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Sénégal : grandeur et décadence des télécentres
Publié le vendredi 9 mars 2018  |  Agence de Presse Africaine
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© aDakar.com par DR
Les télécentres n`existent presque plus au Sénégal
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S’il y a au Sénégal, un métier qui a fait un tabac avant de connaître un rapide déclin c’est bien celui de gérant de télécentre. Lancés en 1993 par la SONATEL sur les cendres des cabines publiques, les télécentres ont connu sous la gestion des privés leur âge d’or symbolisé par une multiplication tous azimuts de locaux ouverts presque partout dans le pays.

« Cinq ans après leur création, ils (les télécentres) étaient quelque 5.734 en 1998, répartis dans tout le pays. Leur nombre est passé à 8.200 au mois de septembre 2000 pour atteindre 13.000 l’année suivante, soit une progression de 57,97 % en un an », renseigne Mame Balla Mbacké dans son Mémoire intitulé « L’Emergence des télécentres au Sénégal » et soutenu en 2003 à l’Institut national de langues et civilisations orientales (INALCO).

Avant les télécentres, il y a eu les cabines de téléphonie publique en 1987, mais, indique Balla Mbacké, la SONATEL s’est vite aperçue de la limite de ces dernières car ’’conçues et réalisées dans un contexte culturel différent’’. D’où, a-t-il souligné, la résolution de la Société nationale des télécommunications de confier l'exploitation des lignes téléphoniques à des privés.

Cette mesure qui donna naissance aux télécentres se révéla une poule aux œufs d’or pour beaucoup de personnes comme Oumou Bâ, une habitante de la populeuse commune de Grand-Yoff (quartier de Dakar).

Encadrée par un ancien agent de la SONATEL, Oumou, jusque-là femme au foyer, se jette à l’eau en ouvrant le 6 juillet 1999 sa première cabine téléphonique.

« Ma première facture s’élevait à plus d’un million FCFA, avec un bénéfice de plus de 100 000. Le premier rêve que j’ai accompli avec ces profits fut l’achat d’un frigo à 250 000 », se souvient la dame d’une cinquantaine d’années dont le magasin qui abritait son télécentre jusqu’en 2009 est aujourd’hui transformé en boutique de vente de cosmétiques.

A l’époque, pour ouvrir un télécentre il fallait s’acquitter d’une caution de 500 000 FCFA, disposer d’un local décent, de quelques équipements comme les box où entrent les clients pour téléphoner, de chaises pour le gérant et ses clients et, enfin, d’une petite machine appelée « taxaplus ». D’un coût de 1000.000 FCFA, elle servait à relever le temps d’appel à des fins de facturation.

Munie de tout cet équipement, Oumou a vu son business prospérer rapidement jusqu’à ce qu’elle soit obligée d’engager trois employés pour faire face aux sollicitions des clients. Il est vrai que l’utilité du téléphone devenu subitement accessible au grand nombre a beaucoup joué dans ce succès d’époque.

Ainsi, Abdoul Aziz Bâ, étudiant infirmier domicilié aux Parcelles assainies (banlieue), reconnait que c’était « une opportunité émouvante », en tant que villageois de pouvoir « parler avec des personnes » situées au loin.

Pour le journaliste Abdoulaye Bane, le télécentre s’avéra un formidable outil de travail. « Mes éléments se faisaient enregistrer par le CDM (Centre de modulation). En ce moment-là, nous n’avions pas encore une station sur place. J’étais obligé d’aller dans un télécentre pour envoyer mes papiers. Ou bien le CDM m’appelle par le numéro du télécentre dans lequel j’étais », se souvient le confrère qui était correspondant de la Radio Sénégal internationale (publique) à Mbacké, à 180 km de Dakar.

Il n’y avait pas que les gérants à se frotter les mains. La SONATEL, conceptrice et garante des télécentres y trouvait largement son compte, à en croire Mame Balla Mbacké qui révèle qu’ils contribuaient à hauteur de « 30% au chiffre d'affaires » de la société de télécommunications.

Au fil des années, cependant, les prémisses de déclin apparaissent sous forme de cherté des unités d’appel, de la mauvaise localisation de certains télécentres et du manque de discrétion noté dans beaucoup d’entre eux.

« Ce n’était pas du tout discret, les cabines étaient côte à côte. Non seulement le gérant entend votre conservation mais également les clients », se souvient Fanta Founé Danfakha, planificatrice de l’Inspection de l’éducation et de la formation (IEF) de Keur Massar (banlieue).

Toutefois, le coup de grâce viendra du développement prodigieux de la téléphonie mobile et de la concurrence exacerbée que se livrent leurs vendeurs au Sénégal.

Le Pr Olivier Sagna de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, dans une publication, intitulée « Les télécentres privés du Sénégal : La fin d’une « success story », analyse ainsi la nouvelle situation : « Un nouveau modèle économique, basé sur la réalisation d’une faible marge sur un nombre élevé d’abonnés, s’est imposé dans le cadre duquel la téléphonie mobile s’est développée à un rythme que même les opérateurs n’avaient pas prévu ».

Les nouvelles méthodes de recharge de crédit (Seddo, Izi, …) sont devenues de fait plus prisées par les clients, car plus accessibles et plus économes que les télécentres, dès lors freinés dans leur envol.

Pour l’étudiant Abdoul Aziz Bâ, cette « mutation vers les Seddo et autres était une nécessité » là où le journaliste Abdoulaye Bane reconnait avoir eu « quelques difficultés » pour envoyer ses papiers lorsque les télécentres ont « subitement disparu».

Très nostalgique, Oumou Ba, elle, ne décolère pas après la Sonatel coupable à ses yeux d’avoir procuré du travail à beaucoup de Sénégalais sans pour autant penser à les aider à « se redéployer après le déclin » des télécentres. Sollicitée pour une interview, Orange qui a remplacé la SONATEL en 2006 n’a pas donné suite à notre requête.

Aujourd’hui beaucoup d’ex gérants de télécentres se sont reconvertis dans des activités de transfert d’argent et de photocopie de documents. Pour sa part, Oumou est retournée à ses fourneaux, après avoir vendu momentanément des crédits de recharge téléphonique, une activité qu’elle juge « loin d’être aussi bénéfique que les télécentres ».

ODL/cat/APA
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