Le 26 octobre 1992, sous le crépitement des armes, les habitants du village de Siganar avaient quitté les lieux en catastrophe pour se réfugier en Guinée-Bissau. Vingt-six ans après, Siganar, qui a fini de panser ses plaies, retrouve la joie de vivre. Aujourd’hui, la sécurité recouvrée, la population demande ‘’une paix économique’’.
Le conflit de la Casamance a touché des centaines de villages de la zone sud du pays. Quand on évoque son lot de conséquences, c’est très souvent le village de Mandina Mancagne, situé dans le département de Ziguinchor, qui est mis en exergue. Vingt-trois Jambaars y ont perdu la vie en août 1997. La branche séparatiste du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc) avait tendu une embuscade aux éléments de l’armée sénégalaise.
En Basse-Casamance, notamment dans le département d’Oussouye, ce même conflit a occasionné le déplacement de plusieurs villages. Il s’agit, entre autres, de Djivente, de Niambalang, de Karounate, d’Essaout, de Diakène Diola… Tous ont été attaqués. Des attaques qui varient d’un village à un autre.
A Siganar, par exemple, les quatre quartiers (Kabounkout, Houssal, Katacal et Boulouf) que compte le village sont tombés sous les balles des militaires et les populations ont été contraintes de trouver refuge en Guinée-Bissau.
Pour rallier ce village à partir d’Oussouye, chef-lieu de département, il faut s’attacher les services d’un ‘’taxi-clando’’ ou d’un conducteur de ‘’moto-jakarta’’. Nous avons choisi la deuxième option, dans la mesure où elle reste la plus rapide et plus pratique. Entre Oussouye et Siganar, le voyage n’a duré qu’une vingtaine de minutes. Nous avons traversé les villages, rizières et marigots de Karounate et d’Edioungou. En ce samedi 23 décembre 2017, à peine entrés dans ce village aux environs de 20 h, nous nous rendons compte que Siganar est déjà entré dans l’ambiance des fêtes de fin d’année. Sur place, ce sont les cris des jeunes qui nous accueillent. Il y a 26 ans, c’était plutôt le crépitement des armes qui rendait difficile la vie des populations.
Face à l’ampleur de cette offensive, les populations décident de s’éloigner de ce danger qui guette leur village. Il faut quitter Katifeu. Et immédiatement ! L’option bissau-guinéenne a été l’une des meilleures. ‘’Les villageois ont fui vers Kassolole, Boudjing, Yaale, Suzuna, Essoukoudiack… (en Guinée-Bissau). Ma famille était installée à Kassolole. Les déplacements ont été effectués suivant plusieurs étapes. Les femmes et les enfants ont été les premiers à vider les lieux. Ensuite, il fallait acheminer la nourriture, les animaux (chèvres, vaches…). Dans ce déplacement, les hommes ont été les derniers a quitté Siganar. Et c’est au mois de décembre 1992. Lorsque les maisons ont été incendiées, ils se sont dit que les choses devenaient de plus en plus compliquées, et c’est en ce moment qu’ils ont décidé de rejoindre leurs familles en terre bissau-guinéenne. Nous avons vécu un véritable calvaire, même s’il n’y a pas eu de perte en vies humaines’’, se souvient avec tristesse Moussa Diédhiou, habitant de Houssal.
‘’C’était vraiment des moments tristes’’
Évoquer ces événements à Siganar n’est pas une chose aisée, puisque les images et les scènes ‘’horribles’’ défilent encore dans l’esprit des uns et des autres. Vingt-six ans après, les habitants évaluent les dégâts collatéraux de ces déplacements. Autour d’un petit ‘’cabaret de Noël’’, Adama Diédhiou et ses camarades nous relatent le déroulement des faits saillants de la fin d’année 1992.
‘’J’avais 11 ans à l’époque. Je me souviens de tout ce qui s’était réellement passé. Avec ma famille, nous avions fui jusqu’à Kassolole. Sur place, et avec certains jeunes de Siganar, nous récoltions le vin de palme et nous nous occupions de nos troupeaux. On n’étudiait pas. Nous étions revenus dans notre village entre avril et mai 1993, et avions repris les cours en 1994. Nous avons beaucoup perdu, avec ces déplacements. D’ailleurs, certains n’ont pu reprendre les études parce qu’ils étaient déjà âgés’’, regrette Adama Diédhiou. Surnommé affectueusement ‘’One by one’’ à Siganar, Adama n’a pas manqué de rappeler les conséquences de ce long périple. ‘’Nous avions avec nous de petits enfants. En milieu de forêt, on marquait des pauses pour souffler et reprendre des forces. C’était vraiment des moments tristes. En plus, quitter chez soi et aller s’installer chez quelqu’un pendant cinq à six mois n’est pas une chose facile. Quand je me souviens de ces événements, je ne ressens que des regrets’’, soupire-t-il.
En dépit de ces souvenirs douloureux, cet interlocuteur qui éprouve sans doute les effets d’une paix civile, prie désormais pour une ‘’paix économique’’ dans le village qui l’a vu naître et grandir.
De nouvelles perspectives
Les temps ont changé, les perspectives également. Même s’il n’est pas facile de penser les plaies et d’oublier, ce village peuplé aujourd’hui de 3 453 habitants (recensement 2012/2013) est en train d’entrer de plain-pied dans la modernité. Outre la création d’un collège d’enseignement moyen (Cem) en 2004 et qui polarise les trois villages d’Eyoune (Siganar, Karounate et Niambalang), l’installation d’un forage d’une capacité de 80 m3 et une école élémentaire entièrement rénovée avec 13 salles de classe, de nouvelles infrastructures sont en train de voir le jour à Siganar. Un processus d’électrification y est entamé.
Cependant, les habitants sont impatients et veulent que cette infrastructure soit livrée au plus vite. ‘’La page sombre de l’histoire de notre village a été tournée. Maintenant, tout ce que nous voulons, c’est son électrification. C’est l’une des priorités des populations de Siganar. Les poteaux électriques ont déjà été installés et on nous a fait comprendre que notre village devait être électrifié avant le 30 juillet 2017. Mais, jusqu’à présent, rien n’a été fait. Tout le monde l’a constaté. On attend toujours cette promesse. Nous savons tous que l’électricité est un produit indispensable pour le développement de notre village. Cela va beaucoup aider les femmes dans la transformation des produits locaux’’, espère Mangaye Diédhiou.
A l’image du village d’Essaout qui a fui la guerre et qui, aujourd’hui, a retrouvé la joie de vivre au fil du temps, Siganar vit également au rythme de la modernité, au grand bonheur des populations. Loin du crachotement des armes, le village dirigé par Sina Diédhiou (chef de village) a retrouvé son bonheur et son statut de havre de paix. Les cris des jeunes qui jouent au football se mêlant à ceux des oiseaux et des coqs sont la preuve que Siganar a recouvré la joie de vivre collective.
La guerre conjuguée au passé, le développement économique devient le vocabulaire du début d’année et le maître-mot.
GAUSTIN DIATTA (DE RETOUR D’OUSSOUYE)