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Révélations explosives de Makhtar Diokhane : Le présumé terroriste confirme le projet d’Etat islamique au Sénégal par Daesh
Publié le jeudi 3 mai 2018  |  Enquête Plus
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L’audition tant attendue de Makhtar Diokhané alias Abu Anwar a démarré lundi et se poursuivra aujourd’hui. Face aux juges de la Chambre criminelle spéciale, celui qui est désigné comme l’un des cerveaux de l’affaire Imam Ndao a clamé son innocence, tout en confiant avoir reçu plusieurs millions de francs CFA de la part de Aboubakar Shekau, leader de Boko Haram au Nigeria et d’un autre djihadiste sénégalais basé en Libye. Le présumé terroriste a également fait une révélation explosive, notamment le projet de Daesh d’instaurer au Sénégal un Etat islamique à l’horizon 2016-2017. Récit d’une journée d’audience.



Pour la 13ème journée du procès de l’imam Alioune Ndao et Cie, lundi dernier, la salle d’audience n°4 a retrouvé son public. Elle s’est même révélée trop petite, vu la longue file d’attente dehors. Personne ne voulait se faire raconter l’audition de Makhtar Diokhané alias Abu Anwar, l’un des cerveaux de cette affaire de terrorisme, la star même du groupe. Car, à chaque suspension d’audience, c’est son nom qu’on siffle. ‘’Makhtar, Makhou. Je suis votre fan’s n°1’’, entend-on souvent dans le public. Un public qui, tout au long d’une audition fleuve de sept tours d’horloge, a eu par moments des sueurs froides. Car, après le récit d’Abdou Hakim Mbacké Bao (il a révélé lors de sa comparution comment confectionner des explosifs et faire exploser des véhicules et bâtiments de tout genre), celui de Makhtar Diokhané alias Abu Anwar a été tout aussi terrifiant.

Le présumé terroriste, qui comparaissait à la barre de la chambre criminelle spéciale du TGI (Tribunal de grande instance) de Dakar, a fait état du projet avorté de Daesh d’instaurer un Etat islamique entre le Sénégal, la Gambie et les deux Guinées (Bissau et Conakry). Programmé pour l’horizon 2016-2017, le projet visait d’abord à installer une instabilité en Gambie par un coup d’Etat. L’accusé a déclaré aux juges avoir vu le document dans un groupe ‘’Telegramm’’, mais n’a jamais adhéré à ce projet et dont il a même oublié le mode opératoire, puisque n’étant pas le concepteur. ‘’Vous aviez dit à l’enquête : je pense que comme ils font d’habitude, ils vont agir selon la méthode des attentats-suicides, les attentats contre les véhicules, les banques, l’attaque des casernes avec un effectif qui ne doit pas dépasser 300 hommes’’, lui a rappelé le président Samba Kane, lui reprochant de n’avoir pas avisé les forces de sécurité face à une tentative de déstabiliser son pays. ‘’Je n’avais pas de temps et je ne croyais pas que c’était un projet sérieux’’, s’est défendu le natif de Gounass dont la troisième épouse et l’unique fille, née après son incarcération, seraient en Libye.

Poursuivant, le juge lui a fait savoir qu’il avait aussi indiqué aux enquêteurs que les combattants sénégalais du Nigeria et de la Libye, notamment Mouhamed Diop, Abdallah Ba, Abdallah Dièye, Ibrahima Ba, Zaid Ba avaient adhéré. ‘’Ce sont les gendarmes qui m’ont dit qu’ils étaient en Libye’’, a précisé le maître coranique.

Les 42 millions de Mouhamed Diop…

D’ailleurs, c’est avec le nommé Moustapha Diop que Makhtar Diokhané a commencé par flirter avec le milieu djihadiste. En fait, après un cycle primaire à Dakar, l’accusé était parti à Kaolack pour faire le secondaire. Mais sa passion pour la religion l’a poussé à se consacrer aux sciences islamiques, alors qu’il était en classe de 1ère S. Après des études coraniques, il a fini par créer son propre daara à Bambilor, en 2007. Par la suite, il est parti en Mauritanie avant de revenir à Dakar. Au bout d’un an, il a fermé son daara pour se rendre au Nigeria, suite à un contrat que lui a décroché le sieur Diop. ‘’Pourquoi avez-vous fermé votre daara ?’’ Suite à cette interpellation du juge, l’accusé a rétorqué : ‘’Il y avait de plus en plus de cas sociaux et j’avais commencé à avoir des problèmes financiers.’’

