Après avoir subi une tentative d’éviction (2007), puis une défaite effective et affective (2012), de la part de ses deux meilleures ‘‘émanations’’ politiques actuelles, le secrétaire général du Parti démocratique sénégalais (Pds), Me Abdoulaye Wade, pourrait recevoir un cadeau inespéré du destin : arbitrer le duel Macky Sall/Idrissa Seck qui se dessine.
C’est une cruelle ironie du sort qui semble se dessiner. Me Abdoulaye Wade pourrait donner la dernière pelletée pour la mise au tombeau de l’un de ses deux anciens Premiers ministre et ‘‘fils’’ putatifs, Idrissa Seck et Macky Sall. Le clivage Idy/Macky que les observateurs présagent en 2019 pourrait avoir comme arbitre l’ancien président de la République (2000-2012) qui aura pourtant tout fait pour que l’actuel n’en soit pas un, et que son prétendant le plus sérieux n’en soit pas un non plus. Mais l’épisode de ces relations politico-affectives paraît tourner une nouvelle page. Et l’offensive de charme communicationnel du président du Conseil départemental de Thiès va dans le sens de ne pas rater le bon timing.
Idrissa Seck qui a des prétentions légitimes de ‘‘5th Président’’ comprend qu’il lui est impossible de rêver de l’Avenue Roume sans l’appareil de sa matrice politique originelle : le Pds. L’appel d’air créé par la vacuité d’un leadership fort chez les bleu-jaune, la candidature presque hypothéquée de Karim Wade, et une succession duale déjà critique (Madické Niang ou Omar Sarr) obligent de plus en plus Idrissa Seck à se positionner. La preuve par les discours d’apaisement envers l’homme qui aura pourtant anéanti son destin de chef d’Etat, pour le mettre en mal avec l’actuel chef de l’Etat. ‘‘Si vous prenez le cas d’Abdoulaye Wade, aujourd’hui l’Afrique et le Sénégal sont privés de son talent diplomatique, de son envergure et de toute sa flamboyance. Ni l’Union africaine, ni la Cedeao, ni l’Uemoa, ni l’Onu ne font appel à lui, du seul fait du traitement que lui réserve Macky Sall’’, a déclaré Idrissa Seck jeudi 22 février 2018, lors du Magal de Porokhane.
Contacté par téléphone, l’enseignant à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Moussa Diaw, est d’avis qu’‘‘Idrissa Seck a fait une analyse de la situation politique. Au niveau de sa coalition, il ne peut prospérer qu’à travers un soutien du Pds. Tout ce qu’il fait en ce moment - ses changements dans sa stratégie communicationnelle pour se rapprocher de Me Wade - s’inscrit dans cette logique de gagner sa sympathie. Il en a besoin car il sait que le Pds ne pourrait se prononcer en sa faveur qu’à travers un rapprochement avec Me Wade. Le connaissant bien et envisageant la non-participation de Karim, il sait que c’est le moment de se rapprocher.
Ce qui va consolider sa position en tant que candidat incontournable de l’opposition’’, analyse-t-il. Le fait est que lors du dernier test électoral d’envergure, les Législatives du 30 juillet 2017, BBY a obtenu 1 637 761 voix, alors que toutes les autres listes combinées de l’opposition totalisent 1 672 674 suffrages valablement exprimés, montrant que le régime pourrait aller en ballottage si la tendance actuelle se maintenait dans un an. Des résultats dont la coalition Manko Wàttu Senegaal emmenée par le Pds truste les 33% des voix (552 095). L’ancien maire de Thiès a perdu beaucoup de terrain entre la Présidentielle de 2007 (deuxième avec 14.92% des voix) et celle de 2012 (cinquième avec 7,86 des suffrages valablement exprimés). Le 30 juillet 2017, la perte du département de Thiès suivie de la ‘‘bouderie’’ de l’un de ses lieutenants prometteurs, Thierno Bocoum, affaiblissent un peu plus ses forces.
‘‘Wade est d’un certain âge, il pourrait pardonner’’
Pour toutes ces raisons, Idrissa Seck cherche à se rapprocher de Wade. Le lourd passif entre les deux hommes rend cette union difficile toutefois. L’affaire des chantiers de Thiès, le protocole de Rebeuss, les accusations de publication du bulletin médical de Wade par Idy, les tentatives de disqualification de Wade pour un troisième mandat, le refus de Karim d’accepter les condoléances d’Idy à la mort de son épouse Karine..., ont émaillé les relations entre les deux.
Les tribulations du fils putatif, Idrissa Seck, contre le fils biologique, Karim Wade, à la maison du père, se sont terminées par l’éviction du surpuissant Premier ministre, directeur de cabinet du Président, commissaire politique (à la soviétique), et numéro 2 du Pds d’alors. Pas plus tard qu’en mai 2016, ce dernier pestait contre le coup de fil d’Abdoulaye Wade à Macky Sall, juste avant le dialogue du 28 mai et la libération de Karim Wade qui s’ensuivit. ‘‘Voilà encore les deux mêmes personnes qui étaient complices et auteurs du grand complot d’État contre moi qui, aujourd’hui, font le même deal sur le dos des Sénégalais’’, dénonçait-il dans le prolongement de persécutions politiques intenté contre lui une décennie plus tôt, en 2005.
