont spécieuses et insuffisantes à justifier la gravité de ses propos. Après le Ramadan, il a promis d’apporter d’autres réponses. On verra bien de quoi il en retournera et on pourra mesurer sa capacité à faire de ces attaques, une opportunité de victimisation, c’est-à-dire l’objet d’une machination orchestrée pour entacher sa personnalité. Si Bamba Ndiaye devenu proche de Macky Sall peut être soupçonné de menée déstabilisatrice, il en sera difficilement le cas pour Sidy Lamine Niasse, constant dans ces accusations de délitement moral et spirituel à l’encontre du Président Sall».