Entré en politique en 1995, Seydou Diouf est aujourd’hui dépositaire du legs politique de Me Mbaye Jacques Diop décédé en 2016. Président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, il revient, dans cette interview qu’il nous a accordée, sur les enjeux de la loi sur le parrainage, le programme Promovil qui bute sur des ‘’grosses difficultés’’ à cause d’un manque de crédits, la caution dont la baisse est envisagée par la majorité… Le député de Benno Bokk Yaakaar raconte également le 23 juin 2011 tel qu’il l’avait vécu en tant que membre de l’ancienne majorité.
Président, l’Assemblée va examiner, en plénière, ce jeudi, le projet de loi sur le parrainage, malgré les contestations de l’opposition et d’une bonne partie de la société civile. Pourquoi maintenant et non au référendum ?
D’abord, permettez-moi de préciser que cette réforme ne vise pas simplement l’élection présidentielle, mais toutes les élections à venir. Nous avons été dans des locales où il y avait plus de 2 000 listes. Nous avons vécu des législatives avec 47 listes. Rien ne dit qu’à la présidentielle, il n’y aura pas 50 listes. Est-ce qu’il faut continuer dans ces mêmes conditions ? Je suis de ceux qui pensent qu’il faut arrêter et revoir tout ça. Cela intervient maintenant, parce que le référendum est antérieur aux législatives. Les problèmes rencontrés aux législatives ne pouvaient pas laisser sans réaction un gouvernement responsable. Tout le monde a vu ce qui s’est passé. Voilà la situation à l’origine de ce projet de révision. Il faut reconnaitre que certains partis qui existent n’ont aucune représentativité. Certains, de plus en plus, considèrent qu’être secrétaire général d’un parti politique est un métier. Parce qu’ils n’ont personne, ils vont louer leur récépissé à des gens qui devaient se présenter comme indépendants. Ainsi, ces derniers pourraient contourner l’exigence qui leur est faite de trouver 10 mille signatures. Ce n’est pas cohérent. Il nous faut rationnaliser pour donner un nouveau souffle à notre système démocratique. Sinon, quand il y a des problèmes dans l’organisation d’élections, on va dire que c’est le gouvernement qui est incapable. Aussi, y a-t-il toujours eu des filtres : caution et parrainage.
Pour ce qui est de la caution, qu’est-ce que cela a réglé ? Rien, sinon des candidats qui se sont retrouvés avec des problèmes judiciaires. Le suffrage censitaire n’a jamais été dissuasif. C’est pourquoi nous avons proposé la diminution de la caution. Et le président a bien été inspiré de donner son accord pour une baisse de 50 %. Mais, parallèlement, il faut un autre filtre. Il n’y a pas de système parfait, mais le meilleur, c’est le parrainage citoyen.
D’aucuns avaient proposé le parrainage par les élus pour rassurer tout le monde.
Le parrainage par les élus aurait été une catastrophe dans le système sénégalais. Car, l’écrasante majorité des collectivités locales est dirigée par Benno Bokk Yaakaar. Il en est de même de l’Assemblée où 127 députés sont de la mouvance présidentielle. Il n’y a que le Pds qui a 12 députés. Le système le plus démocratique est le parrainage citoyen. (Ndlr : Moundiaye Cissé de l’Ong 3D, dans une interview qu’il nous avait accordée, avait rapporté que la société civile avait demandé une dispense du parrainage citoyen pour les candidatures parrainées par un député ou 100 élus locaux). En France, le parrainage par les élus a causé de nombreux problèmes à des partis qui étaient pourtant représentatifs. Je peux donner l’exemple du Front national.
