Installé depuis février dernier, le tribunal de Commerce de Dakar est aujourd’hui à plus d’une centaine de litiges à traiter pour seulement neuf juges consulaires. Ainsi, le directeur adjoint des Affaires civiles et du Sceau du ministère de la Justice, Bienvenu Moussa Habib Dione, estime que l’effectif du personnel de cette instance ‘’mérite d’être renforcé’’. Dans un entretien accordé à EnQuête, le magistrat revient sur la particularité de ce tribunal et les défis auxquels il fait face.
Le Sénégal vient de mettre en place un tribunal de Commerce. Quelle est la particularité de cette instance ?
En juin 2017, le Sénégal a voté une loi, celle n°2017_24 du 28 juin 2017 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux de Commerce et des Chambres commerciales. Le tribunal de Commerce est une juridiction spécialisée. Ces instances sont des tribunaux de premier degré au même titre que les tribunaux de grande instance que sont les anciens tribunaux régionaux et ceux d’instance qui sont les anciens tribunaux départementaux.
Au niveau de ces tribunaux d’instance, on a des juridictions de droit commun et celles spécialisées. Ces dernières sont celles dont les compétences sont spécifiquement fixées par la loi. Les autres matières qui ne sont pas spécifiquement attribuées à la loi, à d’autres juridictions, relèvent des juridictions de droit commun. Et ce dernier par excellence, c’est le tribunal de grande instance. Et actuellement, on a le tribunal de Commerce qui connaît spécifiquement les actes commerciaux ou mixtes. C’est une juridiction spécialisée, spécifiquement chargée de connaître des contentieux entre commerçants.
Comment se passe l’organisation du travail au sein de cette instance ?
La composition du tribunal est spécifique déjà. Généralement, les juridictions de droit commun sont souvent composées de juges professionnels. Mais pour le tribunal de Commerce, on a aussi bien des juges professionnels que consulaires. C’est ce qu’on appelle une composition mixte de magistrats et juges consulaires qui sont des professionnels du commerce et de l’industrie. Ce sont ceux-là qui participent, aux côtés du juge professionnel, à l’instruction des dossiers et à la prise de décision.
Le fonctionnement interne relève de l’administration du tribunal sous l’autorité de son président. Il y a 4 chambres qui ont été mises en place, pour le moment. C’est la chambre présidentielle, c’est-à-dire tout ce qui relève des compétences présidentielles, à savoir les requêtes, injonctions de paix, les référés, etc. A côté, il y a deux chambres qui sont à compétence générale et la 4e est celle des procédures collectives. Cette dernière est chargée de gérer la situation des entreprises en difficulté. Soit dans le sens de leur redressement ou de leur liquidation, lorsque leur situation est irrémédiablement compromise. Chaque chambre est présidée par un magistrat professionnel titulaire avec son suppléant et il est assisté de deux juges consulaires et de leurs suppléants.
Vu que c’est une juridiction nouvelle, n’y a-t-il pas un problème de personnel ?
Naturellement. Aujourd’hui, au niveau de ce tribunal, il n’y a que 9 juges consulaires. La première liste qui avait été agréée ne comportait que 17 juges consulaires. Les 7 ont été affectés aux chambres commerciales d’appel. Parce qu’en appel aussi, au niveau de la Cour d’appel, il y a une chambre commerciale qui a été créée qui va connaître en appel les décisions rendues par le tribunal du commerce. Huit ont été affectés au niveau des autres chambres commerciales. A côté, il y a aussi, les magistrats qui sont 4. Là, on comprend que l’effectif est tout à fait suffisant. Et les affaires vont crescendo et depuis son fonctionnement, ils sont à plus de 100 affaires à traiter. Donc, l’effectif mérite d’être renforcé.
Donc ici aussi, les parties auront la possibilité de faire recours, après une décision rendue par le tribunal ?
