Lille - Faut-il déboulonner la statue de Faidherbe à Lille et à Saint-Louis du Sénégal ? A quelques jours du bicentenaire de sa naissance, un collectif demande de retirer les symboles rendant hommage au général qui avait conquis puis colonisé le Sénégal au XIXe siècle.
Dans une lettre ouverte adressée à la maire de Lille Martine Aubry, le collectif "Faidherbe doit tomber" - une reprise du slogan "Rhodes must fall" en Afrique du Sud - critique la restauration récente de l'imposante statue équestre située en plein coeur de la ville.
Louis Faidherbe (3 juin 1818-1889), "l'une des grandes figures du colonialisme français", a mené "une guerre d'extermination" au Sénégal, qui a abouti "à l'imposition d'un système d'oppression raciste". "La réhabilitation de la statue de Faidherbe, insulte permanente à la mémoire des peuples
colonisés, est une faute", juge le collectif.
D'après l'historien Thomas Deltombe, coordinateur de cette campagne, Lille ne peut plus présenter "un paysage urbain vitrifié dans la IIIe république coloniale".
Aussi, le collectif estime que la mairie socialiste doit suivre l'exemple de plusieurs villes comme New York, Johannesburg ou Barcelone qui effacent peu à peu des symboles colonialistes ou esclavagistes. Berlin va rebaptiser plusieurs rues rappelant la colonisation allemande en Afrique et honorer à la place des militants africains de l'indépendance.
Si Mme Aubry estime que le débat "a sa légitimité", la municipalité n'a ni "l'intention de retirer la statue (...) restaurée au titre de sa valeur patrimoniale, ni de renommer la rue". La mairie socialiste récuse "une quelconque bienveillance vis-à-vis du colonialisme" et a d'ailleurs fait renommer la rue Canrobert, un maréchal (1809-1895) qui a notamment participé à la conquête de l'Algérie, rappelle Mme Aubry.
"C'est un débat à mener, peut-être aussi au niveau national. Car de nombreuses villes ont une rue Faidherbe", estime Mme Aubry, notant que le questionnement sur les traces du passé colonial dans l'espace public "prenait de l'ampleur un peu partout dans le monde".
Pour l'historien Alain Coursier, auteur d'une biographie de ce général peu connu du grand public et hostile à tout déboulonnage, on ne peut "revoir l'histoire avec l'oeil d'aujourd'hui". En outre, Faidherbe, né à Lille et qui a fini sa carrière comme sénateur socialiste du Nord, "a préservé les
Hauts-de-France, comme on dit aujourd'hui, de l'invasion allemande en 1870", un épisode qu'on ne peut "balayer d'un revers de main".
- "Trop d'honneurs" -
A 5.000 km au sud, à Saint-Louis, une statue de Faidherbe orne également l'une des principales places de l'ancienne capitale de l'Afrique occidentale français (AOF), jumelée depuis 1978 ans à Lille. Sur le socle de la statue érigée en 1891: "A son gouverneur L. Faidherbe le Sénégal reconnaissant".
En septembre dernier, après de fortes pluies, la statue est tombée de son piédestal...Et remise en l'état. "C'était l'occasion rêvée de s'en débarrasser une fois pour toute mais la municipalité a décidé contre toute attente de la remettre, ce qui a soulevé beaucoup de colère", regrette Khadim N'Diaye, membre du collectif.
Selon Abdoul Hadir Aïdara, historien et ex-directeur du Centre de recherches et de documentation de Saint-Louis (CRDS), Faidherbe était "un conquérant colonial, sabreur des populations civiles", qui "a brûlé des villages, au Waalo et au Cayor (royaumes pré-coloniaux au Sénégal)". "On lui a fait trop d'honneurs au Sénégal en lui donnant les noms d'un lycée, le pont et
une place", lance-t-il. Certains voudraient ainsi remplacer la statue par des figures historiques locales.
Mais pour d'autres Sénégalais, le Nordiste est aussi perçu comme un "gouverneur bâtisseur", qui a permis le développement de projets d'infrastructures et d'équipements. "Beaucoup de Sénégalais ont une ambivalence de sentiments: tantôt il est perçu comme un colon conquérant face à la résistante armée des royaumes sénégalais, tantôt comme le créateur de l'Etat du Sénégal moderne et le libérateur des Noirs sénégalais face aux exactions des Maures" en Mauritanie voisine, nuance l'historien Amadou Bakhaw Diaw.