Malgré toutes les initiatives prises par l’Etat et la société civile, les enfants continuent toujours à mendier dans les rues. Lors d’un atelier sur la question hier, l’harmonisation des procédures a été présentée comme la nouvelle solution.
La fréquence et l’acuité du phénomène de la mendicité des enfants sont préoccupantes. A longueur de journée, ces mômes arpentent les rues des grandes villes à la recherche de pitance. Pourtant, lors de la réunion du conseil des ministres du 22 juin 2016, le chef de l’Etat a donné instruction aux différents départements ministériels concernés de prendre les dispositions nécessaires pour retirer les enfants de la rue. En vue de matérialiser cette décision, le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance, par le biais de la Direction de la protection de l’enfant, a mis en œuvre, pendant 10 mois, un plan de retrait des enfants de la rue. Cette initiative a permis de retirer et réinsérer 1 585 enfants.
Toutefois, estime le représentant régional au Haut-Commissariat des droits de l’Homme, Andrea Ori, des efforts restent à faire, particulièrement en termes d’organisation et de procédures. Ainsi, dans le cadre du ‘’Projet d’appui à l’éradication de la mendicité et la maltraitance des enfants au Sénégal’’, l’Hcdh, le Bureau régional pour l’Afrique de l’ouest, le ministère de la Justice, à travers la Direction de l’éducation surveillée et de la protection sociale (Desps), ont organisé, hier, un atelier d’élaboration de procédures opérationnelles standards pour le retrait des enfants de la rue. Coïncidant ainsi avec la journée de l’enfant Talibé célébrée chaque année le 20 avril et le 70ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (Dudh).
Les acteurs ont, de ce fait, plaidé pour une synergie d’actions pouvant rendre les interventions efficaces et efficientes et mettre un terme à la violation des droits des enfants. ‘’De nombreux acteurs (institutionnels et organisations de la société) s’activent dans le retrait des enfants de la rue selon des approches et modèles différents. Cette situation ne milite pas à assurer une efficacité des interventions, mais surtout, elle pose des difficultés dans la collecte des données’’, regrette Andrea Ori. Représentant la Desps, Ibrahima Ndiaye renchérit qu’il ‘’est temps qu’on s’attelle à l’amélioration et à l’harmonisation des procédures pour des efforts durables. L’Etat, jusqu’ici, n’a cessé de mener le combat, sans avoir les succès escomptés. Ce n’est que par une synergie des actions que l’on pourra venir à bout de ce phénomène’’, fait-il savoir.
D’après M. Ndiaye, les caractéristiques du phénomène, à la fois religieux et économiques, en sont les facteurs de blocage. ‘’Mais il n’y a pas à désespérer, compte tenu des obligations qui pèsent autant sur l’Etat, la société que sur tous les parents relativement au phénomène. Le besoin de rationaliser les interventions incombe à l’Etat’’, laisse-t-il entendre.
‘’30 000 enfants talibés sillonnent les rues de Dakar pour mendier au profit des maîtres coraniques’’
Directeur adjoint des droits humains au ministère de la Justice, Julien Eguando soutient que l’harmonisation est une nécessité puisque, dans le Code de procédure pénale (Cpp), il y a une procédure légale (Article 565 et suivant) pour prendre en charge un enfant qui est en conflit avec la loi ou qui est en danger. Pour le magistrat, une ‘’procédure unique et partagée par tout le monde’’ est envisagée. La Direction des droits humains a justement en charge la rédaction du document final de procédures opérationnelles standard, harmonisées et consensuelles. Lequel document, dit-il, ‘’va servir désormais de base pour toutes les procédures relatives au retrait des enfants de la rue’’.
Selon la cartographie publiée par le Cellule nationale de lutte contre la traite des personnes, en 2014, plus de ‘’30 000 enfants talibés sillonnent les rues de Dakar pour mendier au profit des maîtres coraniques’’. Ils sont ainsi exposés aux abus et maltraitance de tout genre dont les auteurs peuvent être les maîtres coraniques eux-mêmes, d’autres talibés plus âgés et des personnes extérieures. C’est fort de cela que le Comité des droits de l’enfant des Nations unies avait formulé plusieurs recommandations destinées à l’Etat du Sénégal pour la réalisation effective des droits de l’enfant. Le comité avait notamment exhorté le gouvernement à interdire toute exploitation des enfants à des fins de mendicité, de poursuivre les responsables et d’intensifier les efforts pour la réintégration des petits dans la société.
ALESSANDRO PALUMBO, EXPERT A L’AGENCE DE COOPERATION ITALIENNE
‘’Bientôt le projet régional d’appui à la protection de mineurs’’
Profitant de l’atelier d’élaboration de procédures opérationnelles standard pour le retrait des enfants de la rue, l’expert à l’Agence italienne pour la coopération et le développement a annoncé hier un autre projet ‘’important’’, après celui d’appui à l’éradication de la mendicité et la maltraitance des enfants au Sénégal. ‘’Je vous informe que bientôt va démarrer un projet financé par l’Italie et mis en œuvre par le Haut-commissariat des droits humains. C’est un projet régional d’appui à la protection de mineurs victimes des violations de leurs droits’’, a-t-il déclaré.
S’étendant sur une durée de 36 mois, le financement de ce programme est estimé à 3,5 millions d’euros, selon Alessandro Palumbo. Il va être implanté dans 6 pays : Sénégal, Guinée-Bissau, Guinée Conakry, Mali, Niger et Gambie. ‘’Cette initiative renouvelle l’engagement de l’Italie dans la protection des droits des mineurs et la lutte contre toute forme d’abus, en instaurant, avec les gouvernements de l’Afrique occidentale, un dialogue constructif, en développant une approche pluridisciplinaire et multisectorielle. Celle-ci combine actions sur les plans normatif, éducatif et politique, incluant les acteurs engagés dans la promotion et protection des droits des enfants’’, a-t-il fait savoir.
Revenant sur le projet d’appui à l’éradication de la mendicité et de la maltraitance des enfants que l’Italie a financé à hauteur de 311 millions de FCFA, l’expert a souligné qu’il vise ‘’à créer un environnement sécuritaire et juste pour les enfants victimes de mendicité et de maltraitance, à travers leurs prises en charge juridique, institutionnelle et sociale, en cohérence avec les priorités identifiées dans le processus de l’Agenda 2030 et du Plan Sénégal émergent (Pse)’’.