L’autre raison, il avait commencé à avoir peur à cause des personnes inconnues qui assistaient à leurs réunions. Celles-ci étaient tenues, suite à l’attaque d’une mosquée à Diourbel, par des fidèles mourides. Un des proches de l’imam avait été blessé et des jeunes sunnites avaient décidé d’apporter la riposte. ‘’Les jeunes sunnites, y compris Moussa Mbaye et moi-même, avions tenu une réunion pour réfléchir à comment prévenir ce genre de situation, car ce n’était pas la première fois. A Niary Tally, un de nos responsables a été victime’’, a renseigné Makhtar Diokhané. Il a précisé que l’idée était d’assurer la sécurité à travers l’APAM (Association pour la promotion des arts martiaux) mise sur pied par le nommé Ahmed, garde du corps du Dr Ahmad Lô.

‘’Il n’était pas prévu une recherche d’armes ?’’ l’a interrompu le juge. ‘’Non j’ai entendu une rumeur dans ce sens. D’ailleurs, c’est pourquoi j’ai fermé mon daara, puisque les gens commençaient à sortir du cadre initial de cette initiative destinée à protéger les responsables qui animaient des conférences’’, a rectifié Makhtar Diokhané. Le juge de lui rappeler qu’à l’enquête, il avait déclaré que lui et Ahmed, acculés par leurs « frères », avaient décidé d’aller chercher des armes. Toujours est-il qu’après la fermeture de son daara à la cité Gadaye, le maître coranique est parti en Mauritanie où il avait un contrat d’un an.

C’est là-bas qu’il a connu Moustapha Diop qui, un jour, l’a appelé en lui disant qu’il voulait faire sa connaissance, car il avait entendu son nom auprès des étudiants sénégalais d’Arabie Saoudite. Tout en précisant que son ami Aboubacry Guèye les avait mis en rapport, il a indiqué que Moustapha Diop lui a fait savoir qu’il pouvait facilement lui trouver un financement provenant de l’Arabie Saoudite. ‘’Il m’a remis 65 000 Euros (42,5 millions CFA) par l’entremise d’un étudiant sénégalais. Je suis venu à Dakar récupérer l’argent qui devait servir à financer mon daara’’. A peine a-t-il fini que le juge lui a signifié que son bailleur a été expulsé d’Arabie Saoudite pour ses prêches ‘’violents’’. ‘’C’est vous qui me l’apprenez’’, a réagi Abou Anwar.

Quid de l’usage de l’argent ? Makhtar Diokhané a soutenu l’avoir confié à son épouse Coumba Niang, avant son départ pour le Nigeria, sans même l’informer de la provenance. Il lui avait juste expliqué que c’était destiné à un daara. L’accusé a contesté avoir demandé à son épouse de confier l’argent à son tour à Marième Sow. Il a également allégué qu’il ignorait que sa dame avait remis 14 millions à Mouhamed Ndiaye et 4 à Latyr Niang à leur retour du Nigeria. Il ne savait pas non plus que son co-accusé Abu Omar avait acheté les deux téléphones pour ses deux épouses. ‘’Tout ce que je sais, c’est que mon argent a été dilapidé’’, s’est-il plaint.

En revanche, il n’a pas contesté les 500 000 F CFA remis à Aboubacry Guèye. ‘’J’avais des soupçons sur lui. Donc, je craignais que, de retour au Sénégal, il n’influence des jeunes à aller faire le djihad. C’était un moyen de l’éloigner’’, a confié l’accusé. Mais le substitut Aly Ciré Ndiaye a trouvé curieux le fait qu’il ait accepté l’argent de Moustapha Diop, alors qu’il savait son appartenance à Daesh et malgré aussi leur différend. Makhtar Diokhané a avancé que ce n’est pas l’argent du djihadiste. Sur leur différend, il a révélé que lors d’une réunion, le djihadiste invitait les jeunes à rejoindre Daesh et critiquait les savants du Sénégal. Il taxait le professeur feu Omar Sankaré de mécréant, à cause de son livre intitulé ‘’ Le Coran et la culture grecque’’.

