Dakar - Le Sénégal a réclamé jeudi plus de 10 millions d’euros de dommages et intérêts au maire de Dakar Khalifa Sall et à ses co-accusés, jugés pour "détournements de fonds publics" dans le cadre de la gestion de sa mairie.
L’Etat, partie civile dans ce procès très médiatisé au Sénégal, "a été
frustré de 1,83 milliard de francs CFA (2,8 millions d’euros) dont nous
demandons la réparation", a dit dans sa plaidoirie devant le tribunal de Dakar
Félix-Antoine Diome, "agent judiciaire de l’Etat".
L’Etat a décaissé cette somme parce que Khalifa Sall et les sept
collaborateurs jugés à ses côtés ont produit de "fausses factures" censées
représenter des achats de denrées alimentaires, a souligné ce fonctionnaire du
ministère des Finances, opiniâtre dans ses questions aux prévenus depuis
l’ouverture des débats sur le fond le 23 janvier.
De 2011 à 2015, "vous avez obtenu des avances sur la base de fausses
pièces" pour acheter "du riz et du mil (qui) n’ont jamais été réceptionnés
dans les magasins de la Ville de Dakar. Des repas ont soi-disant été servis à
des nécessiteux", a martelé le représentant de l’Etat en s’adressant
directement à Khalifa Sall, maire de la capitale depuis 2009.
Mais le dommage pour l’état "n’est pas que matériel", a ajouté M. Diome, en
demandant également "5 milliards de francs CFA (7,6 millions d’euros)" de
dommage moral.
"Chaque mois, 30 millions de francs CFA (45.734 euros) étaient décaissés"
du Trésor public pour alimenter la "caisse d’avance" de la ville de Dakar, des
fonds "directement remis" au maire Khalifa Sall, a ensuite détaillé Me
Moussa-Félix Sow, l’un des avocats de l’Etat.
"Tous les prévenus ont reconnu que la caisse d’avance (de la ville de
Dakar) n’est qu’un support pour décaisser les fonds abusivement qualifiés de
fonds politiques", a-t-il poursuivi.
"M. Khalifa Sall s’est octroyé un sursalaire de 30 millions, qu’il prend
tous les mois et il dit que c’est pour des dépenses sociales" sans le
justifier, a abondé Me Yérim Thiam, un autre avocat de l’Etat sénégalais,
alors que le maire de Dakar s’est défendu avec force de tout enrichissement
personnel lors de sa première intervention devant le tribunal.
Quand "des moyens aussi importants sont dissipés au préjudice de la
nation", il faut une réparation égale. Nous demandons la somme totale de 6,83
milliards de francs CFA (plus de 10 millions d’euros) pour toutes causes de
préjudice. Nous demandons d’ordonner l’exécution totale des sommes que nous
réclamons", a précisé Me Sow, en s’alignant sur la demande du représentant du
ministère des Finances.
L’avocat a averti que si ces remboursements n’étaient pas effectués, il y
aurait "forcément une confiscation de l’ensemble des biens des prévenus".
Pour Khalifa Sall, dont la défense consiste principalement à dénoncer un
procès visant à écarter un adversaire sérieux au président Macky Sall, les
fonds litigieux étaient "politiques" et à l’usage discrétionnaire des élus.
Socialiste dissident, il est en détention provisoire depuis que cette
affaire a éclaté en mars, ce qui ne l’a pas empêché d’être élu député en
juillet.
Il avait multiplié ces dernières années les critiques envers la coalition
présidentielle, dont est membre le PS, qui l’a finalement exclu en janvier.
Ses partisans imputent ses déboires judiciaires à cette fronde et à sa
volonté de se présenter à la présidentielle en 2019, des soupçons rejetés par
les responsables du pouvoir.
Mardi, le tribunal avait visionné une vidéo d’une conversation où un
ministre d’Etat et ancien adjoint à la maire de Dakar, Mbaye Ndiaye, déclarait
que "le problème de Khalifa Sall pourrait être réglé s’il avait accepté d’être
avec nous".
Mais il a "refusé de se ranger", ajoutait ce membre de la majorité, en
soulignant que le Parti socialiste l’avait également "enfoncé dans le trou".
Le réquisitoire du procureur est prévu vendredi après-midi et les
plaidoiries de la défense à partir de lundi.