Le journaliste a-t-il le droit de faire de la politique, d’avoir une appartenance partisane à un moment ou à un autre de sa carrière ? Voilà que la création, par un journaliste de la Rts 1, en l’occurrence Thierno Amadou Sy, d’un mouvement de soutien au président de la République Macky Sall, en vue de la réélection de ce dernier en 2019, alimente la passion et la polémique au sein de la presse et en dehors ; et porte sur un débat, pour ainsi dire universel, qui se pose dans tous les pays…
Journaliste parce que sa profession consiste à recueillir, traiter des informations et les diffuser sans qu’aucune de ces trois étapes ne soit influencée par l’appartenance partisane du professionnel.
Tout journaliste pratique un métier dont une des règles intangibles est la neutralité que l’on conçoit mal, voire qui ne conçoit pas que l’on puisse être de parti pris. Etre journaliste honnête et engagé en politique est un jeu d’équilibre difficile, mais pas impossible à un journaliste conscient des exigences que sa profession fixe à chacun de ses pratiquants. Le mérite de Thierno Amadou Sy est qu’il semble avoir mesuré les contraintes de son choix. Et aussi les sacrifices qu’il devra faire, désormais. Il va, certes, continuer à présenter le ‘’Journal télévisé’’ sur la Rts 1 (chaîne de l’audiovisuel public du Sénégal), mais promet de ne plus animer telle émission de débat politique à laquelle il convierait ses adversaires politiques, mais aussi ses co-partisans ; avec le risque d’être inéquitable et partisan dans la distribution de la parole, dans les questions qui pourraient être gênantes ou complaisantes, selon que le destinataire sera l’adversaire ou l’allié du questionneur.
Le journaliste partisan traiterait-il l’information sur l’adversaire de la même manière qu’il traiterait celle concernant son camp et/ou camarade de parti ? Le défi, c’est là ! ‘’Ce n’est pas que le journaliste n’a pas droit de faire de la politique ou que sa profession lui interdise d’avoir un engagement dans un parti politique, dans telle organisation, association… Le défi sera de rester ce qu’il est professionnellement sans renier ses engagements. Le pire serait de mettre son appartenance professionnelle au service de la politique tout en cachant la deuxième derrière la première’’, écrivions-nous dans une très récente édition de cet Avis d’inexpert (Journaliste ou politicien embusqué ? ‘’EnQuête’’ n°2011 des 10 et 11 mars 2018).
L’exercice est très difficile et postule une honnêteté à l’épreuve du militantisme politique et un professionnalisme rétif aux mots d’ordre. Parce que, à tout moment et dans son propre travail, le journaliste encarté devra toujours donner des gages à son camp, notamment en le favorisant pour lui prouver sa loyauté. Une loyauté qui pourrait entrer en conflit avec une autre loyauté, celle à l’information et au public destinataire de cette information-là.
A un journaliste engagé politique, il sera difficile d’user, dans son traitement de l’information, des genres dit ‘’d’opinion’’ ainsi appelés parce que permettant d’exprimer un point de vue sur des faits. Il est aisé de deviner ce qui devrait être la perplexité du journaliste partisan quand ces faits concernent son camp politique (et pas seulement politique), mais aussi syndical, religieux et autres. Un commentaire crédible, une analyse honnête, une chronique équilibrée, un éditorial sans connotation, voilà ce qui est attendu du journaliste qui use de ces genres commentés. Certes, ces derniers peuvent aider le public à mieux comprendre une information.
Le journaliste encarté risque d’être à l’étroit au sein de sa propre rédaction ; ou, dans certains cas, recevoir des mises en demeure d’un patron qui lui demanderait de choisir entre l’engagement partisan et des responsabilités. Cela est arrivé en Suisse où le rédacteur en chef adjoint de la ‘’Aargauer Zeitung’’ lança l’idée de ‘’passer du journalisme à la politique. Mais à peine avait-il annoncé son intérêt pour une candidature à une mairie dans les rangs du Parti libéral-radical, qu’il s’est vu contraint par son éditeur de choisir. L’idée d’abandonner un poste bien payé pour une élection incertaine l’a refroidi, et il a abandonné ses ambitions politiques’’. (Cf : https://www.letemps.ch/suisse/journaliste-politicien-une-double-casquett...).
Post-scriptum : Le problème du journaliste engagé politique est le même que représentent ces enseignants officiant en travail noir comme correspondants d’organes de presse, engagés dans les luttes syndicales des enseignants et qui font le compte rendu de grèves et autres débrayages initiés par leurs formations syndicales et auxquels ils participent, relaient les mots d’ordre et la propagande syndicale. Ce débat mériterait d’être posé autant que l’est, ces temps-ci, l’engagement politique de journalistes.