Le contrat de près de 12 millions de Boko Haram

Outre ce financement, Moustapha Diop lui a trouvé un contrat pour le Nigeria. Quand il est revenu à Dakar, celui-ci lui a envoyé un message via l’application ‘’telegramm’’, pour l’informer qu’un de ses amis du nom de Abu Saïd, un Tchadien basé en Arabie Souadite, avait besoin d’un enseignant. ‘’Il m’a proposé un contrat de 1 800 Euros (11,7 millions F CAF) pour un an. Lorsque nous sommes tombés d’accord, il m’a dit qu’il allait m’envoyer mon transport par le biais de Ibrahima Ba, frère de Zaid Ba qui m’a remis 150 000 F’’, a raconté l’accusé. ‘’Pourquoi vous n’avez pas négocié le prix du transport et pourquoi la voie terrestre, alors que vous aviez de l’argent et un passeport ?’’ Comme réponse, Makhtar Diokhané a soutenu qu’il ne connaissait pas le Nigeria et qu’il n’a fait que suivre les indications.

‘’Bizarrement, c’est le même Ibrahima Bâ qui a financé le voyage de vos co-accusés partis au Nigeria’’, lance le juge. ‘’C’est lorsque j’ai entendu son nom que j’ai compris que toutes ces personnes ont été flouées’’, a répliqué l’accusé. Alors que l’accusation le présente comme le remplaçant du responsable de l’enseignement de la secte Boko Haram, Abu Anwar a avancé qu’il exerçait son métier d’enseignant dans la ville de Handak, situé à 5 ou 6 km d’Abadam. Par conséquent, il n’était pas dans le fief de Boko Haram. ‘’Pourquoi vous êtes restés 40 jours à Abadam, alors que le lieu d’exécution de votre contrat était Handak ? Et qui vous prenez en charge ?’’ a relancé le juge. Réponse de l’accusé : ‘’J’attendais la personne qui devait m’emmener. Je ne pouvais pas lui forcer la main et c’est Abu Amir qui me prenait en charge.’’

Dans le PV, il aurait déclaré que deux éléments de Boko Haram se présentaient régulièrement pour lui. ‘’Peut-être que c’est ça, mais je l’ignorais’’, s’est défendu l’enseignant.

Les 11 millions de Shekau

Après avoir interpellé l’accusé sur les raisons qui l’ont poussé à partir pendant huit mois sans aviser ses épouses, le juge Kane a confondu Abu Anwar avec les propos de ses co-accusés qui l’ont présenté comme une personne influente au sein de Boko Haram. Car, les djihadistes qui étaient partis au Nigeria lui doivent leur retour. ‘’Vos co-accusés disent que vous occupiez une place importante.’’ A cette interpellation du magistrat, l’accusé a déclaré que c’est parce qu’il est un enseignant bien respecté. Revenant sur son intervention en faveur de ses compatriotes, il a allégué avoir d’abord refusé, au motif qu’il ignorait leur présence dans le fief de Boko Haram, avant d’agir par patriotisme. Aboubacry Guèye lui a fait part des problèmes des Sénégalais à propos de la détention de la carte d’identité. ‘’J’avais mal au cœur, car j’ai retrouvé les Sénégalais dans une situation difficile. Mouhamed Mballo avait commencé à perdre la tête’’, dit-il.

C’est dans ces circonstances qu’il a rencontré le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, à Sambissa. Interpellé sur le choix de sa personne, alors qu’ils sont tous arrivés en même temps, Diokhané a déclaré : ‘’Peut-être que c’est dû au fait que nous nous sommes rencontrés à Abadam, mais je n’ai convoyé personne’’. Revenant sur sa rencontre avec le chef de Boko Haram, Abu Anwar a expliqué qu’elle a duré de 9h à 17h, car ils étaient souvent interrompus par la venue de délégations. A l’en croire, il a réussi à convaincre le terroriste sans contrepartie. Néanmoins, en sortant de la zone, Aboubacry Guèye lui a remis 6 millions de Nairas soit 15,6 millions FCFA de la part d’Aboubakar Shekau. Il m’a dit que la moitié de l’argent, c’est pour moi, et l’autre était pour les combattants qui ont été libérés. ‘’Je ne lui ai rien promis. J’ai joué la carte de la diplomatie, en lui faisant croire que j’acceptais son autorité. J’ai réussi à lui faire comprendre que détenir une carte d’identité n’est pas un acte de mécréance. Je l’avais impressionné’’, a relaté l’accusé.

