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Visite de Macron au Sénégal: Derrière les confettis de l’aide, des guirlandes de dettes !
Publié le jeudi 8 fevrier 2018  |  Enquête Plus
Emmanuel
© Présidence par DR
Emmanuel reçu au palais de la République
Dakar, le 4février 2018 - Le président français Emmanuel Macron a été reçu au palais de la République par le président sénégalais.
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À la célèbre satire de Juvénal, Panem et circences « du pain et des jeux », il faudra désormais rajouter ostende « spectacle », pour parler de la visite du président Macron au Sénégal. Car, on s’est tellement attaché à mettre tout en œuvre ces derniers jours, à travers une communication gouvernementale huilée, pour que nous nous prenions, le temps d’un voyage présidentiel, au jeu d’une idylle festive entre le Sénégal et la France.

Macron parti, après avoir joué avec nous et fait le spectacle sur la piste de danse, le pain ne tardera pas à venir. Tout au moins, le promet-il. Pas moins de 15 millions d’euros pour lutter contre l’érosion côtière, et une contribution de la France au Partenariat mondial pour l’éducation portée à 200 millions d’euros. Oh, la bonne affaire ! Nos metteurs en scène locaux se sont toutefois abstenus - aidés dans cette entreprise par une presse nationale assez silencieuse sur cette affaire - de préciser aux Sénégalais que cette manne destinée à l’éducation est en réalité un fond que devront se partager 65 pays. Au demeurant, pour le moment, nous n’avons aucune idée de la part qui devra nous revenir. En réalité, nous évoquons ces faits de manière incidente car, il ne s’agit pas là du cœur de notre propos.

Des observateurs mieux avertis l’ont dit avant nous, y compris en France, Emmanuel Macron voit la France comme une « start-up nation » en prenant sans complexe le parti des entrepreneurs et du patronat français, dont une belle brochette l’accompagne dans tous ses déplacements à travers le monde. Chapeau l’artiste, sommes-nous tentés de dire, tant le charme et l’assurance de ce beau ténébreux, semble opérer sur nos dirigeants. Le beau s’est hélas envolé, après nous avoir refourgué deux Airbus 330-900 Neo pour 112 milliards de francs, un contrat de 100 milliards de francs pour l’entretien du TER qu’il nous avait vendu. Cette juteuse transaction commerciale comporte certainement d’autres accords officieux, dont nous n’entendrons jamais parler. Les Français ont de quoi être fiers de leur jeune champion qui, il faut bien le reconnaître, travaille au mieux de leurs intérêts.

Nous ne pouvons pas en dire autant de notre cher président. D’ailleurs, en ces jours de grand froid, quand nous toussons le nuage de farine dans lequel nous avons été roulés ne manque pas d’obstruer l’atmosphère et de remonter de nos gorges.

Beaucoup diront que le président Macky Sall défend de son mieux les intérêts du Sénégal. Ils auront raison, car le temps de l’exercice du pouvoir, avec ses multiples impératifs qui vous prennent à la gorge, n’est pas le temps du commentateur, confortablement assis dans son salon. L’ancien président Abdou Diouf l’a très bien expliqué dans un documentaire consacré au sujet, « il faut bien qu’à la fin du mois les fonctionnaires soient payés ! Et face à ceux qui vous donnent de quoi les payer, votre marge de manœuvre est très réduite » !

Toutefois, nos leaders ne peuvent pas s’arrêter à ce triste constat et souffrir les effets d’un endettement chronique, ad vitam aeternam ! C’est une faute grave vis-à-vis d’un peuple que l’on condamne, et dont la survie est conditionnée à l’aide étrangère. Au bout de trois siècles de relations, c’est bien un euphémisme de dire que la France - et c’est de bonne guerre - a bâti nos relations à son avantage, de façon à « recevoir une part disproportionnée de ses bénéfices, aux dépens de nos intérêts ».

Dans cette entreprise, l’honnêteté intellectuelle doit nous obliger à reconnaître que nos élites politiques, économiques et parfois intellectuelles, ne font pas grand-chose pour nous sortir de ce paradigme. Au contraire, elles semblent s’y complaire. L’économiste américain Joseph Stiglitz explique très bien cette compromission qu’il impute à la mondialisation - qui paraît souvent remplacer la dictature des élites nationales par la dictature de la finance internationale - dont les élites se font les porte-drapeaux. Cette dictature ne se limite bien évidemment pas à la sphère économique, et c’est bien là le plus grave. Elle a également gagné les autres sphères de la vie (culturelle, technique, éducative…) par l’imposition des valeurs et des normes propres au marché : compétitivité, rentabilité, efficacité, etc.

