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Mamadou Diouf (ancien SG Sudes Et CSA) : ‘’Il y a beaucoup à améliorer dans l’organisation et la gestion de la lutte par les centrales syndicales’’
Publié le mercredi 2 mai 2018  |  Enquête Plus
Mamadou
© Autre presse par DR
Mamadou Diouf, ancien secrétaire général du Sudes et de la Csa
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Les centrales syndicales gagneraient à se faire sentir davantage aux côtés des organisations de base. L’affirmation émane de Mamadou Diouf, ancien secrétaire général du Sudes et de la Csa. Seulement, admet ce cacique du champ social sénégalais, la profonde division et les intérêts en jeu ne facilitent pas les choses.



Dans le contexte actuel et même bien avant, il y a plusieurs mouvements de revendications, mais on n’entend pas trop les centrales syndicales. Comment ça s’explique ?

De mon point de vue, les centrales syndicales ne sont pas des abstractions, elles sont composées d’organisations et la plupart de ces organisations qui s’expriment actuellement sont dans des centrales. Vous avez beaucoup entendu Elimane Diouf, par exemple, ces temps-ci. Il est le secrétaire général de la Csa, en même temps celui d’un syndicat (Sde). Il y a la coalition des centrales qui regroupe les plus représentatives. Ce qui est sûr, c’est que tous les camarades secrétaires généraux de centrale sont souvent engagés dans des secteurs qui sont en train de s’impliquer.

Le moment privilégié pour ces organisations pour s’exprimer, c’est aussi le 1er Mai, pour porter la totalité des revendications des travailleurs à la présidence de la République. C’est aussi un temps fort de sensibilisation. Le problème, c’est au niveau de l’Etat. Généralement, les plateformes sont déposées le 1er Mai et on attend la veille pour s’agiter, convoquer et évaluer. J’ai vu que dans le dernier communiqué du Conseil des ministres, on demande d’évaluer. On n’évalue pas les revendications à la veille du 1er Mai. Pour éviter les crises, c’est quand on sort du 1er Mai que l’on reçoit les cahiers de doléances et on a un an pour les traiter. Donc, il va de soi que dans le contexte actuel, les centrales n’ont pas beaucoup parlé, mais elles se sont exprimées à travers leurs composantes. Maintenant, il faut peut-être sentir davantage leur présence à côté des organisations de branche.

C’est ça en fait le problème, les organisations appartiennent aux centrales, mais on ne les entend pas. Pourquoi ?

Ça dépend de ce que vous appelez ‘’on ne les entend pas’’. Une centrale syndicale peut ne pas prendre une position publique, mais accompagner en permanence son syndicat professionnel. On peut ne pas avoir une expression publique, alors qu’elle est proche de son syndicat. Je connais les secrétaires généraux de centrale, je sais qu’Elimane Diouf, en tant que secrétaire général de la Csa, est en train de suivre. Il se réunit, conseille, écoute ses camarades affiliés qui sont en lutte. La dernière fois, lorsque le Premier ministre recevait le Saes, j’ai vu, à côté des travailleurs, Mademba Sock, Secrétaire général de l’Unsas. J’ai entendu Mody Guiro et Cheikh Diop, ainsi de suite. Parfois, ce n’est pas médiatisé, mais ils sont quand même à côté.

Maintenant, les gens se demandent à quoi servent les centrales, où sont-elles. En réalité, elles sont dans l’accompagnement quotidien de la vie des syndicats affiliés, elles réunissent leur secrétariat toutes les semaines, elles conseillent et orientent.

Sauf qu’on ne les sent pas mettre la pression davantage sur le gouvernement pour la prise en charge des revendications.

