Procès inéquitable, restriction des libertés de réunion pacifique et d’expression, dures conditions de détention, impunité.... Telle est la situation des Droits de l’homme au Sénégal, d’après Seydi Gassama qui présentait, hier, le rapport 2017-2018 d’Amnesty International. L’organisation de défense des Droits de l’homme a toutefois distribué un bon point à notre pays, grâce au procès de Hissène Habré.
Malgré les textes réglementaires et les conventions, le respect des Droits de l’homme est encore problématique au Sénégal. La situation n’est pas reluisante, à cause de certaines violations, d’après le rapport 2017/2018 d’Amnesty International présenté hier par Seydi Gassama. Selon le bilan dressé par le secrétaire exécutif (Se) de la section sénégalaise d’Amnesty International, ‘’les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’expression sont restés soumis à des restrictions. Les conditions de détention demeuraient particulièrement dures et les enfants ont été, cette année encore, contraints de mendier dans la rue’’. Pis, dénonce M. Gassama, ‘’peu d’efforts ont été faits pour empêcher les auteurs des violations des droits humains de bénéficier de l’impunité’’.
De façon plus détaillée, le rapport constate l’absence d’équité dans les procès. Et celui de Khalifa Sall, qui doit s’achever ce vendredi, en est une parfaite illustration. Il pousse même M. Gassama à s’interroger sur l’indépendance de la justice. Ceci, au regard, d’une part, du rejet des deux offres de cautionnement proposées par le maire de Dakar inculpé avec sept autres personnes pour détournement de deniers publics portant sur 1,8 milliard de francs Cfa. D’autre part, il fonde son appréhension sur la célérité avec laquelle la procédure a été traitée par la justice, mais également la manière dont la levée de l’immunité parlementaire du député-maire s’est faite. ‘’On lui a dénié l’impunité parlementaire avant de l’accepter sans en respecter les conséquences, pour ensuite la lever. Tous ces actes laissent croire que la justice ne fait pas son travail en toute indépendance’’, fulmine Seydi Gassama.
Dans la même veine, il estime que le procès de l’édile de la capitale montre aussi une certaine inégalité entre les citoyens devant la loi. ‘’L’affaire Khalifa Sall confirme le caractère ciblé des poursuites lancées dans le cadre de la lutte contre la corruption et le détournement de deniers publics. Ces poursuites semblent viser uniquement des leaders de l’opposition, alors qu’aucune suite n’est donnée aux rapports des corps de contrôle de l’Etat concernant la gestion des personnalités proches du pouvoir. Si vous êtes du même bord que le président, on ne fouille pas dans votre gestion’’, lance-t-il.
Ainsi, pour lui, ‘’cette situation inacceptable doit prendre fin immédiatement’’. Tout comme également la restriction de la liberté de manifestation.
Arrestations de manifestants
Sur la liberté de réunion, Amnesty relève plusieurs violations liées à l’interdiction de manifestations pacifiques, mais également à l’arrestation de plusieurs manifestants à l’approche des élections législatives de juillet 2017. D’abord, il y a eu l’arrestation d’une vingtaine de membres du mouvement 1 000 jeunes pour libérer Khalifa Sall interpellés en juin et en novembre derniers pour troubles à l’ordre public. Lors de ces arrestations et interdictions, le rapport note des bavures. A ce titre, le document de presse rappelle qu’en juin 2017, les forces de sécurité ont blessé deux personnes par balle et roué de coups plusieurs autres manifestants lors d’une marche organisée à Touba pour dénoncer les mauvais traitements infligés à un adolescent de 14 ans par les membres d’une association souvent présentée comme une ‘’police religieuse’’.
La note souligne que la police a démenti avoir ouvert le feu sur les manifestants et avait promis d’ouvrir une enquête. ‘’Plus de six mois après, personne ne connaît les résultats de l’enquête pour connaître l’origine de la balle’’, se désole le secrétaire exécutif. Un autre cas de bavure des forces de l’ordre noircit la situation des droits humains. Il est lié à l’affaire Yamadou Sagna. Un jeune orpailleur habitant le village de Kobokhoto, dans la région de Kédougou, tué par un auxiliaire des douanes au mois de février 2017. Abdoulaye Baldé, un pèlerin bissau-guinéen tué par un agent des douanes à Nianao, dans la région de Kolda, au mois de février 2018, allonge la liste des victimes perdues par les balles des hommes en tenue.
