Après sa démission fracassante du Conseil supérieur de la magistrature en février 2017, le juge Ibrahima Hamidou Dème tourne le dos à son corps. Dans une lettre dont ‘’EnQuête’’ détient copie, le désormais ex-magistrat dit avoir ‘’démissionné d’une magistrature qui a démissionné’’.
Le 1er février 2017, il démissionnait avec fracas du Conseil supérieur de la magistrature (Csm) pour dénoncer l’instrumentalisation de cette institution par l’Exécutif. Un peu plus d’an après, le magistrat Ibrahima Hamidou Dème divorce définitivement d’avec son corps. Car les maux qu’il dénonçait persistent toujours, s’ils n’ont pas empiré, d’après les raisons qu’il a avancées dans une lettre pour justifier sa démission.
Dans cette correspondance, le désormais ex-magistrat explique que depuis sa démission du Csm, ‘’la magistrature est de plus en plus fragilisée, voire malmenée de l’intérieur comme de l’extérieur. Il en est résulté une crise sans précédent de la justice qui a perdu sa crédibilité et son autorité’’. D’après son constat, la magistrature ‘’ne joue plus son rôle de gardienne des libertés individuelles, de régulateur social et d’équilibre des pouvoirs’’.
Face à ce sombre tableau, l’ancien substitut général à la Cour d’appel de Dakar dit qu’il ‘’démissionne d’une magistrature qui a démissionné’’.
Toutefois, il explique que cette démission n’est pas une renonciation à son combat pour l’indépendance de la justice. ‘’Je ne capitule point, car je resterai indéfectiblement attaché au combat pour l’indépendance de la justice, indispensable pour la survie de notre nation et de notre démocratie’’, promet M. Dème, convaincu que ‘’ce combat ne saurait, en effet, être celui des seuls magistrats’’.
Revenant sur les critiques qu’il reproche à Dame justice, le démissionnaire pointe du doigt le chef de l’Etat. ‘’Le naufrage de la justice, c’est non seulement un manquement du président de la République à son obligation constitutionnelle de garantir l’indépendance de cette institution’’, dit-il. D’autre part, il indexe ‘’la responsabilité d’une importante partie de la hiérarchie judiciaire qui a distillé dans le corps une culture de soumission qui a progressivement remplacé une longue culture d’honneur, de dignité et d’indépendance’’.
Le sévère réquisitoire de l’ex-parquetier
Dans sa lettre, l’ex-parquetier, libéré du poids de l’obligation de réserve, n’a pas fait que le diagnostic de son ancien corps. Il dresse aussi un sévère réquisitoire sur le Sénégal, car il estime ‘’qu’au-delà de la justice, c’est tout le pays qui est en détresse’’. ‘’Les Sénégalais sont fatigués’’, écrit-il avant d’ajouter qu’’’aucun secteur de l’économie nationale n’est actuellement épargné par la précarité’’.
Très critique sur la marche du pays, il juge que ‘’les Sénégalais sont écrasés par le coût élevé de la vie, le chômage chronique et sont obligés de subir l’insécurité, l’indiscipline, la corruption et l’insalubrité’’.
Au demeurant, Ibrahima Dème dénonce une crise morale. Celle-ci fait que ‘’nos valeurs cardinales de dignité, d’honneur, de probité et de loyauté sont presque abandonnées au détriment du reniement, du non-respect de la parole donnée, de la trahison, du mensonge, etc., qui sont cultivés par les plus hautes autorités et ce, dans la plus grande indifférence’’.
Au banc des accusés, l’ancien maître des poursuites met les fonctionnaires qui, accuse-t-il, ‘’étaient jadis fiers et jaloux de leurs valeurs de neutralité, de désintéressement et soucieux de l’intérêt général (et qui) sont désormais contraints d’adopter une honteuse posture partisane et politicienne qui est la seule permettant d’accéder ou de conserver des postes de responsabilité’’. Même le régime en place n’échappe pas aux critiques de l’ex-parquetier. ‘’En lieu et place d’une gestion transparente, sobre et vertueuse promise, on constate une gouvernance folklorique, clientéliste, népotiste, gabégique et laxiste’’, fulmine-t-il.
La classe politique également en a pris pour son grade, car coupable, de l’avis de M. Dème, ‘’de la décadence de notre société’’. Outre la classe politique, il estime également que les citoyens ont une part de responsabilité dans cette déliquescence de notre société, à cause de leur silence coupable.
Au regard de cette situation décrite, Ibrahima Hamidou Dème invite à un sursaut, car ‘’nous méritons mieux que notre médiocre sort’’. ‘’Nous devons impérativement reprendre notre destin en main, en étant convaincus que notre patriotisme sincère vaincra sans doute les calculs et manœuvres des politiciens professionnels’’, lance-t-il.