À quoi servent les organes de contrôle de l’Etat, notamment l’Inspection générale d’Etat (Ige), la Cour des comptes, la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp), ou encore la Cellule nationale de traitement d’informations financières (Centif) ? Quelle est la finalité des rapports produits ? Ces différentes questions qui taraudent l’esprit de bon nombre de Sénégalais, au regard du traitement de certains dossiers médiatisés, méritent bien d’être posées. Il en ressort clairement une grande différence de perception, selon le bord où on se trouve. En effet, si du côté des citoyens lambda, ces corps et organes de contrôle et de régulation de l’Etat sont peu connus, ou quelquefois mal appréciés, pour les acteurs politiques, leur utilité est sans conteste, même si l’on déplore le dévoiement de leur utilité dans le débat politique. La société civile, pour sa part, réclame la déclassification des rapports produits, non sans admettre la nécessité d’une autocritique de sa participation au sein de ces corps de contrôle.
PEU CONNUS, MAL APPRECIES
Mis sur pied par l’Etat du Sénégal pour répondre à la forte demande de transparence des populations, de la société civile, et aussi des pays donateurs, les corps et organes de contrôle et de régulation de l’Etat, à savoir la Cour des comptes, l’Ige, la Centif, la Crei, ou encore l’Armp, l’Ofnac, etc, semblent être peu connus, sinon même, mal appréciés par les citoyens lambda. Un petit micro-trottoir réalisé aux Parcelles Assainies, banlieue dakaroise, en dit long.
Rencontrée aux Parcelles assainies, cette étudiante en deuxième année de Commerce international dans un Établissement de formation supérieure dans ladite commune ignore tout de ces organes de contrôle. Ou, du moins, elle connait «uniquement la Crei». En effet, Marie. A. Mansaly dit connaitre ladite cour de répression à cause «du procès de Karim Wade». Son but ? Ses missions ? Impossible de dire grand-chose. Mais, une chose est certaine pour elle, «c’est la Crei qui avait emprisonné Karim Wade», sans pour autant être claire sur les charges qui avaient été retenues contre le fils de l’ancien président de la République, Abdoulaye Wade.
Marie A. Mansaly semble ne pas être la seule à ne pas connaitre les mécanismes de contrôle mis en place par l’Etat, pour une gestion efficiente des ressources économiques du pays. Pour Amadou Ndiaye, vigile de son état dans une société de gardiennage, «j’entends parler de ces structures, mais je ne les connais pas bien». Quand on lui demande d’en citer quelques-uns, il se limite à mentionner la Crei et l’Ofnac. La raison est toute simple pour cet habitant des Parcelles assainies. Le monsieur révèle «qu’on entend souvent parler de ces deux-là dans les médias». Par conséquent, il s’est fait toute une religion sur ces instruments. Pour lui, «ce sont les politiciens qui nous fatiguent avec ces histoires de Crei et Ofnac. Nous avons mieux à faire que de les écouter».
A la différence de ces deux Sénégalais rencontrés au préalable, ce monsieur croisé à la porte d’une agence bancaire de la localité, semble être mieux averti. Venu se procurer un peu de cash pour le week-end, Olivier Badji commence d’abord à déplorer la production de «rapports sans suite» par les corps de contrôle de l’Etat. Pour lui, «ces institutions sont instrumentalisées à des fins politiques». Dans la mesure où, poursuit-il, «malgré les recommandations qui sont produites dans les rapports, aucune suite n’est réservée contre ceux qui sont épinglés pour malversation ou mauvaise gestion». Quid alors des cas Karim Wade et compagnie, condamnés par la Crei, ou encore Khalifa Sall dont la gestion a été auditée par l’Ige ? «C’est simplement politique, mais ils n’ont rien fait», répond-t-il. Il en conclut alors que lesdits instruments de contrôle ne sont «d’aucune utilité», même s’il reconnait pour autant que «s’il n’y avait pas cette politisation de ces corps de contrôle, on pouvait s’attendre à quelque chose de leur part». Certaines personnes rencontrées ne veulent même pas en parler, parce qu’ils ne les connaissent pas.
UNE NECESSITE DEVOYEE PAR LE DEBAT POLITIQUE
Considérés à tort ou à raison comme des «instruments» à la solde du pouvoir exécutif pour régler des comptes politiques, les organes de contrôle de l’Etat restent pour autant «plus que nécessaires», de l’avis des acteurs politiques. C’est du moins ce qu’en pense le leader du parti Les Réformateurs démocratiques/Yessal (Ldr/Yessal). Pour le député Modou Diagne Fada, «les organes de contrôle sont nécessaires dans tout pays qui prétend ériger la gouvernance vertueuse comme mode de gestion des ressources publiques». Ce qui permet à l’Etat, selon lui, de connaitre les situations des différentes entreprises et administrations publiques. Il en est de même pour l’ancien député de l’Alliance des forces de progrès (Afp), Pape Diallo Zator Mbaye. En effet, tout en estimant que le contrôle est nécessaire dans un Etat, il reste persuadé que ces organes remplissent un double rôle. Pour le protégé du président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse, ces institutions sont un signal «pédagogique» pour celui qui ne gère pas encore et qui peut être appelé à gérer, demain. Comme autre vocation, Zator Mbaye leur donne comme mission «l’encadrement», à travers les recommandations faites, pour éviter les dérapages.
Même son de cloche pour la ministre conseillère, Zahra Iyane Thiam qui suppute de la nécessité de mettre en place de tels dispositifs de contrôle. Elle trouve, en fait, que «dans un Etat qui se respecte, dans un Etat qui est dans une condition de vouloir dépasser un certain niveau de développement, combiné à des ressources qui ne sont pas aussi abondantes comme dans certains pays, il nous faut avoir des mécanismes clairs de gestion et d’optimisation des ressources qui sont à la disposition de l’Etat, pour que ce dernier puisse en faire une redistribution, non seulement équitable, mais aussi efficiente pour les besoins des populations».
Quid, cependant, de la perception tant soit peu péjorative qu’en ont certains citoyens, et même mieux, certains hommes et femmes politiques ? La responsable politique de l’Alliance pour la République (Apr) bat en brèche cette représentation. Pour elle, c’est dans le cadre du débat politique que «la fonction de ces organes de contrôle est dévoyée, mais non sur le plan de l’exécution de l’action politique». Elle est d’avis que pour des raisons «politiciennes», «on veut pervertir l’utilisation des organes de contrôle», mais que ces organes ont chacun «ses missions bien déterminées». Cela, non sans indiquer que la crédibilité de ces institutions dépend de la posture que les citoyens en ont. Lui emboitant le pas, Zator Mbaye refuse de faire partie de ceux qui pensent «qu’un président de la République, un Premier ministre, ou un ministre de la Justice, pourrait dévoyer les recommandations des corps de contrôle». Il a ainsi déploré qu’au Sénégal «on fait trop de politique politicienne en pensant que ces personnes-là qui sont dans ces organes de contrôle sont quelque part des courtisans du pouvoir». Donc, à son niveau, c’est clair que ces corps de vérification de l’Etat n’ont pas de missions détournées, tout en rappelant que ces derniers rendent compte à l’autorité en la matière, en charge de faire appliquer les recommandations par les citoyens qui auront été contrôlés. Il en est de même pour Modou Diagne Fada qui reconnait qu’au niveau de la Cour des comptes, «la contradiction est de rigueur» et que les pré-rapports sont soumis aux concernés pour clarification.