À travers un panel organisé hier à Dakar sur l'Acte III de la décentralisation, le groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar (BBY) croit déceler les failles du système mis en place sous Abdou Diouf en matière de politique de décentralisation et qu'il urge aujourd'hui de corriger.
C'est un diagnostic sans complaisance que le groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar a fait de la décentralisation sénégalaise hier, au cours d'un panel organisé à Dakar et animé par le Pr Malick Ndiaye, le ministre de l'Administration territoriale Oumar Youm, l'ancienne ministre des Sénégalais de l'Extérieur Ngoné Ndoye, le maire de Foundiougne Babacar Jammeh, le président de la commission des lois à l'Assemblée nationale Me Djibril War et le ministre-conseiller Ismaïla Madior Fall.
Engagée en 1996 par l'ex-président Abdou Diouf, la réforme de la décentralisation devait revoir le paradigme de fonctionnement de l'État du Sénégal, la clé fondamentale de répartition des rôles entre l'État et les entités infra-étatiques et confiner l'État à ses missions régaliennes.
Dorénavant, ''toutes les tâches de développement ainsi que les missions de prise en charge des besoins des populations en termes de définition des politiques publiques, de fourniture des services sociaux de base, devaient être prises en charge par les collectivités locales''. Mais force est de constater que quelques années après, ''la révolution promise par Abdou Diouf n'a pas eu lieu'', note le Pr Ismaïla Madior Fall.
''Persistance de la centralité de l'État''
Selon le président du comité de pilotage de la réforme de l'Acte III, ''la décentralisation au Sénégal est toujours confrontée à d'énormes difficultés et manquements avec un État qui reste hyper centralisé, des collectivités locales dépourvues de ressources humaines et financières, à la limite infantilisées, et un maire qui devient en réalité une sorte de gestionnaire de l'assistance sociale parce qu'il n'a pas les moyens de prendre en charge les missions qui lui sont confiées, les attentes et espoirs que les populations fondent en lui''.
Dans ce type d'organisation, souligne le Pr Malick Ndiaye, ''l'ancien pouvoir (allusion au régime d'Abdou Diouf), pour des intérêts exclusivement politiques, avait confisqué toute autonomie aux populations sénégalaises''. Au-delà de cette gestion dite politique des collectivités locales, les raisons de l'échec s'expliquent, selon Madior Fall, par le mode de gouvernance mentale, le manque de volonté politique et surtout la clientélisation de la gouvernance locale.
''Vaincre la résistance''
C'est pour corriger tous ces manquements que le président de la République a initié cette réforme sur l'Acte III dès son accession à la tête du pays, a enchaîné le ministre en charge du secteur, Oumar Youm. Qui, faisant le bilan de cette initiative, souligne que ''la réforme de l'Acte III est une réforme neutre, qui n'est engagée contre personne ni contre un système, mais une réforme qui a été pensée dans l'intérêt des populations, et pour améliorer le cadre organisationnel des institutions locales''. Mieux, souligne le Pr Malick Ndiaye, ''c'est une réforme qui va donner aux populations sénégalaises leur deuxième indépendance''.
Cependant, souligne Ngoné Ndoye, ''une réforme d'une telle ampleur, si ambitieuse parce que nécessaire au développement de notre pays, aurait dû être mieux expliquée aux populations sénégalaises''. Car, ''sans appropriation, les populations concernées par les politiques publiques et les grandes réformes qui les sous-tendent ne pourront jamais les suivre encore moins les accompagner''. Ce qui fait qu'«elles échouent souvent quand il s'agit de les rendre opérationnelles».
Jugée ''révolutionnaire'' par les panélistes, cette réforme de l'Acte III vise à organiser le pays en territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable à travers la communalisation intégrale et la départementalisation qui implique de facto la suppression des régions en tant que collectivités locales. Cette réforme, selon le Pr Malick Ndiaye, ''va secouer la société et certains intérêts tapis (…) vont se rebeller''.
Mais, ''il faut que la citoyenneté sénégalaise de la deuxième indépendance assume la résistance de la contre-réforme''. ''Il nous faut bien expliquer à la masse qu'il ne s'agit pas d'un nouveau carcan mais d'une renégociation des rapports entre les populations et un ancien pouvoir qui avait confisqué (cela) pour son intérêt exclusif'', soutient-il.
Déjà, cette volonté de réformer du président de la République s'est heurtée à une rébellion des présidents des conseillers régionaux. Selon Me Djibril War, ''cette réforme gêne seulement les égoïstes plus soucieux de leurs propres intérêts que ceux du peuple sénégalais''.