Dakar, 22 mars 2018 (AFP) - Amnesty International a dénoncé jeudi les dangers qui pèsent en Mauritanie sur les défenseurs des droits de l’Homme combattant la persistance de l’esclavage et des discriminations dans ce pays, dans un rapport présenté à Dakar.
L’esclavage a officiellement été aboli en 1981 en Mauritanie, mais jusqu’à 43.000 personnes y étaient encore victimes de cette pratique en 2016, soit environ 1% de la population, selon le rapport, citant des estimations
d’organisations antiesclavagistes internationales.
Malgré des progrès juridiques, notamment l’adoption en août 2015 d’une nouvelle loi faisant de l’esclavage un "crime contre l’humanité", réprimé par des peines allant jusqu’à 20 ans de prison, contre cinq à dix auparavant, la situation n’a pas avancé dans les faits, selon Amnesty.
"Les lois n’ont pas été mises en oeuvre ni appliquées de manière adéquate", a déploré Alioune Tine, directeur régional de l’ONG lors de la présentation du rapport, estimant qu’elles n’avaient eu "aucune incidence sur la vie des gens".
Selon François Patuel, chercheur à Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest, "les autorités sont dans le déni et s’en prennent à ceux qui vont contre le discours officiel".
Une autre ONG de défense des droits de l’Homme, Human Rights Watch, avait également constaté, dans un rapport publié en février, que les défenseurs des droits de l’Homme faisaient face à des "mesures répressives lorsqu’ils soulèvent les questions sociales les plus sensibles du pays", dont la "discrimination ethnique et de caste" et "l’esclavage".
Le porte-parole du gouvernement mauritanien, Mohamed Lemine Ould Cheikh, a rejeté ces accusations, reprochant aux organisations humanitaires internationales de se fier à "des sources non crédibles" et affirmant que "des
gens sans scrupules, non indépendants et non objectifs sont à l’origine des ces informations mensongères".
Il a notamment démenti toute torture de détenu.
Lors de sa première visite officielle en Mauritanie en 2016, le Rapporteur spécial des Nations unies contre la torture, Juan E. Méndez, avait regretté que les lois contre la torture et les mauvais traitements n’y soient "pas appliquées".
"Ils m’ont attaché les mains et bandé les yeux", a raconté Amadou Tijane Diop, un militant antiesclavagiste arrêté en 2016, cité par Amnesty, poursuivant: "Quand nous sommes arrivés, un officier a dit : +Bienvenue à Guantanamo+. Avant l’interrogatoire, un garde m’a dit: +Dis-leur ce qu’ils veulent entendre. Tu sais que nous avons les moyens de te faire parler+".
Selon le rapport, depuis la réélection du président Mohamed Ould Abdel Aziz en juin 2014 et à un an de la prochaine présidentielle, les militants qui dénoncent la discrimination et l’esclavage s’exposent à "tout un arsenal de mesures répressives".
D’après les informations de l’ONG, "plus de 168 défenseurs des droits humains" ont été arrêtés arbitrairement et "17 d’entre eux au moins" ont été torturés ou soumis à d’autres mauvais traitements ces cinq dernières années.
Amnesty International reproche également au pouvoir d’avoir interdit ou dispersé de nombreuses manifestations pacifiques, souvent avec un usage excessif de la force.
"Les autorités doivent cesser cette attaque contre les défenseurs des droits humains et prendre des mesures concrètes et efficaces pour mettre fin à l’esclavage et à la discrimination", insiste l’ONG, qui réclame la libération de tous les militants emprisonnés.