Lorsque deux compatriotes sénégalais ont été tués en Espagne, c’est l’ambassadeur Sory Kaba, directeur général des Sénégalais de l’extérieur, qui avait été dépêché dans la capitale espagnole. Dans cet entretien, il revient sur cette mission, ses entrevues avec les autorités de Madrid, les problèmes des Sénégalais de l’extérieur et les solutions mises en œuvre. Entretien.
Vous avez été dépêché en Espagne lorsque des compatriotes établis là-bas ont été tués. Quel a été votre message aux autorités espagnoles ?
Quand il s’agit de mort d’homme, nous sommes tous affectés. Il fallait également que l’on attire l’attention des autorités espagnoles sur leur responsabilité par rapport à ce qui est arrivé et que ça ne se répète plus jamais. C’était ça, le message qu’on est allé porter. Et ce message, nous l’avons transmis dans la plus grande autorité et dans le plus grand respect aussi de la souveraineté de l’Etat espagnole. Ils ont accepté de porter et de reconnaître leur responsabilité dans tout ce qui s’est passé. Et des actions curatives et durables sont entreprises à l’endroit des Sénégalais qui aujourd’hui, pour l’essentiel, n’ont pas de métier.
Ce sont des marchands ambulants dans les rues de Madrid. Ce qui ne nous honore pas du tout. À la limite, il faut qu’ils se trouvent un métier à Madrid, qu’ils puissent s’intégrer dans le tissu économique madrilène, pour gagner paisiblement leur vie et que leur projet migratoire se réalise. La municipalité est disposée à les accompagner, sur la base d’un partenariat avec le consulat général à Madrid. Ils vont bientôt mettre un programme de formation de renforcement de leurs capacités qui leur permettra, au bout de neuf mois de formation, d’avoir un métier et de prétendre à un emploi qualifié. Et sur la base de cet emploi qualifié, ils pourront se régulariser. C’est la perspective sur laquelle nous travaillons. Mieux, sur notre proposition, on va tenir les assisses de la diaspora à Madrid.
Quel sera l’objet de ces assises ?
Nous voulons qu’il y ait un dialogue entre la diaspora sénégalaise et les autorités locales. En témoins, il y aura le consulat et l’ambassade, et ce dialogue est important. Parce que quand il y a rupture de dialogue, chacun évoluant dans son petit coin, il y a systématiquement des difficultés. Il faut qu’on brise cette difficulté-là. Nous saluons l’ouverture d’esprit des autorités espagnoles dans la perspective d’améliorer les conditions de séjour des Sénégalais en Espagne. Fort heureusement, cette mission a été une grande réussite pour nous. Même si nous regrettons ce qui s’est passé et encore, nous présentons nos condoléances aux familles éplorées.
Aujourd’hui, comment se porte la direction générale des Sénégalais de l’extérieur ?
A merveille, car elle a été créée il y a juste quatre ans, précisément en 2014. Nous l’avons mise sur pied de toute pièce. C’est quand le cabinet du ministre en charge des relations avec les assemblées a été supprimé, lors du remaniement ministériel de 2014, que la direction générale a été créée. J’ai été nommé au mois de novembre 2014. Depuis, nous nous attelons à la mettre sur pied, à la construire, avec les directions techniques et les différentes divisions qui sont à l’intérieur ; donner un contenu à travers la conception d’un plan stratégique opérationnel qui nous donnait un exercice de planification des problèmes de la diaspora sénégalaise. Problèmes auxquels il fallait trouver des solutions, pour autant que nous étions dans le court terme, dans le moyen et le long terme. Et c’est cette planification qui nous a permis d’identifier au moins cinq segments au sein de la diaspora.
Quels sont les mécanismes mis en place pour faciliter la vie des Sénégalais de la diaspora ?
