6, 830 milliards de francs CFA. C’est le montant que réclame l’Etat au maire de Dakar, Khalifa Sall et ses coprévenus, pour le préjudice subi dans l’affaire de la caisse d’avance de la ville.
Après une suspension d’un jour et demi, le procès de Khalifa Sall a repris hier, avec les plaidoiries de la partie civile. L’Agent judiciaire de l’Etat (AJE), Antoine Félix Diome, a ouvert le bal. Il évalue les dommages et intérêts à hauteur de 6,830 milliards de francs CFA. Soit, 1,8 milliard pour le préjudice matériel et 5 milliards représentant le préjudice moral. Selon l’AJE, l’Etat a subi ces deux types de préjudice pour avoir alimenté la caisse d’avance issue d’une avance de trésorerie. Soulignant au passage que ‘’l’Etat n’a qu’une seule caisse et non deux’’, il a ajouté que la ville de Dakar n’en dispose pas, même si elle a une autonomie. ‘’La ville de Dakar est un démembrement de l’Etat. Même si elle est autonome, cette autonomie est limitée, car s’il y a aujourd’hui un incident à la ville de Dakar, c’est l’Etat qui doit y faire face’’, explique M. Diome.
Selon son raisonnement, ‘’si c’était le budget de la mairie, Khalifa Sall et ses coprévenus n’auraient nul besoin de confectionner les fausses pièces ayant servi aux décaissements pour du riz et mil jamais livrés’’. Et d’ajouter avec insistance : ‘’c’est une avance de trésorerie, car si c’était l’argent de la mairie, ils n’auraient pas connu des problèmes de trésorerie lorsque l’Etat a bloqué l’avance de trésorerie’’. Prenant au mot le maire de Dakar qui disait que ‘’les faits sont têtus’’. L’AJE écarte également l’argument des fonds politiques, en se demandant : ‘’comment peut-on reverser une TVA sur la base des dits fonds’’ ? Enfonçant le clou, l’ex-procureur spécial de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) renseigne que des ristournes collectées entre 2011 et 2015 et évaluées à 4 milliards ont été accordées et qu’elles ont servi à financer toutes les rubriques budgétaires dont la caisse d’avance.
Il s’y ajoute que l’Etat a payé des factures de 27,28 milliards pour le compte de la ville. En somme, l’AJE réfute catégoriquement l’autonomie financière sur laquelle s’appuie la défense, en relevant qu’il y a des actes que les collectivités locales ne peuvent pas exécuter sans l’approbation du préfet.
Jurisprudence française comme élément de preuve
Me Ousmane Diagne a embrayé dans cette brèche pour revisiter les textes sur les collectivités locales et les règles budgétaires dans ce sens. Son argumentaire se résume au fait que l’Etat a un droit de contrôle sur le budget local. Ce que l’avocat français Thomas Amico a conforté, en s’appuyant sur la jurisprudence française. Il a donné l’exemple d’un maire qui, après avoir bénéficié de fonds destinés à l’apprentissage de la lecture aux enfants, avait décidé de reverser l’argent à une société qu’il avait lui-même créée. Partant de là, il soutient que ‘’les livraisons de mil et de riz ne peuvent pas être considérées comme des dépenses inhérentes à la mairie’’. Etant donné que les dépenses ont été faites sur la base de fausses pièces, Me Amico juge que les infractions de DDP sont établies, de même que le faux et usage de faux. ‘’Il y a du faux matériel et intellectuel. Un étudiant se régalerait’’, soutient-il. Citant Gustave Flaubert qui disait que ‘’les fonds politiques sont des sommes incalculables avec lesquelles les ministres achètent les consciences’’, l’avocat français accuse les prévenus d’assimiler la caisse d’avance à des fonds politiques ‘’pour maquiller’’ les faits.
‘’Ils pensent que la CA est une caisse noire et le fait d’acheter du mil et du riz n’est pas une attitude délinquante, mais les faits ne sont pas contestés dans leur matérialité, puisque nous sommes dans une pyramide où Khalifa est au sommet et à la base de l’habillage et du maquillage qui ont conduit au détournement’’, a renchéri Me Samba Bitèye. Qui s’est dit ‘’surpris que la seule ville qui célèbre la déclaration de l’esclavage comme un crime contre l’humanité puisse brandir comme preuve un document colonial’’. Un sentiment partagé avec Me Baboucar Cissé qui a accusé ses adversaires d’avoir traversé la préhistoire, la colonisation pour assimiler la caisse d’avance à un fonds politique. ‘’C’est faire injure à la République du Sénégal que de se référer à un document colonial’’, a fulminé Me Cissé.
Outre cet élément de preuve qui a été brandi, lors des débats, Me Bitèye trouve également ‘’choquant’’ que des personnes aient prétendu offrir des repas aux détenus, à des nécessiteux, alors qu’en réalité, dit-il, ‘’on prend aux pauvres pour offrir aux riches’’. Le conseil a fait, en effet, allusion au témoignage de Moussa Sy qui a laissé entendre que la mairie appuyait Youssou Ndour pour l’organisation du concert de Bercy. ‘’C’est de la malfaisance et non de la bienfaisance’’, a asséné le conseil qui conteste la constitution de partie civile de la mairie. Il juge que la délibération du conseil municipal ayant autorisé la ville à se constituer partie civile n’est pas exécutoire, car elle a fait l’objet d’un second retour pour lecture.
Son confrère Me Baboucar Cissé a également demandé que les déclarations faites par les témoins cités par la défense soient écartées car leurs auteurs sont plus des parties civiles que des témoins, car étant des conseillers municipaux.
‘’Organisation mafieuse’’
Revenant sur les faits, la robe noire avance qu’il y a ‘’une véritable organisation mafieuse’’ à la ville de Dakar. ‘’Lorsque Khalifa Sall a été élu en 2009, il a trouvé Mbaye Touré qui l’a informé de la pratique de la caisse d’avance et il a demandé à Yaya Bodian de trouver des factures pour justifier l’utilisation des 30 millions. Bodian s’est rapproché de Fatou Traoré qui a remis l’en-tête et le cachet du GIE. Finalement, Bodian signait à la place de Ibrahima Traoré. Ensuite, on établissait de faux PV de réception’’, relate Me Cissé. S’érigeant en défenseur des percepteurs municipaux, il a laissé entendre que Mamadou Omar Bocoum et Ibrahima Touré payaient, puisque les pièces avaient une apparence régulière. ‘’La vérité, c’est l’indéniable culpabilité des prévenus et la Chambre d’accusation a circonscrit, en disant qu’en matière de DDP, on n’a pas besoin d’enrichissement personnel’’, souligne Me Cissé, avant de lancer à Khalifa Sall : ‘’Vous n’êtes pas un homme à argent, mais vous avez un mauvais rapport avec l’argent.’’