Afin d’amener les plus réticents à la table des négociations et de dépasser les blocages qui entravent le bon déroulement des concertations sur le processus électoral, le président de la République a profité de son discours du Nouvel an pour lancer un nième appel au dialogue.
Les blocages notés dans les concertations sur le processus électoral augurent un début de clash entre les différents acteurs du jeu démocratique sénégalais. Au moment où l’opposition dite significative a tout bonnement pris l’initiative de boycotter les négociations, les différentes parties prenantes qui se sont engagées dans les concertations butent sur deux points d’achoppement, notamment le parrainage des candidats indépendants et le bulletin unique. Ces positions divergentes, qui se sont dégagées tout au long des concertations, ont d’ailleurs conduit le président du Cadre de concertation sur le processus électoral (Ccpe), l’ambassadeur Seydou Nourou Ba, à suspendre les travaux.
C’est sûrement pour décanter la situation que le président de la République est revenu à la charge. En dépit des précédents appels lancés, d’abord au lendemain des élections législatives chaotiques du 30 juillet 2017, ensuite après la prière de la Tabaski le 2 septembre dernier, le président Macky Sall en a émis un énième, dimanche, au moment de prononcer son discours du Nouvel an. D’ailleurs, ce n’est pas du tout anodin, s’il a réservé la dernière partie de son discours au dialogue politique. ‘’(…) Afin de conforter la vitalité démocratique de notre pays, j’ai pris l’initiative d’une concertation sur le processus électoral entre la majorité, l’opposition et la société civile. J’ai désigné un facilitateur à cette fin. Je renouvelle à toutes les parties prenantes mon appel au dialogue, parce que ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous oppose’’, émet le président Macky Sall.
Moussa Diaw : ‘’Les préalables d’un dialogue sincère pas encore réglés’’
Mais quelle est la portée d’un tel appel dans un contexte où l’opposition dite significative est absente à la table des négociations et où les concertations sont au point mort ? Selon Moussa Diaw, le président de la République tient à ce qu’il y ait ce dialogue, puisque c’est une opportunité non seulement de réunir l’ensemble des acteurs politiques, mais de régler des questions relativement à des dysfonctionnements observés lors des élections législatives de juillet 2017. ‘’Il y a un blocage et c’est la raison pour laquelle il réitère encore une fois l’appel au dialogue à l’ensemble des forces politiques, parce que ce dialogue permettrait de régler des questions de fond. On va aller vers l’élection présidentielle avec des enjeux très importants et il n’est pas question de les entacher par des dysfonctionnements. Cela permettrait d’apaiser le climat social et politique’’, analyse l’enseignant chercheur en science politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis.
Il relève toutefois que ce ne sera pas du tout facile de tenir ce dialogue, au vu des positions divergentes déjà affichées par les parties prenantes. ‘’Les préalables d’un dialogue sincère et constructif ne sont pas encore réglés. Il va falloir instaurer la concertation, rassurer l’opposition et l’ensemble des forces politiques sur les questions de fond, pour éviter les écueils. Sans ces préalables, il sera très difficile de réinstaurer le dialogue entre les différentes parties’’, soutient Moussa Diaw.
Pr. Ibou Sané : ‘’L’opposition a tout intérêt à aller dialoguer’’
Son argumentaire ne semble point convaincre Ibou Sané. Selon le professeur en sociologie politique, certains préalables posés par l’opposition participent plus à biaiser le dialogue qu’ils ne favorisent la concertation. ‘’Il faut éviter de poser des préalables et aller directement à la table de négociations. On ne peut pas demander au parti au pouvoir de scier la branche sur laquelle il est assis. Si le régime accède à toutes les conditions posées par l’opposition, d’autres contestations surgiront encore. Or, la démocratie, c’est la loi de la majorité et le respect des minorités. Mais, pour autant, la minorité ne doit pas dicter à la majorité ce qu’elle doit faire’’. Pour Ibou Sané, ‘’l’opposition a tout intérêt à aller dialoguer, car le dialogue est le préalable à tout’’.
Mais, pour ce faire, Moussa Diaw, lui, estime qu’il va falloir, au président de la République, de rassurer l’opposition de sa bonne foi et de sa volonté politique à faire en sorte que ce dialogue puisse s’instaurer. ‘’Il faut que le président tende la main à l’opposition, qu’il la rassure en établissant des concertations sur les préalables, avant même de se réunir. A cet effet, il faut mobiliser les principaux acteurs, c’est-à-dire les représentants des principaux partis, se concerter avec eux, aborder les questions essentielles et au terme de cette rencontre, lancer le dialogue politique’’.
‘’Ce n’est pas la première et ce ne sera pas la dernière fois que le chef de l’Etat appelle au dialogue et qu’une bonne frange de l’opposition sénégalaise ne réponde pas et ne pose pas des préalables. Quand on pose des préalables, alors qu’on n’a pas été élu, ça pose problème. Je pense que l’opposition a tout intérêt à aller à la table des négociations et à faire valoir ses droits à des élections libres, transparentes et justes’’, renchérit le Pr. Sané. Avant d’ajouter : ‘’C’est la seule occasion qu’ils ont pour démontrer à la face du monde que ce qui est proposé ne répond pas à leurs préoccupations. Mais ils ne peuvent pas faire la politique de la chaise vide, laisser le pouvoir se donner les moyens de décider de tout et après ruer dans les brancards pour dénoncer des décisions unilatérales.’’
ASSANE MBAYE