Pr Abdoulaye Bathily a parlé pour lui, pas pour le parti dont il a été pendant des décennies le secrétaire général. Et ses positions sur le parrainage et le procès de Khalifa Sall sont celles d'un Sénégalais libre de ses opinions. Dans cet entretien exclusif avec Seneweb, Moussa Sarr, le porte-parole de la Ligue démocratique, prend ses distances avec son ancien leader. Sur la forme et sur le fond.
Abdoulaye Bathily, ancien secrétaire général de votre parti, la Ligue démocratique, a publiquement déclaré, notamment, que le procès de Khalifa Sall est politique et que le parrainage est antidémocratique. Ces déclarations sont-elles gênantes pour votre formation politique, qui est membre de la mouvance présidentielle ?
Nous sommes en démocratie. Au Sénégal, depuis longtemps, les forces démocratiques se sont battues pour l'avènement, dans ce pays, d'un espace de liberté. C'est la raison pour laquelle, nous au niveau de la Ligue démocratique, du fait que nous avons participé à l'essentiel de ces luttes, nous ne pouvons que reconnaitre aux citoyens, la possibilité de se prononcer sur toutes les questions qui agitent la vie nationale. C'est donc dire que lorsque le professeur Abdoulaye Bathily se prononce, il a la liberté de le faire, parce que c'est un Sénégalais, qui a participé à beaucoup de batailles dans ce pays. Donc il a pris la parole, il a donné son point de vue sur un certain nombre de questions. Je dois rappeler que depuis 2013, il n'a participé à aucune réunion de nos instances. Il n'est pas le secrétaire général de notre parti, il n'est pas le porte-parole. C'est un Sénégalais libre qui a donné son point de vue. Il n'est plus dans les instances de direction de notre parti. Donc lorsqu'il prend la parole, ce qu'il dit ne peut pas engager la Ld. Pour le dire de façon claire, ce qu'il a dit l'autre jour, engage simplement sa propre responsabilité et sa propre personne. Donc, il n'a pas exprimé les points de vue de notre parti.
Dans le fond, partagez-vous ses points de vue ?
Au niveau de notre parti, nous avons d'autres positions.
"Lorsqu'on a condamné Karim, la Ld n'avait pas dit que c'était politique. Pourquoi maintenant dire que le procès de Khalifa est politique ? Le procès de Khalifa ne peut pas être politique alors que le procès de Karim est normal."
Sur le parrainage ?
Depuis 1991, les acteurs politiques, y compris Abdoulaye Bathily lui-même, étaient d'accord que le parrainage soit appliqué aux indépendants. On ne peut pas avoir ce point de vue, et aujourd'hui dire que tu es contre que le parrainage soit étendu aux partis politiques. Il y a, à ce niveau-là, une rupture d'égalité des citoyens devant la loi. Voilà pourquoi, si le parrainage concerne les indépendants, il doit aussi concerner les partis politiques. D'autant qu'il y a des indépendants qui sont plus représentatifs que les partis politiques. Parmi les 300 partis politiques au Sénégal, il y a plus de 200 qui n'ont même pas de siège, qui ne sont jamais allés à des élections. Pourquoi donc accorder ce privilège aux partis politiques ? C'est pourquoi nous, nous sommes d'accord que, au regard de l'évolution de la démocratie au Sénégal, le parrainage soit appliqué aux partis politiques.
Si on prend les élections locales en 2014 et les élections législatives de 2017, on a frôlé la pagaille. Donc si on n'anticipe pas, nous risquons d'avoir une élection présidentielle qui va faire sombrer le Sénégal dans le chaos. Voilà pourquoi nous, nous sommes pour le parrainage et nous pensons que ça va renforcer la démocratie.
En quoi ?
Ça va permettre d'avoir un nombre de candidats qui vont proposer des offres politiques aux Sénégalais et ça va coûter moins cher au contribuable sénégalais. Un candidat à la présidentielle ne coute pas moins de 200 millions au contribuable sénégalais. Et si on applique le parrainage, cela va éviter d'avoir des candidatures fantaisistes ou des candidats de témoignage. Donc, dire que le parrainage est antidémocratique, ça pose problème. Ce qui est antidémocratique, c'est de laisser la situation telle quelle, où le parrainage concerne les indépendants, et ne concerne pas les partis politiques. C'est cela qui est antidémocratique. C'est cela une rupture d'égalité devant la loi. Et il faut la corriger.
