La 17ème journée d’audience du procès de Imam Ndao et Cie a été consacrée à la déposition des témoins et à la confrontation entre certains accusés. Massamba Diop s’est réjoui que son fils Mouhamadou Lamine Diop alias Moustapha ou Abu Atim soit mort au front en Libye, avec les combattants de Daesh. Modou Diop s’est montré très affecté par la disparition de son enfant Lahad Diop.
C’est avec beaucoup de peine que les parents témoignent souvent à la barre d’un tribunal. Rares sont ceux qui finissent même leur déposition, à cause du poids de la douleur de perdre leur enfant. Le vieux Massamba Diop, qui faisait sa déposition hier à la barre de la Chambre criminelle du Tribunal correctionnel, est solide comme un roc. Ce n’est pas parce qu’il prend avec philosophie la mort de son fils Mouhamadou Lamine Diop alias Moustapha ou Abu Atim. Mais il s’en réjouit même. Il est comblé, parce qu’il considère que son fils, en perdant la vie au front en Libye avec les combattants de Daesh, est mort en martyr. Auparavant, le vieux menuisier, père d’une fratrie de 11 enfants et marié à deux épouses, est revenu sur sa dernière entrevue avec Moustapha Diop.
‘’La dernière fois qu’on s’est parlé, il m’avait dit qu’il se rendait en Arabie Saoudite, mais un jour, il m’a appelé pour me dire qu’il se trouvait en Libye. En décembre 2016, j’ai reçu l’information selon laquelle il a été tué au front’’, a narré le vieux menuisier. Il confesse avoir prié pour son enfant, lorsque celui-ci lui a demandé de lui formuler des prières pour qu’il meure en martyr. ‘’Il m’a demandé de prier pour qu’il meure au front. C’est ce que j’ai fait. Il a préféré mourir au champ de bataille comme martyr, car le djihad est une recommandation divine’’, a confié le père, lorsque Me Mounir Balal lui a demandé s’il avait prié pour qu’il meure ou revienne sain et sauf. Le président de lui demander pourquoi il n’avait pas dissuadé Moustapha Diop, lorsqu’il lui a fait part de son intention d’aller faire le djihad. ‘’Il avait mémorisé le Coran et les Hadiths (Boukhari et Mouslim), donc j’ai cru que c’était la meilleure voie, puisqu’il connaît la religion mieux que moi’’, a déclaré avec enthousiasme le sexagénaire.
Cependant, il a changé de version lorsque le président Samba Kane est revenu sur la même question. ‘’C’était trop tard pour pouvoir le dissuader, car il était déjà en Libye. Je lui avais suggéré d’aller enseigner, mais il m’a répondu que si votre père vous interdit de faire le djihad, c’est comme s’il vous interdisait d’aller prier à la mosquée. Il m’a récité des versets du Coran’’, a soutenu cette fois-ci Massamba Diop. Mieux ou pis, tout comme son fils Alioune Diop, il a renseigné que Moustapha Diop les incitait à venir le rejoindre. ‘’Pourquoi vous n’êtes pas parti, puisque vous dites que le djihad est recommandé par l’islam ?’’ A cette interrogation du juge Kane, il a répliqué qu’il n’est pas assez doué comme son fils en sciences religieuses et que son djihad à lui, c’est sa famille dont la tâche lui revient de l’entretenir.
Par ailleurs, le témoin est également revenu sur le cursus de son défunt garçon. Il a indiqué que son fils s’appelle en réalité Mouhamadou Lamine Diop. C’est sa mère qui l’a surnommé Moustapha Diop et lui, s’est donné le pseudonyme de Abu Atim, de retour de l’Arabie Saoudite. Cependant, avant son voyage d’études dans ce pays, Moustapha a fait ses humanités à Keur Massar, avant d’aller poursuivre ses études coraniques en Mauritanie où étudiaient également ses deux frères. Mais un an après, le trio est rentré au Sénégal, suite au coup d’Etat contre le Président Ould Taya, en 2005. De retour au Sénégal, Mouhamed Diop a réussi un concours et a rejoint ses frères qui étaient finalement partis en Arabie Saoudite pour poursuivre leurs études.
Si l’un d’eux y est encore, Moustapha a été expulsé de ce pays à cause de ses prêches radicaux, d’après l’accusation. ‘’Je l’ignorais, car il m’avait juste dit qu’il était rentré, car son visa avait expiré’’, a avancé le témoin, suite à la notification du président. Toujours est-il qu’à son retour, Moustapha s’était installé à Ouakam chez un de ses amis, avant d’informer sa famille qu’il retournait en Arabie Saoudite. A en croire le père, son fils voulait repartir avec sa femme, mais il l’avait dissuadé car celle-ci était en état de grossesse avancée. Sa belle-fille est partie avec sa petite-fille, après son accouchement, mais il ne sait pas dans quelles conditions. Au cours de sa déposition, le vieux a également laissé entendre que Moustapha Diop donnait la dépense quotidienne avec ses frères, grâce à leurs bourses d’étudiant. Suffisant pour que le président lui demande s’il était au courant que le défunt avait financé Makhtar Diokhané pour la construction de son daara. ‘’Non, je n’étais pas au courant’’, a-t-il répondu.