Je peux aussi donner l’exemple du Parti socialiste en 2017. Jean-Christophe Cambadélis, Premier secrétaire du parti, a sorti une note pour interdire à l’ensemble des élus Ps de parrainer Emmanuel Macron, faute de quoi, il y aurait une sanction sur les prochaines investitures. Le parrainage par les élus est donc plus compliqué. Avec le parrainage citoyen, tous les candidats partiront sur la même ligne, fourniront le même effort pour que leur candidature soit retenue. Certes, les partis politiques sont importants, mais il nous faut tirer les leçons des élections passées. Ce débat, on ne l’aurait jamais eu si, par exemple, nous avions une dizaine de partis au maximum. Mais avec 300 partis dont les 250 ne participent jamais à des élections, dire que venir d’un parti vous exonère, c’est la porte ouverte à tous les abus. C’est pourquoi je considère que la posture de l’opposition n’est pas républicaine. Elle n’est même pas responsable. Ils doivent avoir le courage de venir discuter arguments contre arguments. Ça ne sert à rien de soulever le peuple. Cette situation n’a rien de comparable avec le 23 juin.
Justement, vous étiez là le 23 juin 2011, en tant que député de l’ancienne majorité. Les fantômes ne planent-ils pas au-dessus de votre tête, surtout que vous êtes maintenant le président de la Commission des lois ?
Du tout ! Pour moi, la République, c’est un sacerdoce. Quand je prends un engagement politique, j’y vais jusqu’au bout. J’assume toujours ma responsabilité, quitte à y laisser ma vie. Mais quand je suis investi d’une mission, j’entends l’assumer pleinement. Les cris d’orfraie, les menaces ne peuvent me faire reculer. Je ferai mon travail, quelle que soit la majorité à laquelle j’appartiens. Je ne suis pas de nature à me jeter corps et âme sur les textes qu’on me soumet. Encore une fois, ce qui s’est passé ce jour-là n’a rien à voir avec la situation actuelle. C’est une disposition que même des députés du Pds ont combattue. Pas par peur, mais par attachement à la démocratie. Les députés du Pds avaient fait 35 amendements sur le projet qui leur a été présenté. L’histoire des 25 % pour passer au premier tour en faisait partie.
Dans l’ensemble, comment jugez-vous la présente législature ?
C’est une législature intéressante. Dans l’opposition comme dans la majorité, il y a des personnes capables de susciter des réflexions pertinentes. C’est pourquoi d’ailleurs je regrette que le débat vire parfois dans les invectives. Parce que dans les deux camps, nous comptons des ressources qui auraient pu contribuer à redorer le blason de l’Assemblée.
Il y a de très riches débats qui, malheureusement, sont occultées par les insultes, les délations et les violences verbales. Cela ne grandit pas le parlement, surtout dans un contexte d’antiparlementarisme qui n’est pas propre au Sénégal. Partout, les gens s’interrogent sur l’utilité même de leur parlement. Dans un tel contexte, je pense que nous avons intérêt à œuvrer pour montrer le meilleur de ce que nous faisons. Maintenant, nos détracteurs ne comprennent pas comment fonctionne l’Assemblée. Il y a des choses qu’il faut changer dans le fonctionnement de l’institution. Par exemple, je suis de ceux qui pensent qu’un texte de loi ne peut être examiné par une commission en une matinée. Si vraiment on veut faire un travail parlementaire de fond, il faut qu’on prenne le temps, en instaurant un mécanisme de temps législatif programmé. Qu’on sache l’horizon temporel dans lequel on doit examiner tout texte qui arrive, qu’on dise à la commission : vous avez tant de jours. Si on n’est pas dans cette culture, on fera de l’examen rapide.
