Les personnes atteintes du vih sont également malades de la stigmatisation. La peur d’être démasqué est un véritable frein dans la lutte contre le vih.
Ce jour-là, lorsque la famille de Fafadi Soumah a découvert qu’il est atteint du vih, sa vie a presque basculé dans le néant. Sa femme, de qui il attendait plus de compréhension et de soutien, a divorcé pour ne plus revenir. Ses enfants également se sont éloignés de lui. ‘’J’ai été isolé dans ma propre maison’’, soupire-t-il. Rejeté par les siens, il est allé chercher appui auprès d’une femme susceptible de le comprendre davantage, puisqu’ayant une sœur morte de la maladie. Cette dame est d’ailleurs aujourd’hui membre de l’Association solidarité entraide de Kédougou, en tant que personne affectée (et non infectée). Grâce à elle, Fafadi n’a pas sombré. ‘’C’est elle qui me remontait le moral ; elle mangeait avec moi. Petit à petit, j’ai été accepté’’, se confie-t-il d’une voie enrayée et à peine audible. M. Soumah s’exprimait hier, lors d’une visite de la délégation composée du Conseil national de lutte contre le sida (Cnls) et l’association des journalistes en santé. Les entités ont conjointement organisé une caravane destinée à la riposte contre la maladie à Kédougou.
Aujourd’hui président de l’amicale, Fafadi Soumah déclare s’être réconcilié avec la société. Son atelier de tailleur continue d’être fréquenté par les habitants de la ville, sans qu’il y ait des signes de stigmatisation. ‘’Je me sens comme les autres. Même quand je dis que je suis malade, on me dit : non tu n’es pas malade’’, rassure-t-il. Pourtant, le témoignage de son corps et de ses gestes le présente en homme éprouvé. Silhouette fragile, démarche chancelante, il a le corps décharné. Un peu recroquevillé sur lui-même, la tête baissée, il a du mal à articuler distinctement ses phrases. Même attitude de la part de la trésorière de l’Association. Visage émacié, le regard terne, les yeux enfoncés dans leurs cavités, Rabiyatou Guirassy est un petit être vivant efflanqué qui présente tous les signes extérieurs d’un paradis perdu.
En fait, la stigmatisation est ici une maladie qui vient s’ajouter au sida. Pour les personnes atteintes du Vih, il n’est pas question de se montrer au grand jour. Même pour ceux qui dirigent l’association, il est impensable de se positionner devant les caméras, y compris de dos. Il faut dire que l’incompréhension s’élargit jusque dans les structures sanitaires. ‘’A l’hôpital, on les appelle les malades de Joséphine. J’ai remarqué que sur leur dossier, on met toujours la lettre ‘’R’’, se désole Joséphine Mancabou, médiateur. Aujourd’hui, il y a même de l’indiscrétion qui inquiète la dame, puisque parmi ceux qui officient au labo, il y en a un qui sort les informations. Mme Mancabou espère le démasquer, grâce à l’enquête qu’elle mène personnellement. Mais en attendant, elle a adopté une stratégie de contournement. ‘’Je fais appel à deux personnes du labo à qui je fais confiance pour les prélèvements’’, raconte-t-elle.
Cette crainte du regard des autres faits que les malades n’acceptent pas de partager l’information avec leurs familles. Les femmes rasent les murs, lorsqu’elles se rendent à l’hôpital pour prendre les insulines. ‘’Certains malades vont jusqu’à Tamba pour les médicaments, par peur d’être démasqués’’, murmure Fafadi Soumah. Il faut dire qu’il y a de quoi, au regard de l’histoire dramatique de cette défunte dame atteinte du vih. Lorsque la mauvaise nouvelle est tombée, elle a été abandonnée par son mari. Elle a fini par mourir, laissant derrière elle 8 enfants dont un cadet infecté. Aujourd’hui, cet orphelin est perdu de vue. Or, ses parents adoptifs ne savent pas qu’il est atteint du vih. ‘’Actuellement, je suis à la recherche de cet enfant. Les numéros qu’on m’a donnés ne passent pas’’, s’inquiète Mme Boubane. A cette difficulté, il faut ajouter la délicatesse de l’annonce, un moment très sensible. Ainsi, la médiatrice sera d’abord obligée de sensibiliser la tante du petit sur la maladie, avant d’oser lui révéler la réalité, espérant une coopération de sa part pouvant sauver le malade.
En attendant, c’est tout un drame familial qui risque de se jouer à l’insu des membres. C’est justement ce qui est arrivé à une famille guinéenne. Un jour du mois de février dernier, une femme malade venue de la Guinée s’est présentée au centre de santé. Elle avait besoin de sang. Son mari se propose d’être le donateur. Après prélèvement et test, il s’est avéré qu’il a le vih. Un test est vite fait sur la femme, même résultat. Le virus a aussi eu le temps de se propager chez les enfants du couple. Bref, toute la famille est atteinte. Aujourd’hui, ils sont obligés de faire le déplacement chaque mois pour prendre les munitions antirétrovirales, afin de ne pas perdre la guerre.
Ces deux cas précités montrent également l’importance de trouver une solution contre les accouchements à domicile. Or, si l’on en croit Oumy Sy Samb, sage-femme du poste de Bantako, le phénomène est répandu. Pourtant, dans les 6 heures qui suivent l’accouchement, l’enfant doit prendre les médicaments. ‘’Quand on leur demande pourquoi elles accouchent à domicile, elles disent qu’elles ont eu 4 à 5 couches, sans problèmes’’. Autrement, la stigmatisation et certaines certitudes sont de sérieux obstacles dans la lutte contre le vih.
Presque toutes des veuves
L’Association solidarité et entraide de Kédougou compte 58 membres. Elles sont majoritairement des femmes. Le dépistage est généralement fait durant la grossesse. Quant aux hommes, ils n’acceptent pas de se faire dépister, même lorsque leurs femmes sont atteintes. Or, il y a une constance : les femmes sont soit des veuves, soit des célibataires. Ce qui veut dire que les dames survivent, parce qu’elles sont sous arv, et qu’à l’inverse, les maris décèdent, parce qu’ils ne prennent pas de médicaments.