La transhumance est le sport le plus pratiqué par les politiciens sénégalais.
Sans vergogne, sans morale, ils sont prêts à renier leurs prétendues convictions, à avaler leurs vomissures, à quitter leur formation politique au soir d’une défaite électorale pour rallier les nouveaux promus.
D’Abdou Diouf jusqu’à Macky Sall en passant par Abdoulaye Wade, le nomadisme politique fait son petit bonhomme de chemin comme si la morale politique l’agrée.
Diouf l’a ébauchée, Wade l’a institutionnalisée et Macky la parachève. C’est le culte de la « politichiennerie ».
Au Sénégal, la transhumance a toute une histoire. Du temps du régime senghorien, le phénomène de la transhumance ne prospérait pas. A l’époque, en effet, on assistait plutôt à des fusions bâties sur une idéologie commune et un programme de gouvernement concerté. Après le supposé coup d’Etat perpétré par le président du Conseil, Mamadou Dia, de novembre 1962, l’Union progressiste sénégalaise (Ups), fusionne le 14 juin 1966 avec le Parti du regroupement africain-Sénégal (Pra) d’Abdoulaye Ly, Amadou Makhtar Mbow et Assane Seck. Le Pra était alors seul parti d’opposition légal. Mais en réalité, dans ce cas de figure, on ne peut pas parler de transhumance puisque ces responsables politiques étaient connus pour leur probité morale et leur répugnance de toute faveur pécuniaire ou matérielle. Il s’agissait véritablement d’une fusion en bonne et due forme entre deux partis politiques.
LE PS INAUGURE L’ERE DE LA TRANSHUMANCE…
C’est lorsque le multipartisme limité a été instauré par le président Senghor que le phénomène de la transhumance a réellement commencé à prospérer. Aux législatives de 1978, le Pds obtient 18 sièges à l’Assemblée nationale. Mais en 1982, Mamadou Fall Puritain, président de l’Union des travailleurs libres sénégalais (Utls), élu député Pds lors des législatives de 1978, quitte ladite formation en janvier 1982 pour devenir indépendant. Sept autres députés rallient le Parti socialiste (Ps) au point de faire perdre au Pds son groupe parlementaire. Ainsi entre 1978 et 1983, le nombre de députés libéraux passe de dix-huit à dix. En 1986, le modéré Fara Ndiaye, numéro 2 du Pds, quitte la galaxie libérale. Il démissionne en même temps de son poste de député. Abdou Diouf en fait son Conseiller spécial compte tenu de leurs relations amicales.
Il pilote ensuite le projet de Canal du Cayor avant de présider le conseil d’administration de Canal horizons. Sa douce transhumance au Ps est devenue une réalité. Mais il faut préciser que Fara Ndiaye n’a pas rejoint Abdou Diouf pour des prébendes ou des postes. Il était un homme pétri de valeurs. Les raisons qui l’ont fait quitter le Pds sont plutôt d’ordre doctrinal. Sa conception intellectuelle de la lutte pour le « Sopi » détonnait avec les méthodes violentes de son patron Abdoulaye Wade.
Finalement, sachant que l’utilisation de la violence et de la terreur étaient les armes de prédilection de Wade pour combattre le régime socialiste, Fara fut obligé de quitter pour continuer à servir le Sénégal sous l’aile de son ami Abdou Diouf. Au préalable, son frère de parti Famara Mané, co-fondateur du Pds, s’était retrouvé au consulat du Sénégal en Guinée Bissau après avoir démissionné du Pds pour rejoindre le Ps le 15 janvier 1982. Il retournera à ses anciennes amours quelques années plus tard. Il en est ainsi des Koldois Yoro Kandé et Alassane Baldé qui ont quitté le Pds respectivement en 1976 et en 1990 pour les prairies vertes.
LE PDS L’INSTITUTIONNALISE…
Il est vrai que le Pds aura subi des débauchages de militants et autres tentatives de déstabilisation jusqu’au changement de régime en 2000. D’ailleurs, les Sénégalais se demandent pourquoi ce parti, qui a tant souffert de ce fléau, l’a théorisé et encouragé en sa faveur dès son accession au pouvoir. Beaucoup de socialistes qui étaient aux responsabilités sous le magistère de Diouf ont tourné casaque quand ils étaient épinglés par des audits. La crainte de poursuites pénales ou la recherche de prébendes a poussé certains responsables socialistes à transhumer au Pds. Ils ont été absous curieusement par la justice. C’est le prix de la transhumance au nouveau pouvoir. Ainsi Abdoulaye Diack, Mbaye-Jacques Diop, Aïda Mbodj, Sada Ndiaye, Léna Fall Diagne, Adama Sall, Abdourahmane Sow, Cora Fall, Mbaye Diouf, Aïda Ndiongue et sa sœur Bakhao et l’époux de cette dernière, Mame Birame Diouf, la défunte Tieo Cissé Doucouré, André Sonko, Paul Ndong, Balla Moussa Daffé, Salif Bâ, feu Assane Diagne, Alassane Dialy Ndiaye etc., quittèrent sans vergogne le navire socialiste qui tanguait dans les eaux troubles de la défaite électorale pour transhumer vers les prairies bleues.