Nous nous attelons, aujourd’hui, à identifier et à régler les problèmes pour les Sénégalais qui sont établis à l’étranger et qui sont en situation régulière. Ce segment-là a des difficultés souvent liées aux documents administratifs. Notamment le renouvellement des cartes d’identité, de leurs passeports, leurs extraits de naissance. Et pour ça, huit centres de production de passeports sont établis à l’étranger, dans huit pays du monde qui permettent à un Sénégalais de se rendre au consulat général à Paris et de se faire faire son passeport en 24 heures. Ce qui lui permet systématiquement de pouvoir renouveler sa carte de séjour dans de bonnes conditions, sans difficultés avec son Etat d’accueil. Et le Sénégal est le seul pays qui produit ces passeports pour sa diaspora à l’étranger. Tous les autres pays du monde reviennent dans leur ministère de l’Intérieur de leur pays de départ. Donc ça, c’est une avancée extraordinaire que le président de la République Macky Sall a voulu mettre en place.
A côté de ce segment des Sénégalais en situation régulière, il y en a d’autres qui sont en situation irrégulière et qui constituent un nombre important. Ces derniers, au-delà des documents administratifs, sont préoccupés par leur statut de situation irrégulière. Donc, ils veulent avoir des papiers pour être en conditions de séjour convenables. Pour ce segment-là, c’est à travers des accords consulaires que le gouvernement travaille avec certains pays pour permettre à ce nombre important de compatriotes de pouvoir se régulariser et de pouvoir séjourner convenablement dans leur pays d’accueil. A côté, il y a maintenant les enfants qui sont issus de l’immigration.
Ces enfants constituent l’avenir de la diaspora sénégalaise. Si on ne les prend pas en charge, à terme, il n’y aura plus de Sénégalais de l’extérieur. Mais il y aura des Sénégalais binationaux. Et quand tu deviens binational, tu peux faire un choix de ta nationalité, à convenance. Et à supposer qu’ils préfèrent être Français plutôt que Sénégalais, nous les perdons. Donc, il nous faut des actions pour que ces derniers n’oublient pas leurs racines, qu’ils se ressourcent culturellement pour que nous puissions continuer à les comptabiliser comme des Sénégalais de l’extérieur. Les deux autres et derniers segments qui sont bien articulés et bien structurés dans le plan stratégique opérationnel, ce sont les femmes en migration qui ont des problématiques différentes des autres.
En quoi leurs problèmes sont-ils différents ?
Il se trouve qu’elles tiennent aux côtés de leurs maris et de leurs familles de petits business. C’est un salon de coiffure, un restaurant ou une autre activité économique. Pour ça, le président de la République, dans sa volonté politique, a mis en place un fonds spécifique dédié aux femmes de la diaspora pour leur permettre d’accéder à un micro crédit, que ça soit en France, aux Etats-Unis et dans tous les pays du monde. Ça aussi, c’est très innovant dans la démarche. Et enfin le dernier segment, ce sont les personnes du troisième âge. Parce qu’en migration, quand vous faites trente ans, quarante ans, vous prenez votre retraite.
Et vos problèmes ne sont plus du premier segment. C’est un problème lié à la protection sociale, lié à la portabilité des droits à la retraite. Et ça aussi, c’est des accords qui sont négociés. Nous l’avons déjà fait avec la France. Les accords se poursuivent avec l’Espagne et l’Italie. Pour l’Afrique, il y a la convention interprofessionnelle de protection sociale, qu’on appelle la Cipres, qui doit être ratifiée par l’ensemble des pays de l’Afrique pour permettre aux différents travailleurs sénégalais, dans ces différents pays, de prétendre à leur droit à la retraite. Et en séjournant paisiblement au Sénégal, percevoir leur pension à la retraite. Et ce sont ces perspectives sur lesquelles nous travaillons. Aujourd’hui, d’autres problématiques transcendent ces segments. Nous avons les droits sociaux, les droits économiques, les droits politiques.
Des mesures incitatives sont mises en place pour le retour de la diaspora sénégalaise. Comment ça se passe ?
La politique du retour constitue une chose importante. Le départ est une chose, la condition de séjour dans le pays où tu vas est importante. Mais le retour aussi est important. Et c’est là où on bonifie notre économie par un transfert de savoir-faire, de connaissance, de technologie. Et là, nous avons des indicateurs qui nous permettent de mesurer l’impact de la migration sur le développement du pays. Et les agrégats sur lesquels nous travaillons nous permettent aujourd’hui de comprendre l’apport de la diaspora dans le développement.