Mais la politique est aussi question d’opportunité et de contexte. Moussa Diaw estime qu’un rabibochage entre Idy et Wade est dans l’ordre du possible même si les deux hommes ont souvent des ‘‘relations paradoxales, contradictoires’’. ‘‘Il (Idy) a toujours sa chance parce qu’il connaît bien son ancien mentor, l’a fréquenté. Le président Wade est d’un certain âge, il pourrait bien pardonner. Idrissa Seck lui a joué des tours, mais c’est le jeu politique qui est ainsi. Mitterrand a politiquement éliminé Michel Rocard, mais il en a fait son PM quand il en a eu besoin. Compte tenu du contexte politique au Sénégal, le rapprochement peut se faire entre les deux. L’idéal pour Idrissa Seck, c’est d’avoir la bénédiction du pape du Sopi. Il peut en profiter car dans l’opposition, il fait partie des meilleurs, sinon le meilleur’’, analyse l’enseignant chercheur à l’Ugb.
L’Apr & Bby ne cracheraient pas sur les 33% du Pds
Histoires de Premiers ministres décidément ! L’actuel, Mahammed Boun Abdallah Dionne, d’habitude au-dessus de la mêlée, semble lire la trajectoire des évènements et se la joue également pyromane à chaque incendie médiatique déclenché par les sorties d’Idrissa Seck. ‘‘L’ancien Premier ministre ne représente rien du tout dans ce pays, à part être un spécialiste des scissions-recompositions. A chaque fois qu’on le voit dans un ensemble, il s’arrange pour casser cette assemblée et repartir dans l’opposition’’, a-t-il pesté contre son lointain devancier après des critiques acerbes de ce dernier. Pour son camp, l’Alliance pour la République (Apr) et sa coalition Bby (Benno Bokk Yaakaar), il serait suicidaire de laisser filer les 33% du Pds à leurs dépens. Cet apport leur garantirait d’office un premier tour qu’ils appellent de tous leurs vœux.
Le camp de Macky Sall, pour son test électoral grandeur nature depuis 2012, en juillet dernier, a été obligé de déployer des efforts colossaux pour une victoire sur le fil contestable et contestée du reste (même dans son propre camp par Alioune Badara Cissé ,l’actuel médiateur de la République) dans le département de Dakar, alors qu’un bastion tout aussi symbolique, Touba, se refuse toujours à lui céder. Pour l’instant, l’heure est à la mobilisation, mais rien ne semble présager d’une entente avec le Pds si on est dans la logique martiale du secrétaire général adjoint, Oumar Sarr, critiquant la conduite de l’audit du fichier électoral : ‘‘Le peuple doit mieux s’organiser et affronter le régime, forcer la démocratie et obtenir des élections honnêtes. Il n’y a pas d’autres voies. Nous avons la force du nombre. Ils ont les baïonnettes, les gaz lacrymogènes et les moyens de la corruption’’, a-t-il déclaré avant-hier dans un entretien au journal Dakar Times.
Pour des raisons tout à fait différentes, l’analyste politique Moussa Diaw estime aussi qu’à choisir entre les deux contentieux affectifs lourds, le secrétaire général du Pds va plutôt prendre l’option Idrissa Seck. Son passif avec Macky Sall est plus irréconciliable, pense le chercheur. En dehors de l’épreuve judiciaire et de l’exil imposés à son fils Karim, le ‘‘pape du Sopi’’ Wade pourrait avoir l’opportunité de rembarrer celui qui a eu l’outrecuidance, mais surtout l’ingéniosité insoupçonnée d’avoir réussi à désincarner le mythe Wade, à tuer le père. ‘‘Abdoulaye Wade préférerait soutenir Idrissa Seck, quelle que soit la situation, parce qu’il pourrait être tenté de prendre sa revanche. Il n’a pas oublié la manière dont il a été écarté du pouvoir. Il n’a jamais vraiment supporté la manière dont il en a été évincé. Il n’a jamais légitimé le pouvoir de Macky Sall. Compte tenu de l’importance des enjeux, ce n’est pas maintenant que Me Wade va changer d’avis’’, pronostique le politologue Moussa Diaw.
‘‘Il n’est pas dit qu’Idy sera le candidat de l’opposition’’’
L’habituel triptyque séduction-élection-recomposition auquel nous a habitué la classe politique s’apprête à entrer dans un nouveau cycle. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. L’analyste politique invite à la prudence. Pour cette grille de lecture, il pense qu’il ne faut pas brûler les étapes. ‘‘Il n’est pas dit qu’Idrissa Seck est le candidat de l’opposition. Le soutien de Wade peut le consolider, mais il n’est pas écrit qu’il va forcément faire face à Macky Sall. Ce n’est pas encore acquis, il a tout un travail de terrain à faire auprès de l’opposition et auprès de son ancien mentor’’, souligne-t-il.
La seule plage de convergence entre les deux émanations politiciennes Premiers ministres de Me Wade est qu’ils ne se concéderont aucun pouce de terrain. Si l’on considère leur affrontement égotique, névrose d’un passé mal éteint à la maison paternelle, les piques ne font que commencer. En témoigne leur chassé-croisé dans les localités de l’intérieur du pays qui donne un coup d’envoi plus que prématuré à la campagne électorale de 2019 ; sûr que la bataille finale les opposera. A moins que le maire de Dakar Khalifa Sall soit blanchi par le Tribunal correctionnel de Dakar le 30 mars prochain. Ou que le fils biologique de Me Wade, Karim, ne vienne rebattre les cartes. En chair et en os.