Par ailleurs, interpellé sur les relations entre son fils et Makhtar Diokhané, il a déclaré avoir connu ce dernier, lors d’une émission radio sur le ‘’Takfir’’ (mécréance). ‘’Mais à l’enquête, vous avez soutenu l’avoir connu à travers un audio trouvé dans l’ordinateur de votre fils où il faisait l’apologie du djihad’’. Le vieux Diop a réfuté ces propos rappelés par le juge Kane. S’agissant d’Imam Ndao, il a révélé l’avoir connu, lors d’une conférence qu’il a aminée au Lac Rose. Il a confirmé qu’il avait programmé de lui rendre visite, car il a une grande admiration envers le religieux. Alors que l’accusé soutenait que le thème portait l’évolution des mouvements islamiques, le témoin a avancé que l’Imam parlait plutôt de la distinction entre le mensonge et la vérité. ‘’Les groupes Daesh, Boko Haram et les questions de Djihad n’avaient-ils pas été abordés’’, lui a lancé le parquetier. ‘’Je ne me rappelle pas. En tout cas, il ne parlait que du Coran et de la Sunna’’, a-t-il répondu. Et de fulminer : ‘’J’ai pitié de la communauté musulmane, surtout du Sénégal. Un pays où on dit qu’il y a 95% de musulmans, mais, on demande aux individus s’ils sont contre ou pour le djihad.’’
Concernant l’accusé Ibrahima Hann, il a déclaré l’avoir connu le même jour, mais il n’avait pas pris parole, lors de la conférence. ‘’Puisque l’imam était difficilement joignable, je l’appelais pour m’enquérir de ses nouvelles’’, a précisé le témoin qui a soutenu qu’il savait qu’il était sur écoute. Lorsque le parquetier lui a demandé sur quoi s’est-il basé, il a rétorqué : ‘’J’ai fait un rapprochement, car Alioune Diop et moi avons été convoqués à la DIC, quelques jours après avoir communiqué avec Moustapha Diop sur le djihad.’’
Succédant à son père à la barre, Alioune Diop a confirmé l’information selon laquelle, son grand frère cherchait à les rallier à sa cause. ‘’Alors que j’étais au chantier avec mon père, un jour Moustapha m’a appelé. Comme c’était à la veille de la rentrée des classes, je lui ai demandé de m’envoyer des habits, il m’a rétorqué que c’est de la mondanité et des futilités et que nous devions venir le rejoindre faire le djihad’’, a narré l’élève de 17 ans. Poursuivant, il a indiqué que son frangin lui avait dit que son père devait venir avec toute la famille. ‘’Je lui répondu que notre père était assez vieux et que je préférais poursuivre mes études’’. Le président de lui lancer : ‘’A la gendarmerie, vous aviez dit que votre frère vous avait confié qu’il se rendait dans deux pays pour poser des bombes.’’ Alioune Diop de répondre : ‘’J’ai oublié s’il s’agissait de bombe. Il m’a juste parlé de pays, mais j’ai oublié lesquels. C’était lorsque je lui avais demandé quelle sorte de djihad il menait.’’
A la suite du père et du fils Diop, Modou Diop a fait son témoignage. Contrairement au vieux Massamba Diop, le père de Lahad Diop, un autre djihadiste parti au front, était inconsolable. Le sexagénaire n’arrive pas à digérer le départ de son fils en qui il portait beaucoup d’espoir, du fait qu’il était le plus ‘’rangé’’ et ‘’correct’’ de tous ses enfants. ‘’Il devait faire la Terminale. J’avais placé beaucoup d’espoir en lui. Il n’a jamais été obnubilé par l’argent et n’a jamais eu de problème. Le jour où je l’ai entendu faire l’appel du muezzin, j’étais tellement séduit par sa voix que j’en avais pleuré. Maintenant, je n’ai plus aucune de ses nouvelles. C’est ce qui me fait le plus mal et je n’ai personne pour me renseigner’’, s’est plaint le père, en essuyant à l’aide de son voile les larmes perlant sur son visage. ‘’Mais à la gendarmerie (il avait porté plainte contre l’accusé El Hadj Mamadou Bâ dit Mama Bâ), on vous avait dit qu’il était parti en Gambie’’, lui a fait remarquer le président. ‘’J’ignore s’il vit ou s’il est mort. S’il est en mer ou dans l’air. Si on m’avait dit qu’il était en Gambie, je me serais sacrifié pour aller le chercher. Car j’ai 65 ans. Je fais le maximum pour mes enfants que je continue de soutenir. Je suis taximan et j’ai pu envoyer ses deux frères étudier en France’’, a-t-il répondu la voix étreinte d’émotion.
Lorsque le juge lui a demandé s’il avait remarqué un changement chez son fils, il a répondu par la négative. ‘’Le samedi, la veille de son départ, on était ensemble. Quand il sortait, je lui ai remis un billet de 1 000 F mais il me l’a restitué, en me disant qu’il avait de l’argent’’, a raconté le témoin. Et c’est depuis ce jour-là qu’il n’a plus revu Lahad. Le dimanche, des fidèles s’étaient rapprochés de sa famille, car ils avaient remarqué que le garçon n’était pas venu prier toute la journée, alors qu’il était assidu. C’est sur ces entrefaites que l’accusé El Hadj Mamadou Bâ, dit Mama Ba, a été convoqué par la famille du disparu. ‘’J’ai trouvé Mama Sow (pour nommer Mama Ba) en train d’être malmené par mes enfants. Je les ai calmés, en leur demandant de me laisser l’interroger. Ainsi, il m’a avoué qu’il devait voyager avec Lahad, mais lui n’était pas prêt’’, a témoigné le vieux Modou Diop. Sur le motif du voyage, l’accusé lui avait simplement dit qu’ils ne pouvaient plus vivre au Sénégal et lui avait fait savoir que son fils allait l’appeler dans deux jours. Mais cela fait plusieurs années que Modou Diop attend ce coup de fil de la délivrance. Idem pour sa femme qui en est même malade, depuis lors.
Le procès reprend lundi avec le réquisitoire du Parquet.