La pêche au Sénégal est à l’image du poisson le plus recherché, la sardinelle (Yaboy). Très riche en protéines, mais pleine d’arêtes dangereuses. Si l’activité crée des emplois et nourrit la population, la surexploitation menace la ressource et expose les acteurs artisanaux.
Le 29 janvier dernier, un pêcheur sénégalais a été tué par les garde-côtes mauritaniens, parce que la pirogue dans laquelle il se trouvait pêchait de manière illégale dans les eaux du pays voisin. Le jeudi 15 février, 107 autres pêcheurs sont arrêtés en Guinée Bissau pour la même raison. Ainsi, en l’espace de deux semaines, ces acteurs de la pêche artisanale ont été éprouvés à la fois au nord et au sud du pays. Ce qui pose un problème global, au-delà des faits isolés : à savoir la disponibilité des poissons dans les eaux sénégalaises. Depuis des années maintenant, les pêcheurs ne cessent de faire des incursions illégales aux larges des pays limitrophes. Si le Sénégal n’avait pas d’accords avec la Gambie, sans doute la même difficulté se serait posée avec Banjul.
Le problème est pourtant connu de tous. Des autorités aux pêcheurs en passant par les organisations partenaires, personne n’ignore que le poisson se fait rare depuis plus d’une décennie dans les côtes sénégalaises. En réalité, le pays fait face à une surpêche. Le mérou blanc appelé ‘’coof’’ en wolof a presque disparu des côtes. Il est devenu plus qu’un luxe pour le Sénégalais moyen. La sardinelle, espèce la plus prisée actuellement au Sénégal, se raréfie de plus en plus. L’une des premières conséquences est que les pêcheurs sont obligés d’aller loin pour trouver ce poisson, parfois au péril de leur vie. ‘’Le principe est simple, si on ne trouve pas ce que l’on cherche chez soi, on voit ailleurs’’, résume Ibrahima Cissé, chargé de campagne à Greenpeace. Aujourd’hui, d’après certaines sources, il faut presque une semaine pour avoir une capture égale à celle qu’une pirogue pouvait jadis avoir en deux jours. C’est que les eaux sénégalaises sont soumises à une forte pression, du fait de la présence de bateaux-usines (voir ailleurs) et de l’importance de l’activité dans le pays. Les personnes qui évoluent dans le secteur sont nombreuses et les captures énormes.
Selon le rapport 2016 sur les résultats généraux de la pêche maritime, on dénombre 71 177 pêcheurs dans la section artisanale, contre 53 101 en 2015. Une progression de 34% qui s’explique, selon la direction des pêches maritimes (Dpm), par le retour de pêcheurs sénégalais de la Mauritanie. La pêche artisanale représente plus de 80% des acteurs et des débarquements. Quant à la pêche industrielle, elle se divise en deux parties, celle dite nationale et celle étrangère. La pêche industrielle nationale représente 89 570,42 tonnes en 2016 contre 47 445 tonnes en 2015, soit une hausse de 89%. ‘’Ces hausses en quantités et valeurs s’expliquent par la présence des navires sénégalais dans les pays de la sous-région grâce à des accords de pêche signés entre le Sénégal et les autres pays d’une part, et d’autre part par l’augmentation du nombre de navires, surtout les thoniers senneurs’’, explique le rapport. La pêche étrangère, elle, se chiffre à 8 438 tonnes. Il faut savoir que ce segment n’est pas destiné à être débarqué à Dakar. Le produit est soit transformé à bord, soit débarqué dans les pays d’origine des navires.
Place de la pêche artisanale
Ainsi donc, c’est la pêche artisanale qui reste de loin le plus important. Toutes les sources sur cette question sont unanimes sur le fait qu’entre les pêcheurs, les mareyeurs, les charpentiers, les mécaniciens, les vendeuses, les transformatrices, les écailleurs…, la pêche génère 600 000 emplois directs et indirects. Les captures sont tout aussi importantes. ‘’Les débarquements de la pêche artisanale maritime se chiffrent à 397 871 tonnes en 2016 contre 383 222 tonnes en 2015, soit une hausse de 4%. La valeur commerciale estimée des produits entre 2015 à 2016 est passée de 110,724 milliards à 126,706 milliards de F CFA, soit une hausse de 11%’’, relève la Dpm à travers son rapport 2016. Le Sénégal est ainsi deuxième de la sous-région derrière le Nigeria, 530 000 tonnes annuelles en moyenne. En 2013, selon l’Ansd, la pêche représentait 11,9% des recettes d’exportation des biens et 1,8% du Pib si on se limite à la production. Mais si on y ajoute les activités connexes comme la transformation, on arrive à un peu moins de 4% du Pib.
Cette place de la pêche dans l’économie ne se retrouve nulle part ailleurs dans les pays limitrophes. En mai 2015, le ministre de l’Economie maritime, en déplacement à Sédhiou, avait révélé qu’il y a 21 000 pirogues recensées au Sénégal. Oumar Guèye n’a pas manqué de s’inquiéter d’un tel nombre et de ses conséquences sur la ressource. ‘’Même si la pêche artisanale assure les 80% des mises à terre, force est de reconnaître qu’avec le nombre de pirogues utilisées, la ressource ne peut pas augmenter ; donc, il faut que certains pêcheurs se reconvertissent dans d’autres secteurs, comme le cas à Mbodiène où beaucoup se sont illustrés dans l’élevage avec des sources de revenus très importantes’’, préconisait-il. Le ministre estime même que la pêche de capture a atteint ses limites et qu’il faut passer à l’aquaculture. Mais faudrait-il que les conditions soient réunies pour qu’elle soit une alternative crédible. Le Sénégal a en effet tenté l’expérience, mais les résultats sont loin de ceux escomptés au départ. ‘’L’aquaculture ne s’improvise pas, il faut une véritable politique d’aquaculture extensive, puisque celle intensive détruit l’environnement. Il faut empoissonner les vallées et rivières pour nourrir la population’’, déclare Ibrahima Cissé de Greenpeace.
La nature des côtes mauritaniennes
En attendant que la solution soit trouvée, les pêcheurs vont sans doute continuer à commettre des infractions dans les eaux des pays voisins, particulièrement en Mauritanie. En effet, la sardinelle est un poisson qui ‘’suit les routes migratoires du Sénégal à la Mauritanie’’. Or, la nature des côtes de ce pays voisin fait qu’elles sont très poissonneuses. Il y a une progression du continent dans la mer. La pente est très large, permettant au soleil d’atteindre les profondeurs de l’océan. De ce fait, il y a une forte production de phytoplanctons qui nourrit les zooplanctons dont se nourrissent les poissons. Cette formation de la chaîne alimentaire explique l’abondance des espèces dans cette zone, contrairement aux côtes sénégalaises qui elles, sont profondes, donc pas forcément propices à la reproduction autant que les eaux mauritaniennes. Il s’y ajoute que l’activité est moins importante en Mauritanie qu’ici. En plus, le Sénégal a une population plus nombreuse qui, de surcroît, consomme 28 kg de poissons par personne par an, ‘’soit deux fois la moyenne des pays de la sous-région’’.
Avec ces statiques, on comprend aisément pourquoi la ressource, presque inexistante au Sénégal, soit disponible, parfois même en abondance, de l’autre côté de la frontière. D’où la propension des pêcheurs à braver tous les dangers pour se procurer le produit.