Parmi les accusés entendus jusque-là par la Chambre criminelle à formation spéciale du tribunal de grande instance de Dakar, Alioune Badara Sall est l’un des rares à être constant dans ses déclarations. L’enseignant en génie civil s’est retrouvé dans cette affaire à cause d’un contrat le liant à Matar Diokhané, un des présumés djihadistes.
Le comportement ‘’courtois’’ de Matar Diokhané l’avait poussé, en 2007, à inscrire ses deux enfants à son internat. Mais lorsqu’Alioune Badara Sall a vu le maître coranique critiquer les érudits musulmans comme Dr Ahmad Lô, le formateur en génie civil a préféré retirer ses mômes. ‘’En 2012, Dr Ahmad Lô avait fait un sermon pour critiquer la situation au Mali. Il y a eu un groupe de personnes qui n’était pas d’accord. Certains le critiquaient, en disant qu’il s’agissait d’un djihad. Ainsi, j’ai reçu un mail du géologue Cheikh Ibrahima Dièye pour me donner des arguments, mais je lui ai dit que je préfère me ranger du côté de nos savants’’, a déclaré Alioune Badara Sall. Avant de poursuivre : ‘’Il m’a demandé d’appeler Matar, mais je ne l’ai pas fait. Et en tant qu’enseignant, je sais l’influence qu’un enseignant peut avoir sur son élève. Alors, j’ai évoqué le rapprochement pour ramener mes enfants à Louga où j’enseignais.’’
Il avait peur que ses fils soient influencés par l’enseignant qui prônait le djihad. Parce que lui-même est foncièrement contre le djihad violent. ‘’Ma conception à moi du djihad, c’est de m’efforcer à m’appliquer la religion à moi-même, à ma famille et les proches, si possible. C’est le ‘’djihad nasfs’, car je ne suis pas partisan de la violence’’, a expliqué le sieur Sall hier à la barre de la Chambre criminelle à formation du tribunal de grande instance de Dakar.
Seulement, le destin a voulu que ce soit lui-même qui tombe à cause de l’homme dont il se méfiait. C’est un contrat de 12 millions qui l’a conduit en prison, depuis novembre 2015. En fait, Matar Diokhané avait noué un contrat avec son entreprise, une Sarl dénommée Actif, pour la construction d’une maison à usage d’habitation (un ‘’daara’’, selon l’enquête). Etant donné que l’argent proviendrait du terrorisme, d’après toujours l’enquête, l’entrepreneur a été arrêté et inculpé pour terrorisme, financement du terrorisme et blanchiment de capitaux.
Des accusations que l’enseignant a niées hier à la barre devant les juges. Mais ces derniers n’ont pas manqué de lui demander pourquoi il ne s’est pas inquiété de l’origine de l’argent, d’autant plus que Matar Diokhané était un simple maître coranique et avait un penchant pour le djihad. ‘’Actif ne demande jamais à ses clients l’origine de leur argent et ce n’est pas la première fois que je construis pour des maîtres coraniques. Dans le village de Ngollar, la seule mosquée construite est l’œuvre du groupe’’, a expliqué Alioune Badara Sall.
Invité à revenir sur le contrat incriminé, le gérant a expliqué qu’il devait acheter un terrain et construire un logement à usage d’habitation à Keur Ndiaye Lô. C’est à ce titre que Matar Diokhané lui avait donné 18 000 euros, soit environ 11,7 millions de francs Cfa. ‘’Nous avons acheté un terrain à 3,2 millions. Avec le reste, nous avons fait la conception, le plan et le devis. Lorsque nous avons voulu démarrer les travaux, il s’est trouvé que le terrain était litigieux, car Massamba Seck s’est opposé à la construction, puisque l’entreprise qui devait apporter l’électricité n’avait pas respecté ses engagements’’, a narré l’accusé, précisant qu’il avait même rédigé une plainte. ‘’Pourquoi l’entreprise a accepté le contrat, alors que vous aviez retiré vos enfants ?’’, est revenu à la charge le président Samba Kane. Réponse de Sall : ‘’Un mois avant mon arrestation, un commissaire de police venait tous les jours dans mon bureau pour me donner des infos sur Diokhané. Il m’a dit qu’il a emmené beaucoup d’individus faire le djihad. Vous n’avez pas vu comment il est devenu immensément riche ?’’ A l’en croire, c’est en ce moment qu’il a commencé à avoir des doutes.
Les épouses de Diokhané
Sur ses relations avec les épouses de Matar Diokhané, il a conforté les déclarations de Coumba Niang, selon lesquelles il avait gardé leurs affaires. ‘’Elle m’a appelé en me disant que Matar a voyagé. Etant donné que c’est moi qui devais construire la maison de leur mari, j’ai accepté de garder leurs affaires’’. L’enseignant a aussi réfuté le pseudo d’’’Imam Aly’’ que les gendarmes lui collent dans leur procès-verbal. ‘’Je ne sais pas d’où me vient ce surnom. Je ne suis pas imam. Je ne connais pas, sur cette terre, une personne qui m’appelle sous ce nom et si j’avais à choisir un surnom, ce ne serait sûrement pas Imam Aly’’, a répondu d’un ton sec Alioune Badara Sall.
L’accusé a nié tout lien avec Imam Ndao, affirmant qu’il n’a jamais écouté ses prêches. Il a soutenu lui avoir parlé une fois au téléphone, sans être sûr que c’est lui, à propos de divergences sur le croissant lunaire. ‘’Il y avait un litige avec le croissant lunaire et on m’avait dit qu’il connaissait des personnes qui ont vu la lune. Je l’ai appelé sans avoir la certitude que c’était lui. Il m’a envoyé les numéros des personnes concernées et je les ai transmis à la Coordination des musulmans de Dakar’’, a fait savoir l’accusé.
Une brèche saisie par le juge qui lui a demandé pourquoi a-t-il décidé de se démarquer de la commission nationale ? ‘’Au Sénégal, lorsque vous les appelez, ils ont l’habitude de vous demander votre appartenance confrérique, avant de vous croire. Lorsque vous dites ‘ibadou’, on s’abstient de transmettre votre message’’, a répliqué l’accusé.