La patience d’attendre pendant des minutes ou des heures devant un guichet de banque n’est pas donnée à tous. Notamment dans un monde où ‘‘le temps c’est de l’argent’’, comme disent les Américains. C’est ce qu’ont avoué les clients de ces institutions financières rencontrés dans les rues de Dakar.
‘’Les banques sénégalaises sont toutes pareilles. C’est écœurant ce qui s’y passe’’, fulmine l’homme de teint noir rencontré au rond-point Poste Thiaroye. Sur son mètre 80 environ, Moussa vient à peine de sortir d’une des banques installées dans les parages. ‘‘Personnellement, je veux même arrêter de traiter avec toutes les banques. Les taux qu’elles appliquent sur les clients sont insupportables. Et pire, quand on veut s’entretenir avec le gestionnaire, il faut patienter pendant 40 minutes ou une heure au minimum. C’est vraiment énervant’’, renchérit notre interlocuteur. De nature ‘’impatient’’ selon lui, Moussa a, à deux reprises, quitté la banque sans voir ses besoins satisfaits. ‘’Parce que je ne pouvais plus supporter l’attente. Je suis venu à 7 h et jusqu’à 9 h, je ne pouvais pas voir le gestionnaire, alors que je devais aller travailler. Imaginez cette perte de temps. C’est vraiment de la m…’’, peste-t-il d’un ton sec, le regard fixe.
D’après cet ouvrier habitant à Yeumbeul, ce qui l’agace le plus, c’est le fait de parcourir une dizaine de kilomètres environ pour faire des réclamations ou des opérations. ‘’Je suis obligé de venir à Poste Thiaroye ou d’aller à Tally Bou Maag. Parce qu’il n’y a pas d’agence chez moi. Mais le problème c’est que les gestionnaires aussi ne font pas correctement leur travail. Parce qu’il y a des opérations qui ne nécessitent pas un déplacement. Cependant, ils restent injoignables au téléphone. Ils n’ont même pas le temps pour répondre aux appels des clients’’, déplore-t-il.
Pour Moussa, avec le manque de personnel noté dans les banques, il serait plus ‘’profitable’’ de faire certaines réclamations au téléphone ou en ligne. ‘’Pour la Banque islamique de Poste Thiaroye, il n’y a que trois guichets fonctionnels et parfois ce sont seulement les deux qui marchent pour une cinquantaine de clients. C’est dommage’’, dit-il.
‘’A chaque fois que je fais un dépôt, je perds de l’argent’’
Si Moussa a l’habitude de se rendre à la banque le matin avant d’aller au travail, c’est tout le contraire pour Abdoulaye Niang, taximan trouvé à la gare de Sahm. Il s’y rend en général entre 13 et 14 h. ‘’Si j’y vais à midi, je peux régler mes transactions avant 13 h. C’est vraiment un manque à gagner pour moi. Parce que je suis obligé de garer ma voiture pour aller faire un versement. Donc, à chaque fois, je perds de l’argent en allant déposer de l’argent. C’est vraiment dur ce que nous vivons avec les banques’’, confie-t-il d’un accent calme, tout en se caressant la jambe posée sur le banc qui lui sert de siège.
Pour sa part, un autre client de la Cbao affirme que la ‘’mauvaise gestion de la clientèle du côté des agents de sécurité’’ empire le phénomène. ‘’Certains ne respectent pas les numéros inscrits sur les tickets. Ils préfèrent faire passer des personnes qui leur donnent en retour une petite somme d'argent, devant ceux qui se sont levés de bonne heure pour effectuer des opérations et qui ont d’autres préoccupations aussi’’, avoue-t-il sous le couvert de l’anonymat.
Hormis la nécessité d’avoir un réseau de qualité et une bonne logistique pour les banques, cet agent de la Fonction publique fustige plus le comportement des agents de sécurité. ‘’Il faut qu'ils aient une bonne conduite et respectent l’éthique et la déontologie. Même s’ils ne réclament rien ouvertement, ils te favorisent tout en espérant que tu seras reconnaissant envers eux. Ils te demandent ton numéro et si tu es loin, ils te donnent la place de quelqu'un qui est absent’’, narre notre interlocuteur.
Toutefois, ces accusations sont balayées d’un revers de la main par Modou Diouf, un autre taximan. ‘’Je n’ai jamais vu un vigile trafiquer une place pour un client. Dans ma banque, l’écran qui affiche les numéros d’arrivée fonctionne correctement. Donc, impossible, pour les agents de sécurité, de trafiquer quoi que ce soit. Sincèrement, je ne l’ai jamais vécu’’, témoigne-t-il.
‘’Il faut plus de rigueur dans les services, au Sénégal’’
Même s’il y a un manque de personnel par rapport à la demande, ce gérant de boutique de vêtements prêt-à-porter sise à la Médina pense qu’il faut que les établissements bancaires s’organisent. ‘’Il faut plus de rigueur dans les services, au Sénégal’’, lâche Pape. A une dizaine de pas de sa boutique, un groupe de vieux hommes assis autour du thé se préparent pour aller à la mosquée, après l’appel du muezzin. Il est presque 17 h. Interpellés sur les attentes devant les guichets de banque, l’un d’eux réagit. ‘’On n’y peut rien. C’est la manière de fonctionner des banques au Sénégal’’, affirme Soumana Aïdara, la soixantaine révolue.
Cependant, ce retraité admet que les institutions financières doivent, aujourd’hui, revoir leur système. ‘’Si elles ne le font pas, ça sera à leur perte. Parce qu’actuellement, avec les services de transfert et d’envoi d’argent de proximité, les gens se rendent à la banque de moins en moins, sauf s’ils doivent retirer des montants conséquents’’, dit le vieux Aïdara. Contrairement aux jeunes, ce retraité n’a jamais quitté une banque sous le coup de la colère sans effectuer son opération. ‘’Même s’il me faut attendre 5 heures, je le ferai. L’essentiel, c’est de prendre mon argent et de m’en aller. Les frustrés sont généralement les gens qui ont leur argent à la banque. Et s’ils viennent et qu’ils perdent 3 heures, la prochaine fois, ils vont voir ailleurs’’, fait-il savoir en souriant.
Si le Vieux Aïdara peut perdre des heures à la banque pour retirer un chèque, il faut noter que ce n’est pas le cas pour la plupart des gens en activité. Car, comme l’a écrit l’écrivain français Albert Robida dans son ouvrage intitulé ‘’le Vingtième Siècle’’, ‘’le temps est un chèque en blanc, signé par le Directeur général Dieu !’’. Et celui perdu ne se rattrape jamais, a-t-on coutume de dire.