Le débat autour de la candidature unique à la présidentielle de 2019, agité ce temps-ci au sein de la coalition Mankoo Taxawu Senegaal et mettant en scène Idrissa Seck de Rewmi et Malick Gakou du Grand parti, n’a pas d’intérêt pour l’opposition. C’est en tout cas l’avis de l’analyste politique Dr Momar Diongue qui, rappelant l’histoire récente du Sénégal, trouve non seulement que « cette candidature unique de l’opposition est impossible » mais encore qu’elle ne peut guère avantager l’opposition dans sa croisade contre Macky Sall qui a été élu en 2012, sur la base d’une pluralité de candidatures au premier tour de la présidentielle. Abondant dans la même mouvance, l’expert en communication Momar Thiam établit également que, pour diverses raisons, c’est le même scénario que celui de 2012 qui se profile pour 2019 avec une multitude de candidatures pour briguer la magistrature suprême. Une fonction présidentielle à laquelle Macky Sall qui guette le moindre faux-pas de l’opposition en direction de la candidature unique, n’est pas nécessairement assuré d’arriver dès le premier tour. Ramant dès lors à contrecourant de l’Apr et de son chef de file, Momar Diongue et Momar Thiam admettent qu’« Il sera difficile pour Macky Sall de se faire élire au premier tour », quoique le chemin lui soit balisé par la mise à l’écart du candidat du Pds Karim Wade, et probablement aussi du maire de Dakar Khalifa Sall.
Avec l’emprisonnement et le procès programmé de Khalifa Sall, l’exil du candidat du Pds Karim Wade, les fissures de Mankoo Taxawu Senegaal minée par une éventuelle candidature de Malick Gakou ou d’Idrissa Seck, quel candidat pourrait avoir l’opposition face au président sortant Macky Sall à la présidentielle de 2019 ?
Momar Diongue :
«Je pense qu’il y a un débat qui se pose au sujet de Mankoo Taxawu Senegaal autour de la candidature unique ou plurielle. L’opposition n’a pas intérêt que ce débat-là soit posé parce que ça peut briser la dynamique unitaire qui s’était manifestée jusque-là comme l’élan de solidarité à l’endroit de Khalifa Sall au moment où son procès va entrer dans une phase cruciale avec sa tenue probablement le 23 janvier prochain. Il est inopportun et même indécent de poser ce débat. La deuxième chose qui montre que l’opposition n’y a pas intérêt, c’est que le gouvernement est aujourd’hui acculé par les syndicats et la concertation appelée autour du processus électoral qui connait des blocages. Ce débat-là, en se posant, risque de détourner l’attention de l’opinion, non pas sur ces questions brûlantes qui interpellent le gouvernement mais plutôt sur l’opposition. La troisième raison qui montre que ce débat-là ne doit pas avoir lieu maintenant, c’est que l’opposition, en laissant passer ce débat, va projeter sur l’opinion une image d’une opposition divisée et qui n’aurait aucune chance vis-à-vis de Macky Sall. Il se trouve que cette candidature unique de l’opposition est impossible et elle n’y a aucun intérêt. 2012 n’est pas loin. Si Macky Sall a pu être président de la République du Sénégal, c’est que quand l’idée d’une candidature unique était agitée au sein de Benno Siggil Senegaal dont il était membre, il avait toujours rejeté cette proposition en préconisant des candidatures plurielles… C’est cette pluralité de candidatures qui a permis à l’opposition de grignoter des voix à Abdoulaye Wade un peu partout pour finalement se retrouver derrière Macky Sall (25% des voix au premier tour) pour battre Abdoulaye Wade. C’est exactement le même scénario que devrait reproduire l’opposition actuelle.
Si les candidatures d’Idrissa Seck, de Malick Gakou se font au sein de Mankoo Taxawu Senegaal, à côté le Pds et ses alliés de Wattu Senegaal pourraient présenter un candidat plus ou moins sérieux. Ensuite, il ne faudrait pas minorer le Pur qui, fort des résultats des législatives, pourrait présenter aussi un candidat sur la base d’une coalition qui se constituerait autour dudit parti. C’est tout cela à la fois plus d’autres candidatures avec des profils assez intéressants comme Ousmane Sonko. Il ne faut pas perdre de vue aussi que Thierno Alassane Sall qui est sorti de l’Apr pourrait également se constituer comme candidat avec des alliés autour. Je pense que c’est cette pluralité de candidatures pouvant plus ou moins glaner 10 à 15% de l’électorat qui pourrait conduire Macky Sall au second tour.