Lobatt Fall a transhumé lui au Pds avant de déposer ses baluchons à l’Apr. Les responsables socialistes pétris de convictions profondes comme Abdou Aziz Tall de la Lonase, qui refusaient de quitter le Ps pour le Pds, ont été jetés en prison avant d’être blanchis. Abdoulaye Babou, transfuge socialiste, a transhumé à l’Alliance des Forces de progrès (Afp) avant d’être attiré par les sirènes bleues. Serigne Mbacké Ndiaye trahira sans scrupule son leader Abdou Rahim Agne avant rejoindre le Pds. Contrairement à Abdou Diouf, Abdoulaye Wade a toujours casqué des millions pour dérouler le tapis rouge aux transhumants socialistes. Ce qui pose un problème d’éthique politique.
Toutefois, cette transhumance a pris de façon séquentielle une allure policée notamment avec les fusions-absorptions avec le parti au pouvoir.
C’est le cas de la Convention des démocrates et des patriotes Garab-gi du professeur Iba Der Thiam qui s’est diluée dans le Pds depuis mai 2005. Ce dernier a été le chantre de « Abdo Niou Doy », mouvement politique qui soutint Abdou Diouf en 1988. Mbaye Jacques Diop, qui avait emprunté le même chemin sous le régime wadien, s’est rapproché vers l’actuel président en animant la Coalition pour l’Emergence où l’on retrouve les reliques de la Cap 21.
MACKY LA PARACHEVE
Des garde-fous sont placés dans notre législation pour éviter la transhumance des députés d’un camp à un autre. Mais une telle disposition ne suffit pas pour stopper l’envie irrépressible de la transhumance de nos hommes politiques.
Le phénomène a atteint son paroxysme dans l’entre-deux tours de la dernière présidentielle où des politiciens comme Adama Sall qui ont dans le sang le virus de la transhumance ont rejoint la Coalition Macky 2012. Les centaines de millions débloqués au vu et au su de tout le monde par Abdoulaye Wade pour venir à bout de son adversaire ont même donné un aspect légitime même à la transhumance. Finalement, c’était de l’escroquerie ou du chantage. Le cas le plus illustratif est celui d’Ass Diagne, l’actuel maire de Mékhé, qui a transhumé avant l’alternance à l’Apr avant de retourner trois jours plus à la maison-mère mais contre espèces sonnantes et trébuchantes.
Le 04 décembre 2013, c’était au tour de Wouri Bâ, ex-militant du Ps, de Aj/Pads, du Pds de quitter le navire bleu pour la barque beige-marron. Nafissatou Diop Cissé a déchiré le protocole de Rebeuss pour se coller au président Macky Sall. En guise de récompense, une nomination à la présidence du conseil d’administration du Fonsis. Kalidou Diallo, a porté sur les fonts baptismaux un mouvement (Alliance des leaderships pour l’émergence et le développement) dont la phonie du sigle (Aled) laisse croire qu’il lance un cri de détresse. Serigne Mboup, qui avait abandonné son ami et ex-collègue à la société Petrosen, Macky Sall, en pleine tourmente oppositionnelle, a rejoint son « frère et ami » devenu président de la République. Il est récompensé par la présidence du Conseil d’administration de la Sar qui était occupé par, Aymérou Gningue, un autre de leurs ex-collègues à Petrosen.
L’ex-maire de Colobane, Adama Bâ, a été récompensé lui aussi de sa transhumance avec la présidence du Conseil d’administration de la Plateforme de Diamnadio. Malick Guèye de Lat-Mingué a rejoint la Première dame. Innocence Ntap Ndiaye, elle, a rejoint elle aussi l’actuel pouvoir. Khouraïchi Thiam, n’a pas pu accéder aux prairies beige-marron autour desquelles il faisait le poireau depuis 22 mois. Mais voilà qu’Awa Ndiaye éclaboussée par un rapport de la Cour des comptes dépose ses nattes, bouilloires, clés UBS et autres ustensiles chez le président Macky Sall. C’est le gage de l’arrêt de toute éventuelle poursuite judiciaire contre elle. L’ex-ministre libérale Ndèye Khady Diop, cousine du Premier ministre Aminata Touré Mimi, elle-même présentée comme la grande prêtresse de la traque aux biens mal acquis sous l’ancien régime, Ndèye Khady Diop, a, elle aussi rejoint l’Apr même si elle a préféré pour le moment opter pour le silence pour des raisons politico-stratégiques.
Aïda Mbobj, plus intelligente, a opté pour des raccourcis en mettant sur pied un mouvement politique. Mais tout le monde sait qu’elle ne clignote à droite que pour mieux… bifurquer vers l’APR. A ce rythme, le sigle Apr peut disparaître pour céder sa place à un Pds-bis.
Le problème c’est que, si ces transhumants précités pesaient électoralement lourd, Wade serait encore au pouvoir. Que le président Macky Sall obnubilé par une massification en trompe-l’œil de son parti au point de piétiner les valeurs et la morale politiques le comprenne !