Peut-être c’est à ce niveau-là. Il arrive un moment où, quand les organisations syndicales atteignent certaines limites, il est important, effectivement, que la centrale syndicale vienne en relais. On peut prendre l’exemple de cette crise scolaire. Je pense qu’il est grand temps que les centrales syndicales prennent les choses en main. Selon mes informations, c’est en train d’être fait. J’ai entendu les différents secrétaires généraux de centrale avoir une approche sur cette question. Il faut également que les syndicats de branche sachent qu’ils sont dans des centrales et que certaines initiatives, qu’ils les prennent en relation avec les centrales. Souvent, le problème de fond, également, c’est qu’il y a des secteurs où les gens ont tellement la tradition d’autonomie de travail en solo que, des fois, leurs centrales apprennent leurs initiatives en même temps que les autres. Je crois qu’il y a là une question de culture syndicale et de culture d’unité syndicale qu’il faut entretenir pour que les travailleurs des différents secteurs professionnels sentent davantage qu’ils sont dans des centrales et qu’eux-mêmes, au départ, impliquent davantage leurs centrales. Mais s’ils mènent des actions solitaires et attendent d’être au bord de l’impasse pour dire que l’on ne voit pas les centrales syndicales, ça aussi ce n’est pas rendre justice aux centrales syndicales. Des fois, on voit des secteurs qui développent leurs initiatives de façon unilatérale et, quand ils sont devant le mur, ils s’attaquent aux centrales. Ça aussi, ce n’est pas bon.

Cela veut dire, aujourd’hui, qu’il y a clairement un hiatus entre les syndicats de base et les centrales, n’est-ce pas ?

C’est difficile de parler de hiatus, parce que dire qu’il y a hiatus, c’est dire qu’il y a conflit.

Pas conflit, mais un écart entre les deux, non ?

Je vous ai donné un cas concret. Aujourd’hui, est-ce que les travailleurs de la Sde peuvent dire que la Csa est à l’écart, puisque c’est le secrétaire général de la Csa qui est en même temps le coordonnateur de l’Intersyndicale qui est en lutte. Est-ce que les enseignants peuvent le dire, quand on sait que le secrétaire général adjoint de la Csa (Ibrahima Guèye du Sudes) est dans l’Inter-cadre et l’autre (Souleymane Diallo) est dans le groupe du G6 et ils sont actifs. C’est ça, souvent, il y a des phrases que l’on lance comme ça et que l’on n’analyse pas. Mais quand on l’analyse, il est difficile de le démontrer. Je ne sais pas Ibrahima Guèye ou bien Abdou Faty, Souleymane Diallo à quel moment ils sont uniquement enseignants et à quel moment ils sont membres du bureau confédéral de telle centrale agissant au nom de la centrale. Moi-même, on me l’a reproché. A l’époque (quand il était à la fois Sg du Sudes et de la Csa), on me disait : on ne voit pas les centrales. Je dis : moi qui vous dirige, je suis secrétaire général de telle centrale.

Au moment où certains me disent : on ne sent pas la Csa dans notre lutte, alors que moi, le secrétaire général de la Csa, j’étais à la pointe. Quelqu’un d’autre me dit : vous ne parlez que des problèmes des enseignants ; vous ne parlez pas des problèmes des autres secteurs. Ce n’est pas facile, parfois. Mais là où je suis d’accord avec vous, c’est qu’il faut que les centrales s’impliquent davantage et n’attendent pas. Il aurait été bon, il y a un mois ou deux, au moment où la crise commençait, que l’on sente tout de suite la coalition des centrales les plus représentatives dire attention. Mais je suis persuadé que, même si elles n’ont pas donné de position publique, dans les instances ou les réunions internes, elles ont posé le problème. En tout cas, c’est ce qui se faisait quand j’étais là et je pense que c’est ce qui est en train de se faire.

Si on prend le système de rémunération de la Fonction publique soulevé actuellement par les syndicats de base. N’est-ce pas là une question transversale qui devait être portée par les centrales ?

Le dernier 1er Mai auquel j’ai assisté, c’est en 2016. L’un des points forts de la plateforme minimale que nous devions plaider et porter auprès du chef de l’Etat, c’était la question du système de rémunération des agents de l’Etat. J’avais plaidé pour la mise en place d’une intersyndicale de la Fonction publique, pour que tous les travailleurs de la Fonction publique portent le combat. Les enseignants ne peuvent pas régler cette question séparément. Pareil pour les médecins. C’est donc des structures fédératrices qui peuvent le faire. A défaut des centrales syndicales, il faut une intersyndicale de la Fonction publique, sinon chaque syndicat va tirer de son côté et il y aura toujours des déséquilibres. Aucun syndicat isolé ne peut porter cette question et la mener à terme.