Momar Thiam :
« Si on part de l’hypothèse selon laquelle Karim Wade est exclu de l’élection présidentielle de 2019 et que Khalifa Sall est condamné, les candidatures restantes sont celles d’Idrissa Seck et de Malick Gakou. Je pense que c’est au niveau de Manko Taxawu Senegaal que ça pourrait se décider. Vous savez cependant qu’une élection présidentielle, c’est la rencontre d’un homme et un peuple et en général, dans une élection présidentielle surtout au premier tour, vous avez une multitude de candidatures. Je pense qu’il y aura cette pluralité de candidatures, notamment celles d’Idrissa Seck comme de Gakou, tout cela pour évaluer leur poids dans l’opinion. C’est le même scénario qui s’est posé à la présidentielle de 2012. Il y avait une multitude de candidatures et finalement l’opposition s’est regroupée autour du candidat qui était devant au premier tour, notamment Macky Sall, pour le soutenir. Je pense qu’il risque d’y avoir le même scénario mais je précise si toutefois Khalifa Sall est condamné, parce que Karim Wade est out de la course présidentielle. Je pense tout de même qu’il peut se dessiner d’autres candidatures inattendues. Il ne faut pas exclure en effet qu’une personnalité du monde de l’entreprise ou même du monde syndical puisse émerger autour des mouvements de la société civile pour porter une candidature et il n’est pas exclu, compte tenu de l’observation que je fais sur la scène politique, qu’il y ait une candidature qui sera issue même du monde médiatique. J’écoutais ce matin (jeudi-ndlr) le discours à Guédiawaye de Bougane Guèye Dany qui est président du groupe D-média. A l’entendre parler et compte tenu de son discours et de l’analyse des contours souterraines de son discours, je vois un discours d’un présidentiable en puissance. Je ne dis pas qu’il est candidat mais je décèle le discours d’un présidentiable en puissance ou futur présidentiable et ça ne m’étonnerait pas que, demain, un Bougane Guèye Dany soit candidat ou soit emporté par cette dynamique. Ce n’est pas exclu. Il ne faut pas aussi exclure qu’il y ait une multitude de candidatures et qu’Idrissa Seck au même titre qu’Ousmane Sonko puissent être des candidatures potentielles »
Le président Macky Sall comme son parti escomptent une réélection dès le premier tour de la présidentielle de 2019. Peut-on s’attendre à un tel scénario avec la configuration actuelle du champ politique au Sénégal ?
Momar Diongue :
« Il sera difficile pour Macky Sall de se faire élire au premier tour. Il avait eu et on l’oublie souvent 25% de l’électorat au premier tour en 2012. Il a fallu le ralliement de tous les autres candidats de l’opposition pour qu’il ait 65% et voyez ce qu’il y a eu depuis. Aux élections locales de 2014, Macky Sall et sa coalition au pouvoir ont perdu beaucoup de grandes villes. Ensuite deux ans après, c’était le référendum et la majorité a été titillée par le Non dans beaucoup de localités. Le Oui n’avait pas connu une victoire triomphante. Et qu’est-ce qui se serait passé aux législatives de 2017, si l’opposition s’était regroupée au sein de Mankoo Taxawu Senegaal dans sa première version ? Certainement qu’aujourd’hui, on parlerait de cohabitation. Tout cela montre que l’électorat de Macky Sall a été grignoté depuis 2012. Il s’y ajoute aussi les divisions du côté de l’Apr et ses autres principales composantes de Bennoo Bokk Yaakaar. Le Ps est aujourd’hui divisé en deux. L’Afp de Moustapha Niasse est divisée. Les principales composantes qui accompagnaient l’Apr au sein de Bby sont affaiblies et fragilisées. Vous y ajoutez maintenant tous ceux qui sont sortis de Bby comme Cheikh Bamba Dièye, Héléne Tine, Cheikh Tidiane Gadio, Imam Mbaye Niang, Abdoul Mbaye etc. Il sera très difficile pour Macky Sall de gagner dès le premier tour. Mais la situation peut être retournée à sa faveur. Si l’opposition se laisse distraire encore une fois par cette idée de candidature unique en sachant qu’elle n’y parviendra pas, ça risque de détourner une bonne partie des Sénégalais de l’opposition. La deuxième chose, c’est qu’il y a beaucoup de chantiers de Macky Sall qui risquent de sortir de terre en 2018. Là aussi, ça peut orienter une bonne partie de l’opinion vers lui. Il a encore une marge de manœuvre pace que c’est lui qui est aux affaires…
Momar Thiam :
« Une élection présidentielle au Sénégal depuis 2012 ou même je vais aller plus loin depuis 2008 ne peut se résoudre autour d’un premier tour. C’est vrai qu’Abdoulaye Wade a été élu au premier tour en 2007 mais la considération était différente. J’ai l’habitude de dire, après avoir observé la vie politique pendant longtemps au Sénégal, on n’élit pas, on dégomme un candidat. Celui qui est toujours après le candidat sortant a les fortes chances d’être élu parce que l’ensemble de l’opposition se regroupe autour d’une seule personne pour aller à la présidentielle. Au vu de cela, je ne dis pas que Macky Sall ne peut pas être élu au premier tour mais je dis que c’est peu probable compte tenu de la configuration politique et électorale actuelle et compte tenu des résultats des élections législatives passées alors que vous avez plus de 2 millions de personnes qui n’ont pas reçu leurs cartes d’identité. En vérité, le vote est inconnu pour ces personnes-là. Et sii on met ce vote-là sur la balance, on peut estimer compte tenu des sondages et des études qui ont été faites, qu’il y aura forcément un second tour ».
MOMAR DIONGUE SUR LA CANDIDATURE UNIQUE : Ce faux-pas de l’opposition que guette... Macky !
« Une autre chose qui prouve que c’est la candidature plurielle qui va plus gêner Macky Sall, c’est le taux de parrainage qui est agité par la majorité. Parce qu’instaurer un parrainage qui obligera tout candidat qu’il soit indépendant ou qu’il appartienne à un parti politique à présenter plus de 50 mille signatures, c’est une façon de réduire au maximum les candidatures. Cela veut dire que même le pouvoir en place se rencontre qu’en réalité, la candidature plurielle de l’opposition ne ferait pas son affaire et qu’il gagnerait davantage à ce que l’opposition se retrouve derrière un bloc et qu’on soit dans le cadre d’une bipolarisation, autrement dit ce sera Macky et l’opposition. A ce niveau, il lui serait facile, s’il rassemble toutes ses troupes, lui Macky Sall de pouvoir gagner plus de 50% des suffrages. Par contre, si l’électorat est éparpillé entre différents candidats de l’opposition, il faut considérer que toute voix de l’opposition est une voix de moins pour la majorité et cela peut faciliter le fait d’amener Macky Sall au second tour ».