‘’Les députés n’ont pas toujours les moyens de faire le travail qui est attendu d’eux’’
La deuxième contrainte est que, parfois, les gens veulent qu’on modifie des dispositions que de hauts fonctionnaires de l’Etat, pendant deux, trois mois, voire un an ont mis en place. Que nous députés, sans assistants parlementaires, sans expertise aucune, que nous puissions examiner et apporter des modifications de fond. C’est mission impossible. Je pense donc qu’il faut réformer les choses, et c’est dans ce cadre que s’inscrit le nouveau programme d’accompagnement parlementaire financé par l’Usaid avec l’Ong 3D comme interface. On va mettre à la disposition de l’Assemblée une quinzaine d’assistants parlementaires, des doctorants qui vont venir accompagner les différentes commissions techniques. Si on veut un travail de qualité, il faut y mettre le prix. Au Burkina, ils ont mis 9 assistants à la Commission des finances. Au Bénin, dans chaque commission, il y a deux assistants. Ici, on en n’a pas. On demande aux députés de faire le travail eux-mêmes. Ces derniers n’ont pas toujours les moyens de faire le travail qui est attendu d’eux. Les assistants sont donc nécessaires, d’autant plus que le parlement se renouvelle en permanence, d’une législature à une autre.
Malgré tout cela, si nous étions dans un climat apaisé, cette Assemblée aurait pu nous valoir beaucoup de satisfaction. Il a un aréopage de hautes personnalités et une nouvelle élite politique qui émerge. Et c’est une excellente chose, à mon avis.
Vous êtes aujourd’hui à la tête du Parti pour le progrès et la citoyenneté (Ppc) fondé par Mbaye Jacques Diop. Qu’est-ce qui reste aujourd’hui de l’héritage de ce dernier ?
C’est un héritage lourd. Il est difficile de remplacer Mbaye Jacques. Mais je rends grâce à Dieu. Le Ppc qu’il nous a laissé est en train de se repositionner. A un moment, on a connu des difficultés. Avec l’âge, le président Mbaye Jacques avait un peu délaissé du terrain. Des personnes qui ont cheminé avec lui depuis 1981 (date où il est devenu maire de Rufisque), ne pouvaient plus fournir les mêmes efforts. Et comme il disait qu’il ne convoitait plus rien, des responsables qui ont toujours cru en lui sont partis voir ailleurs. Ce qui a fait que le Ppc n’était plus aussi représentatif, même dans le département de Rufisque qui est sa base naturelle. Nous sommes donc en train de réimplanter le parti. Et nous sommes en voie de réussir le pari, en mobilisant les jeunes. Je lance un appel à tous les Rufisquois. Ce parti doit être celui sur lequel ils doivent s’adosser. Pour qu’ensemble, nous puissions changer notre ville qui nous est chère.
A propos de Rufisque, lors du Conseil des ministres décentralisé, le président avait promis la fermeture du grand canal de Rufisque, la réfection du lycée Abdoulaye Sadji et de plusieurs routes secondaires à travers Promovil. Que sont devenues ces promesses ?
C’est un dossier que je suis particulièrement. Pour ce qui est du canal de l’ouest, la convention de financement est déjà signée avec la Banque islamique de développement. Le marché a déjà été attribué par l’Ageroute qui a signé une convention avec l’Onas qui en assurera le suivi. Le montant, c’est un milliard de francs Cfa. Le canal sera fermé et réaménagé sur les accotements. Pour Promovil, il faut signaler qu’à l’origine, il ne concernait pas Rufisque, mais seulement les villes capitales régionales. Le président, l’ayant lancé à Rufisque, a voulu que la ville en profite. Et il a été inscrit sur la partie financée par le Bci.
Il faut noter que ce programme a, pour le moment, deux sources de financement : 75 milliards de la Banque africaine de développement pour les villes capitales régionales et 45 milliards du budget consolidé d’investissement pour les autres villes comme Rufisque. Les travaux avaient déjà démarré, mais il y a une grosse difficulté sur Promovil Bci. C’est que les ressources du budget de l’Etat n’ont pas suivi le rythme d’exécution des travaux. In fine, tout ce qui était Promovil sur le Bci a été bloqué. Pendant la session budgétaire, j’ai interpellé le ministère des Finances. Le ministre du Budget avait pris l’engagement de libérer une partie de la dette envers les entreprises. Nous travaillons pour faire bouger les choses. Récemment, environ 5 ou 6 milliards ont été débloqués pour la reprise des travaux. Nous faisons tout pour que les travaux reprennent.