La mort de l’élève sous-officier d’active, Mbaye Mboup, dans un centre de formation de l’armée nationale, décédé le 21 novembre 2017, est également répertoriée par Amnesty. C’est pourquoi Seydi Gassama martèle que ‘’la formation ne doit signifier infliger des sévices’’.
‘’Une certaine restriction pour contrôler les réseaux sociaux’’
Par ailleurs, au moment où les autorités se font les chantres de la liberté d’expression, les observateurs d’Amnesty disent le contraire. Les faits qui incriminent le Sénégal sont ‘’l’arrestation arbitraire de journalistes, d’artistes, d’utilisateurs des médias sociaux et d’autres personnes qui exprimaient des opinions dissidentes’’. L’exemple le plus patent, pour Amnesty, c’est l’incarcération, pendant plusieurs mois, de la journaliste Houlèye Mané, pour un photomontage obscène sur le président de la République qu’elle a partagé dans un groupe WhatsApp’’. Cela montre que chacun de nous est exposé, car tout le monde reçoit des messages’’, regrette M. Gassama. Très critique envers le chef de l’Etat, il déclare à qui veut l’entendre que celui-ci ne peut pas être à l’abri de la raillerie. ‘’Ce n’est pas un cardinal, ni un khalife. D’ailleurs, tous les jours, il raille les opposants, donc il ne peut pas empêcher les gens de faire pareil le concernant, surtout qu’il est une personnalité publique. C’est un chef de parti. Il ne peut pas être comme la reine d’Angleterre’’, assène le ‘’droit de l’hommiste’’.
Dans le même esprit, il ne digère toujours pas les quelques jours d’incarcération de la chanteuse Amy Colé Dieng, pour avoir traité le chef de l’Etat de ‘’ounk’’ ou salamandre. ‘’C’est extraordinaire qu’on puisse envoyer une personne en prison pour cela, car c’est loin d’être une injure’’, regrette Seydi Gassama.
Mais, au-delà de ces arrestations précitées, Amnesty Sénégal déplore, dans son rapport, la sortie du procureur de la République Serigne Bassirou Guèye. En août dernier, il était monté au créneau pour servir une mise en demeure dans laquelle il menaçait de poursuites judiciaires les auteurs de diffusion d’images ou propos obscènes, injurieux et même à caractère ethnique. De l’avis de Seydi Gassama, la sortie du maître des poursuites, ‘’c’était pour protéger le pouvoir et non les populations, car on assiste à une certaine restriction pour contrôler les réseaux sociaux’’.
Sur la même lancée, il souligne que nulle part dans le Code pénal, on ne dit ce qui est contraire aux bonnes mœurs. Mais, dénonce-t-il, ‘’on met des délits qu’on laisse à l’appréciation du procureur qui est le bras armé du pouvoir’’.
Les morts en détention
La persistance du problème de la surpopulation carcérale et des dures conditions de vie dans les établissements pénitentiaires met également le pouvoir au banc des accusés. D’autant que, d’après le rapport, au moins quatre personnes sont mortes en détention et les deux se sont suicidés, selon la police. Le patron d’Amnesty Sénégal ne veut pas croire à cette thèse du suicide souvent évoquée. ‘’C’est trop facile de dire que la personne s’est suicidée durant la garde à vue, car les violons sont censés être devant le poste de police. Donc, il y a lieu de se poser des questions sur la responsabilité des agents et il faut que des enquêtes soient menées et les coupables punis’’, plaide-t-il. Concernant les décès en prison, il trouve qu’il n’est pas surprenant que les gens meurent en prison, au regard de la qualité de l’alimentation et des soins.
Ainsi, il est d’avis qu’il faut que le pouvoir ait le courage d’investir dans les prisons, surtout que, dit-il, la population carcérale est extrêmement jeune. Or, de meilleures conditions faciliteraient la réinsertion des jeunes détenus, car l’oisiveté entraine la récidive, alors que l’éducation est l’une des vocations de la prison.