Sur le procès de Khalifa Sall ?
On a tout entendu. Mais là aussi il y a un problème. Moi je suis un acteur politique. En 2012, j'ai encouragé la traque des biens mal acquis. Nous au niveau de la Ld, et à l'époque c'est Abdoulaye Bathily qui était secrétaire général de notre parti, lorsqu'on lançait la traque des biens mal acquis, jusqu'à l'arrestation et la condamnation de Karim Wade, la Ld était en phase avec ce qui se faisait. Parce que la Ld avait soutenu qu'il était normal que tous les gestionnaires de fonds publics puissent rendre compte. Donc lorsqu'on a condamné Karim, la Ld n'avait pas dit que c'était un procès politique. Pourquoi maintenant dire que le procès de Khalifa est politique ? Qu'est-ce qui fait la différence entre Karim et Khalifa Sall ? Le procès de Khalifa ne peut pas être politique alors que le procès de Karim est normal. Et c'est quoi un procès politique ? Pour moi, un procès politique est politique lorsqu'il juge des faits politiques comme des marches interdites, des rassemblements interdits, des grèves ou des opinions exprimées. Pour ce qui concerne Khalifa, je ne suis pas d'accord que le procès soit politique. Parce que les faits qui sont jugés, sont des faits de gestion. Ceux qui disent que c'est un procès politique ils ne parlent pas des faits.
"L'opposition est dans son beau rôle. Elle cherche à ce que les élections ne soient pas bien organisées pour dire que c'est le pouvoir qui en est responsable."
Le problème pour d'aucuns, c'est qu'il y a d'autres hommes politiques épinglés par les corps de contrôle par exemple, mais qui vaguent tranquillement à leurs occupations parce qu'appartenant à l'Apr ou à la mouvance présidentielle…
Khalifa a-t-il oui ou non signé de fausses factures ? Personne n'a contesté l'existence de fausses factures. Donc on ne peut pas être condamné sur cette base et penser que le procès est politique. Mieux, j'entends beaucoup parler des Assises nationales. Khalifa Sall a été élu en 2009 au lendemain des assises nationales. Je crois que le bilan que les tenants des Assises nationales doivent faire, c'est de voir si tous nos camarades qui ont été élus après les Assises nationales ont géré les collectivités locales et les ministères qui leurs ont été confiés conformément aux recommandations des assises.
Aussi, les acteurs politiques, au Sénégal, ne sont pas au-dessus de la loi. Il ne faut pas qu'on ait une immunité juridique, une impunité pour les hommes politiques. Depuis quelques années, à chaque fois qu'un homme politique a maille à partir avec la justice, on s'empresse de dire que c'est politique. Pourtant, pendant ce temps, des milliers de sénégalais sont en prison, dès fois à tort ou à raison, on ne les entend pas. Sont-ils moins sénégalais que les acteurs politiques ? C'est pourquoi, lors de la dernière réunion du secrétariat politique de la Ld, nous avons dit que les hommes politiques ont le devoir impérieux de faire preuve d'exemplarité dans la gestion des ressources nationales.
Pour vous, qu'est ce qui pourrait expliquer la sortie de Bathily ?
Nous, on ne peut pas faire de commentaires dessus. On ne juge pas de l'opportunité de sa sortie. On ne peut pas préjuger des raisons qui l'ont poussé à faire cette sortie. Lui seul connait les raisons qui l'ont amené à faire cette sortie. Il maîtrise son agenda, nous aussi au niveau de notre parti nous avons notre agenda. Nous le maitrisons et nous le déroulons librement. Nous, pour que le chaos ne s'installe pas dans ce pays en 2019, nous sommes d'accord avec le principe du parrainage. Il faut maintenant discuter sur les modalités. Nous demandons à l'exécutif et à l'Assemblée nationale de discuter des modalités pour que nous puissions aller à ces élections de façon apaisée. Mais, le pouvoir a la responsabilité d'organiser des élections. L'opposition est dans son beau rôle. Elle cherche à ce que les élections ne soient pas bien organisées pour dire que c'est le pouvoir qui en est responsable. Donc, le gouvernement doit prendre ses responsabilités et organiser des élections transparentes.