Donc, il y a de quoi approfondir cette question-là pour qu’il y ait davantage de mesures incitatives à l’investissement et au retour de nos compatriotes établis à l’étranger. Et donc, pour y arriver maintenant, nous avons un ensemble de dispositifs. Celui qui est le plus opérant est le cadre de concertation des acteurs sur les questions migratoires. Parce que la Direction générale, à travers le ministère, ne peut rien faire. Il faudrait que l’Apix, l’Adpme, le Fongip, le fonds d’appui à l’investissement des Sénégalais de l’extérieur, le ministère des Collectivités territoriales, le ministère en charge de l’état civil se retrouvent autour d’une table, qu’on pose les problèmes de la diaspora sur la table et que chacun apporte sa solution. Nous animons ce cadre de concertation pour davantage améliorer les conditions de séjour et de retour de nos compatriotes.
Malgré les programmes mis en place pour inciter à un retour, on constate que les gens sont de plus en plus enclins à partir. Pourquoi cet état de fait ?
C’est très simple, tant qu’il y aura un déséquilibre dans le niveau de développement, il y aura toujours migration. Aujourd’hui, les pays qui sont attractifs, communément appelés l’Occident, étaient dans notre situation, historiquement parlant. C’est des pays où leurs populations ont beaucoup migré dans d’autres lieux à la recherche d’un bien-être, de conditions qui améliorent leur vie. C’est au retour dans leur pays de départ qu’ils ont investi beaucoup d’argent. L’Italie en est la parfaite illustration. Les Italiens qui étaient partis voir ailleurs sont revenus pour développer leur pays. Aujourd’hui, l’Italie a une balance migratoire positive. Autrement dit, il reçoit plus qu’il y a de départs. Il nous faut arriver à cette balance migratoire positive.
Comment faire pour y arriver ?
Le président de la République travaille sur ça, en dotant les territoires de moyens d’actions. Aujourd’hui, nous, ce que nous faisons dans cette bonne perspective de territorialisation de la politique publique, c’est que nous travaillons avec les collectivités locales. Nous avons ouvert des bureaux d’accueil, d’orientation et de suivi (Baos). Ces Baos ont pour missions d’accompagner techniquement les acteurs territoriaux, collectivités locales, Ong, maires, élus locaux. Pour leur permettre d’intégrer, dans leur plan local de développement, la problématique de la migration. Parce que si le territoire de Mbour n’est pas favorable à un investissement de la diaspora, les ressortissants mbourois qui sont en France ne le feront jamais. Nous travaillons à faciliter ce dialogue entre la commune et les collectivités territoriales et leur diaspora. Quand on agit sur le territoire et qu’il y a des emplois créés, les jeunes ne partiront plus, ils vont rester. C’est plutôt d’autres jeunes qui viendront pour travailler dans ces structures qui ont été créées. Et comme ça, on aura une balance positive. Mais, c’est une perspective qui n’est pas gagnée d’avance. On y travaille, c’est un travail de longue durée.
Donc, les autorités territoriales ont leur rôle à jouer dans ce retour ?
Évidemment. Et pour illustrer mon propos, nous partirons très bientôt avec le maire de Malicounda au Canada. Pour aller rencontrer le regroupement général des Sénégalais du Canada. Nous l’avons fait au mois de décembre dernier avec lui à New York. Et à chaque fois, on identifie une ou deux communes avec lesquelles on part à l’étranger pour permettre à nos compatriotes d’identifier le potentiel d’investissement dans cette commune, de mobiliser leurs partenaires, de se mobiliser eux-mêmes. Ainsi, le maire va leur permettre de venir investir. D’abord, l’accès au foncier, les facilitations d’investissement, l’information pour que l’ensemble des acteurs comprennent que les ressortissants de Mbour ou de la diaspora sénégalaise s’intéressent à leur territoire et viennent pour investir. De ce point de vue, le dialogue est établi.
On crée maintenant les conditions d’une discussion pour aboutir à un investissement qui crée de l’emploi. Si la diaspora elle-même crée de l’emploi, elle est elle-même vecteur d’information. Ses membres pourront dire à un potentiel migrant : attention ! Ce que j’ai enduré, si tu l’endures, tu vas perdre du temps. Laisse-moi t’aider dans ta localité actuelle pour que tu puisses sortir de ta situation. C’est sur cette perspective que nous sommes en train de travailler avec les collectivités.