En réalité, ce n’est pas le fait d’avoir acheté deux avions ou signé des contrats avec la France qui dérange. Mais, la « démocratie majeure » dont nos politiciens ne cessent de se gargariser dans leurs interventions médiatiques aurait dû, si effectivement elle a atteint l’âge de la majorité - ouvrir un appel d’offres international, et faire le meilleur choix pour le pays. Qu’il s’agisse de la France ou des institutions internationales, voilà un piège dont tout le monde est conscient et dans lequel nous tombons systématiquement malgré tout. Ils nous prêtent de l’argent au titre de l’aide, nous dictent des programmes infrastructurels censés nous mener au développement, nous imposent d’attribuer - à des prix exorbitants - le marché de ces infrastructures à leurs entreprises nationales. Non seulement, celles-ci héritent de la gestion sur des durées incroyables mais le comble est qu’ils nous font payer la maintenance au prix fort. Chapeau, le numéro de prestidigitation !

Cette aide prétend, selon l’époque, nous civiliser, nous développer ou nous secourir. Un tweet du président Macron lors de son passage au Sénégal est très édifiant à ce sujet, quand il déclare « Face à la menace de l'obscurantisme, la seule réponse à apporter est celle de l'éducation. Nos destins sont indissociablement liés et je m'engage dans ce combat pour l'avenir du continent africain ». Sauf le respect de monsieur le président, c’est un peu nous prendre pour des chèvres quand même, et finalement le drame de notre relation avec la France, c’est que depuis trois siècles, elle nous veut du bien! Un peu trop d’ailleurs, pour ne pas être suspect !

Malheureusement, nous tombons dans ce piège qui pourtant, mille fois au cours de l’histoire a déjà fermé ses crocs sur nos pattes.

La France a son agenda, dans lequel le Sénégal n’est qu’un pion, et notre salut ne viendra que si nous disons à cet ami qui nous veut trop de bien, que nous voulons désormais choisir nos causes et penser les solutions de notre développement par nous-mêmes. Il faut que nous sortions du paradigme « développementiste » dans lequel l’histoire nous a enfermés. Felwine Sarr a raison de dire que « Nous n’avons personne à rattraper ! » Pour des solutions à la pauvreté, à la mortalité infantile, à l’accès à l’accès à l’éducation, nous avons au Sénégal les moyens de les solutionner par nous-mêmes ; encore faudrait-il que nous en ayons la volonté.

Nous devons nécessairement sortir de la logique de charité publique, à propos de laquelle Alexis de Tocqueville disait (Sur le paupérisme, 1835) « elle n’apporte qu’un soulagement trompeur et momentané aux douleurs individuelles ». C’est aujourd’hui un impératif que de compter sur le génie des Sénégalais et leur inventivité. Tout ce que ces derniers attendent de leurs élites, c’est qu’elles les mènent sur la bonne voie.

Il faudrait que l’on en finisse avec les discours compassionnels et les promesses, et que nous cessions de croire en des mythes qui nous vendent des rêves du type « à l’an 2000, Dakar sera comme Paris » ! Dakar est ce qu’elle est, une ville surpeuplée, sale, où règnent indiscipline et absence de civisme. Toutefois, rien ne nous condamne à la laisser ainsi, qu’il s’agisse de Dakar ou du Sénégal, nous pouvons atteindre le niveau de développement que nous voulons, à condition de consentir les efforts que cela demande. Le développement c’est dans la tête, disait le regretté professeur Joseph Ki-Zerbo !

Un des effets les plus pervers de cette logique d’aide qui sous-tend nos relations avec la France, c’est qu’elle sonne parfois comme une assurance tous risques pour nos dirigeants qui servent les intérêts hexagonaux. Le crime de lèse-majesté du président Wade, malgré toutes les erreurs qu’on a pu lui reprocher, c’est d’avoir décidé de diversifier les partenariats du Sénégal au détriment de la France.

La France et le Sénégal ont effectivement des relations séculaires et il est heureux que ces relations demeurent. En revanche, le peuple Sénégalais mérite que ses élites les réhabilitent dans leur dignité, en décidant nous-mêmes de notre destinée et en nous ouvrant au monde, comme nous sommes et demeurerons ouverts à la France. En revanche, cette ouverture de nos marchés et l’attraction de capitaux étrangers ne doit plus se faire à n’importe quel prix. Alors que notre pétrole et notre gaz commencent à aiguiser les appétits, le défi de notre génération est de procéder à un aggiornamento qui nous permette de nous protéger, pour enfin profiter de nos ressources naturelles et bâtir par nos propres moyens notre développement.

Papa Cheikh Saadbu Sakho Jimbira
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