Mais ce qui a intrigué le substitut Aly Ciré Ndiaye, c’est le courage qui l’a poussé à entrer en contact avec Shekau, d’autant plus que ne le rencontre pas qui veut. ‘’C’était pour ne pas être accusé de non-assistance à personne en danger’’, s’est justifié l’accusé, avant que le maître des poursuites n’enchaîne : ‘’S’ils sont en danger et ont fait appel à vous, c’est parce que vous avez contribué à les mettre en danger’’. Mais Makhtar Diokhané n’a pas voulu se laisser démonter, en accusant les autorités. ‘’Je pense que les autorités n’ont pas joué leur rôle en aidant les citoyens à comprendre leur religion. Cela a poussé les individus à aller faire la « hijra » qui est la recherche d’une vie meilleure’’, a-t-il dit au maître des poursuites qui lui a demandé s’il ne trouvait pas curieux que les gens ne se rendent que dans les zones de conflit ? ‘’Vous voyez les gens quitter Dakar et aller en Casamance’’, a-t-il répliqué, plongeant la salle dans un fou rire. Lorsque le parquetier lui a balancé qu’il n’y a pas de guerre en Casamance, il a cité le drame de Boffo Bayotte.

Diokhané blanchit l’imam Ndao et affirme être intéressé par les questions de djihad

Si l’accusation a relevé que le retour des Sénégalais était assujetti à l’installation d’une cellule terroriste dans le Sud du pays, Abu Anwar l’a réfuté. Toutefois, il a reconnu avoir imposé trois conditions à ses compatriotes libérés. Notamment, il devait être leur porte-parole et ne rien faire ou dire sans son aval, et les combattants devaient rester à l’écoute, en attendant qu’il les mette en rapport avec un sage qui leur servirait de conseiller. ‘’A l’enquête, vous parliez de règle. La première, tout le groupe devait vous reconnaître comme étant le coordonnateur. La deuxième, qu’ils seront soumis à l’autorité entière d’un sage que vous allez désigner ou placer à leur tête. La troisième règle, c’est qu’ils doivent accepter le règlement que vous avez élaboré’’, lui a rappelé le président avant de lui demander qui était ce sage. ‘’C’est Imam Ndao’’, a révélé Makhtar Diokhané. Toutefois, il a précisé que l’imam n’en n’était pas informé, mais il voulait juste que le religieux conseille les jeunes pour qu’ils ne soient plus manipulés. C’est ce qui explique l’escale à Kaolack avec Mouhamed Ndiaye alias Abu Youssouf et Ibrahima Diallo alias Abu Oumar à leur retour du Nigeria.

Mais également, il voulait rendre visite au fils de sa 3ème épouse pensionnaire au daara de l’imam. Contrairement à Abu Oumar qui a soutenu, lors de sa comparution, avoir informé l’imam de leur séjour au Nigeria, Abu Anwar prétend que leur co-accusé n’était pas au courant. Dans la même veine, il a laissé entendre qu’Imam Ndao n’était pas au courant du projet de Daesh et qu’il n’avait pas l’intention de lui en parler. Quid de Saliou Ndiaye alias Baye Zal ou Salih, il a contesté l’avoir appelé pour vérifier si Ibrahima Ba était au Sénégal afin d’obtenir le numéro de Mouhamed Diop qui devait lui faire le point sur les combattants sénégalais de la Libye.

Car, ces derniers voulaient également revenir comme ceux du Nigeria, mais ils ont été empêchés par leur ami. ‘’Je vous rappelle que cela coïncide avec la publication du 7 juillet du message de Abu Hamza proférant des menaces contre le Président Sall et l’armée sénégalaise. C’est à la suite de ce message que les poursuites ont été déclenchées’’, a lancé le juge. Sur ses relations avec Omar Diaby, franco-sénégalais surnommé Omsen, Abu Anwar a déclaré l’avoir rencontré, mais a appris qu’il était un djihadiste d’Aqmi bien après. Il a révélé que ce dernier lui a même offert un livre sur Ossama Ben Laden et qu’il est très intéressé par les questions de djihad. Si cette question l’intéresse tant, c’est parce qu’elle concerne la religion mais, a-t-il ajouté, il est loin d’être un terroriste ou djihadiste. C’est pourquoi il n’adhère pas à tout le contenu de l’encyclopédie qualifiée de guide du parfait djihadiste qu’il a tirée d’internet et retrouvée chez Coumba Niang. Mais, d’après le président, il avait dit au juge Samba qu’il était d’accord avec le contenu sauf le port des signes de la chrétienté.

Le procès se poursuit aujourd’hui avec le contre-interrogatoire de la défense.

FATOU SY
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