Il y a quatre ou cinq centrales les plus représentatives qui travaillent presque dans l’unité. Comment se fait-il qu’elles n’aient pas porté ce combat ?

Elles ne l’ont pas peut-être mené à terme, mais elles l’ont porté. Cette année, honnêtement, je ne sais pas encore quels sont les points phares sur lesquels elles vont insister. Le dernier 1er Mai auquel j’ai participé en tant que secrétaire général, je sais que l’un des points forts, c’était le système de rémunération. Ça été plaidé et il y a eu une volonté de mobilisation. Maintenant, qu’est-ce que c’est devenu après ? Franchement, je ne peux pas le dire, je ne sais plus parce que je ne participe plus au débat interne de la coalition. Mais je pense que la coalition est très consciente de cette question.

Vous avez dit toute à l’heure que l’Etat attend la veille du 1er Mai pour parler des cahiers de doléances. Si l’Etat se le permet, c’est parce que les centrales sont quelque part apathique ?

Ça c’est clair ! Je pense qu’il y a beaucoup de choses à améliorer dans l’organisation et la gestion de la lutte de façon globale par les centrales syndicales. La plupart des protocoles, on les signe autour du 14 avril. J’ai vu le dernier ou l’avant-dernier Conseil des ministres où le chef de l’Etat donne des instructions pour que l’on évalue les plateformes de l’année dernière. Si c’est à la veille du 1er Mai que l’on évalue, ce n’est pas bon, ce n’est pas avoir une logique de prévention de crises.

Finalement, est-ce que le pacte signé avec le gouvernement n’a pas empêché les centrales de faire réellement leur travail ?

Honnêtement, il faut évaluer le pacte pour voir est-ce qu’il a véritablement servi les travailleurs. Le pacte a été signé après la première conférence sociale ; il y a eu une seconde conférence sociale. A l’époque d’ailleurs, je disais est-ce que l’on peut aller à une nouvelle conférence sociale sans évaluer auparavant la mise en œuvre de la première feuille de route ? Il est bon de savoir, par rapport aux différents engagements, qui a fait quoi dans ce sens-là. Est-ce que l’autre partie a respecté ses engagements. Ce n’est pas mon sentiment, mais je pense qu’il faut effectivement faire cette évaluation globale.

En tout cas, les grèves tous azimuts indiquent qu’il n’y a pas respect des engagements.

Ça donne une idée, c’est vrai. Mais toutes les organisations qui sont en grève ne sont pas membres des centrales syndicales. Dans le secteur de l’éducation, il y a beaucoup de syndicats qui ne sont membres d’aucune centrale. La réalité aussi est que le pacte a été signé non pas de façon sectorielle, mais de façon globale. La difficulté, je pense, c’est le niveau d’implication des syndicats de branche dans la mise en œuvre du pacte. Si ça ne fonctionne pas, quels que soient les engagements pris par les centrales avec le gouvernement et le patronat, les syndicats de branche vont défendre leurs intérêts.

Depuis une dizaine d’années, il n’y a pas eu d’actions d’envergure venant des centrales syndicales. Est-ce une mutation des centrales ?

Le grand mal du mouvement syndical sénégalais, c’est la division. Dans certains pays voisins, on a des syndicats qui font 100 000 à 500 000 travailleurs. Ici, on a 20 centrales syndicales qui se partagent moins de 500 000 travailleurs. Il est difficile de gérer des luttes efficaces dans ce contexte. Je pense que les mouvements syndicaux doivent travailler à l’unité pour constituer une force de frappe, de dissuasion et de négociation. Si la division est telle que les capacités de lutte et de négociation sont annihilées, il est difficile de mener des luttes d’envergure. Nous avons tenté, en 2008 et en 2009, de faire des grèves générales, mais la situation a été telle qu’il y avait, d’un côté, l’Intersyndicale des centrales qui voulait aller en grève générale, de l’autre, le Front unitaire qui pensait que puisqu’il y a eu une première tentative qui n’a pas marché, mieux vaut arrêter. A la veille de la grève, un pan important de l’Intersyndicale s’est désisté. Il y a beaucoup d’intérêts en jeu, en réalité.

PAR BABACAR WILLANE
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