Retrait des enfants mendiants : un coup de communication
Il n’y a pas que les libertés d’expression et de marche qui sont violées. D’après le constat d’Amnesty, les droits des enfants le sont au regard des nombreux mendiants qui peuplent les rues de Dakar surtout. A ce propos, Amnesty rappelle qu’en juillet 2017, l’Ong Human Rights Watch a signalé que sur les 1 500 enfants arrachés à la rue, entre juillet 2016 et mars 2017, plus d’un millier étaient retournés dans leurs internats coraniques traditionnels. Le retrait s’inscrivait dans le cadre d’une initiative gouvernementale de 2016 destinée à les protéger de la mendicité forcée et d’autres mauvais traitements infligés par les maîtres coraniques. Mais, regrette le rapport, ‘’la plupart de ces établissements n’ont fait l’objet d’aucun contrôle officiel et de nombreux enfants ont été renvoyés de force dans la rue pour y mendier’’.
Soulignant qu’il s’agissait d’un coup de communication destiné aux bailleurs de fonds, le document indique que ‘’très peu d’enquêtes ou de poursuites visant les auteurs de ces agissements ont été ouvertes’’.
Justement, en parlant d’impunité, il faut souligner qu’elle constitue un des manquements relevés dans le rapport. Car, selon lui, en 2017, très peu de policiers et de gendarmes accusés de bavure ont été poursuivis. ‘‘L’Etat traine les pieds et fait tout pour que le peuple oublie’’, commente-t-il. Quant au document, il reproche à l’Etat du Sénégal de tarder à prendre les mesures destinées à l’indépendance de l’Observatoire national des lieux de privation de liberté. Amnesty considère que le Sénégal doit se conformer aux recommandations du Sous-comité pour la prévention de la torture (Spt) qui estime que cet organe de contrôle ne doit pas être rattaché ou placé sous la tutelle d’aucun ministère. L’Etat est également accusé de ne pas respecter la recommandation du Comité des Nations Unies sur les disparitions forcées qui, dans ses observations finales, a invité notre pays à renforcer le Comité sénégalais des Droits de l’homme, comme le prévoit les Principes concernant le statut et le fonctionnement des institutions nationales pour la protection et la promotion des Droits de l’homme dits Principes de Paris.
Cependant, le jugement de Hissène Habré à Dakar a permis à notre pays d’obtenir son seul bon point. Et selon Seydi Gassama, la mise en place des Chambres africaines extraordinaires a permis de montrer que l’Afrique peut juger ses dirigeants. Donc, pour l’organisation, notre pays a percé, en matière de justice internationale.
REACTION ISMAILA MADIOR FALL
‘’Ce rapport n’est pas crédible’’
‘’Il faut d’abord prendre le temps de lire le rapport de façon sereine pour identifier tous les points soulevés et formuler les réponses adéquates. Mais je pense que ce rapport critique sur l’état des droits humains n’est pas crédible, parce que notre pays s’illustre par sa vocation à respecter et à sacraliser les droits. Un rapport sur le Sénégal ne peut être que laudateur, parce que notre pays s’illustre par sa stabilité. L’autre singularité, c’est un pays de démocratie politique et de démocratie sociale. Un pays dans lequel, de façon générale, les Droits de l’homme sont respectés. Ce qui fait qu’il a accueilli beaucoup de réfugiés.
Depuis 2013, le président a pris des dispositions dans les textes, mais aussi dans les politiques publiques, pour renforcer les droits humains. Lorsqu’on parle de la marche, il faut prendre les statistiques relatives à la demande d’autorisation. S’il y a un nombre important de refus, c’est qu’il y a problème. En second lieu, avec la Constitution de 2016, le gouvernement a pris des lois qui ont renforcé les droits et libertés des citoyens. On a enrichi les droits sur le patrimoine des citoyens, sur les ressources naturelles… Récemment, on a pris une circulaire pour rendre effective la présence de l’avocat, dès l’interpellation…’’