Effectivement ! C’est un tribunal de première instance, qui juge en première instance. Mais la loi a prévu aussi un taux en-deçà duquel l’appel n’est pas permis. Lorsque les litiges portent sur un taux de zéro franc à 25 millions de francs CFA, il n’y a pas d’appel. On ne peut faire que de la cassation. Si c’est au-delà de cette somme, le tribunal statue à charge d’appel. C’est-à-dire : quand on n’est pas d’accord, on fait appel. Si après cette décision, on n’est pas d’accord, on peut aller au niveau de la Cour communautaire dont le siège se trouve en Côte d’Ivoire.
Quels sont les attributions de ce tribunal ?
Le tribunal connaît les contestations relatives aux engagements et transactions entre les commerçants au sens de l’Acte uniforme relatif du droit commercial général, des différends entre associés d’une société commerciale ou d’un groupement d’intérêt économique (Gie), etc. Toutefois, dans les actes mixtes, la partie non commerçante demanderesse peut saisir les tribunaux de droit commun.
Quels sont les genres de litiges qui y sont les plus traités ?
Il y a les procédures collectives d’apurement du passif qui sont les cas les plus fréquents. Il y a les contentieux bancaires et les conventions de signature de contrats, les créances. Parfois, les gens qui sont en attente d’une réponse favorable à leur demande de crédit attendent tellement longtemps que lorsqu’on leur dit que le crédit est disponible, ils signent le contrat les yeux fermés sans lire, sans faire attention aux clauses. Il y a aussi le contentieux maritime avec le transport de marchandises. Le secteur des assurances enregistre également de nombreux différends. Il y a en même temps tout le contentieux annexe, notamment ceux pour non-respect des clauses d’un bail à usage commercial.
Comment jugez-vous la collaboration entre les acteurs du commerce et les magistrats au sein de ce tribunal ?
Avant, dès qu’une entreprise était attraite devant le tribunal, c’était pratiquement une mort et parfois, les gens suivaient des procédures durant plus de 30 ans. Le juge souvent ne connaît pas le monde de l’entreprise. Il traite le cas sans tenir compte de l’environnement de l’entreprise, de la réalité des emplois qu’il y a derrière. Généralement, ils aident l’entreprise plus à mourir qu’à vivre. Ce qui est important, ici, c’est qu’il ne faudrait pas qu’on considère l’entreprise qui a des difficultés et qu’on attrait devant le tribunal. Le pari, avec le nouveau tribunal de commerce, c’est que, par la présence de juges consulaires, qui sont choisis par leurs pairs et qui ont fait au moins l’expérience dans la direction d’une entreprise, ils vont permettre au juge de connaître le rôle d’une entreprise ; mais aussi, ils peuvent l’assister techniquement. C’est pour cela que la loi les a impliqués. Parce que c’est eux-mêmes qui commettent en leur sein une liste de personnes à partir de laquelle le ministre de la Justice agrée les juges consulaires. Le défi est que les procédures soient diligentes et que les décisions du juge soient cohérentes.
Est-ce qu’aussi, comme dans les tribunaux classiques, il y aura des audiences ?
Il y a toutes les audiences. Il y a d’abord celle de répartition. Quand le président reçoit les dossiers, il faut bien qu’il les répartisse entre chaque chambre. Le pari que veut le texte, puisqu’il prévoit même pour la première fois des procédures électroniques, c’est lorsque la plateforme électronique sera mise au parquet, que le président se passe même de cette audience. Parce qu’une fois qu’il a les dossiers en ligne, il peut automatiquement les répartir. Ce qui fait qu’on va gagner du temps. Une fois que la chambre hérite d’un dossier, elle désigne le juge de la mise en état. C’est celui qui est chargé de vérifier la régularité des échanges d’écriture des conclusions des avocats et celle aussi de la transmission et de la communication des procédures. Parce que la procédure civile est contradictoire. Toute pièce produite, évoquée, doit être communiquée à l’autre partie, de même que toute écriture.
Est-ce que les gens qui sont dans les régions peuvent venir à Dakar pour des litiges, vu que c’est la seule région qui abrite le tribunal de commerce ?
Le tribunal est créé à Dakar. L’objectif, c’est que dans chaque pôle économique, il y ait un tribunal de commerce. En attendant que toutes les régions en disposent, les litiges commerciaux vont continuer à être jugés par les tribunaux de grande instance, tout en appliquant les dispositions de la loi relative au tribunal de commerce.