Selon le recensement de 2013 de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd), les personnes handicapées font 5,9% de la population sénégalaise. Si, chez certains, des accidents ou maladies sont à l’origine du handicap, pour d’autres, il est inné. Souvent marginalisées, la discrimination à leur égard revêt différentes formes à cause de leur vulnérabilité. D’où les efforts du Comité des femmes de la Fédération des associations de personnes handicapées et la dynamique d’appuyer ces personnes vulnérables de la Direction de la promotion et de la protection des personnes handicapées au ministère de la Santé et de l’Action sociale.
Des va-et-vient incessants, des marchandises exposées par-ci, par-là, en plein air dans la rue, sur les trottoirs même. Tantôt une foule compacte se forme à cause de l’étroitesse de la rue. Le centre ville de Dakar est encombré. En ce jour de lundi, le vent dicte sa loi aux piétons. Des passants pressés ne se soucient pas du feu qui affiche le vert. Les automobilistes donnent ainsi des coups de klaxons qui tympanisent les oreilles. Le charivari devient total avec ces cris et sifflets des vendeurs. Peu de temps après, le feu devient rouge, obligeant les voitures à s’arrêter.
Dans son fauteuil roulant, une dame se faufile entre les véhicules. Certains automobilistes ou passagers baissent les vitres des portières et lui glissent des pièces de monnaie dans le creux de la main tendue ou tout autres type d’aumône tandis que d’autres restent intacts dans leurs voitures. C’est ainsi que Coumba, du nom de cette dame, gagne sa vie. Tous les jours, elle arpente les rues de la capitale en quête de l’aumône pour soulager sa misère. La quarantaine bien sonnée, vivant avec un handicap, Coumba est obligée de tendre la main, malgré elle, pour survivre. Elle n’a pas le choix. «Depuis une dizaine d’années, je mendie dans les rues de Dakar pour satisfaire mes besoins puisque, en tant qu’handicapée, je ne peux pas travailler comme les autres. Et je suis issue d’une famille démunie», nous dit-elle. Victime d’un accident de la route à l’âge de 10 ans, Coumba a perdu l’usage de ses jambes. Depuis lors, la thiessoise mène une vie difficile.
«LE JOUR OU UN HOMME M’A PROPOSEE DE…»
Elle ne cesse d’être confrontée à d’énormes problèmes, à cause de son infirmité. «Au sein de ma famille même, les gens me minimisent. Certains ne veulent même pas me voir à cause de mon handicap. Ils ne veulent même pas que je reste avec eux, sous prétexte que je suis maudite. Ce qui m’oblige à quitter la maison très tôt le matin», confie-t-elle. Visage miné, yeux rougis, son physique en dit long sur sa misérable situation. Les larmes dans la voix, Coumba raconte: «étant jeune, je ne mendiais pas. Mais une voisine à moi qui n’arrivait pas à avoir du travail n’arrêtait pas de me blâmer et de jeter le tort sur moi disant que c’est parce qu’elle me voyait tous les matins. Vous voyez comme c’est difficile de vivre avec un handicap». Racontant toujours son calvaire, la dame se rappelle jour où homme lui a proposé une certaine somme d’argent pour coucher avec elle: «Un jour, un gars est venu aisément et m’a proposée 100 mille F Cfa, si j’accepte d’être avec lui. Il m’avait dit qu’il avait beaucoup de problèmes avec sa famille et un marabout lui a ordonné de coucher avec une femme handicapée, mais j’avais refusé. J’ai décliné la demande», confie Coumba.
«LE SEUL FAIT D’ETRE HANDICAPEE, C’EST…»
Contrairement à Coumba, Marie Pierre Coumba Thiaw, une femme handicapée trouvée chez-elle à Grand-Dakar se débrouille tant bien que mal pour gagner sa vie. Elle s’active dans la couture et l’artisanat à Sainte-Thérèse, grâce à des sœurs qui l’ont soutenue. Emmitouflée dans une taille basse rose, la tête recouverte de tresses américaines, à voir Marie Pierre Coumba Thiaw assise, rien ne renseigne à priori sur son infirmité. Sauf que, quand elle se lève, elle est contrainte de clopiner avec ses béquilles. «Le seul fait d’être handicapée, c’est difficile. Je suis confrontée à beaucoup de problèmes dehors. Dès fois, les gens te minimisent. J’ai vécu ça mais cela ne m’a rien fait parce que je crois en moi-même. Surtout quand je prenais les cars rapides, les apprentis n’attendaient même pas que je monte et m’assoie, pour inviter le chauffeur à démarrer la voiture », déplore-t-elle. Aujourd’hui, elle se rend à son lieu de travail à l’aide d’un moteur. «Je n’ai jamais vécu les sacrifices puisque je ne mendie pas», dit-elle. Mais, ajoutet-elle, «des hommes m’ont interpellée à plusieurs reprises pour de sales choses. On voit que tu es handicapée et on te fait des propositions. Je le vis tous les jours, jusqu’à aujourd’hui», soutient-elle. Même si à première vue, il serait peut-être difficile pour un homme de résister à son teint clair, sa taille, son élégance et sa très belle forme, à 49 ans, Marie Pierre est toujours célibataire. Elle trouve que sa situation matrimoniale est due à son handicap. «Les hommes nous fuient, nous les handicapées», argue-t-elle.
«ETANT ENFANT, JE ME DISAIS QU’UN HANDICAPE NE DEVAIT PAS ALLER A L’ECOLE»
Non loin de chez Marie Pierre Thiaw, Angélique Diatta vit avec sa famille au premier étage d’un immeuble. Victime aussi d’une poliomyélite entre ses 8 et 9 ans, à cause d’une piqure ratée, dit-elle, elle est devenue handicapée. Contrairement à Marie Pierre, Angélique Diatta a, quant à elle, fré- quenté l’école. Même si son cursus scolaire a été court. «J’ai étudié jusqu’en classe de Cm2 et j’ai arrêté moi-même les études malgré l’insistance de mon papa parce qu’avant, je croyais qu’un handicapé ne devait pas aller à l’école», indique-t-elle. «Etre handicapé, ce n’est pas facile. Mais, moi, je ne me comporte même pas comme une handicapée, j’essaie de faire comme tout le monde. Je nettoie, je fais le linge, je prépare», déclare la casamançaise. Couturière de son état, Angélique Diatta détient sa Carte d’égalité des chances tout comme Marie Pierre Coumba Thiaw. Elles reçoivent tous les trois mois une bourse de 25 mille F Cfa. Une somme qu’elles jugent petite et invitent le Chef de l’Etat à faire plus