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Mass Diongue (Formateur en sécurité routière, conduite défensive): ‘’Tous les véhicules de transport en commun doivent aller à la casse’’
Publié le jeudi 4 janvier 2018  |  Enquête Plus
Baux Maraîchers
© aDakar.com par DF
"Baux Maraîchers": Dakar tient sa nouvelle gare
La nouvelle Gare de Dakar a été inaugurée ce lundi. Cette infrastructure devra permettre de moderniser davantage le transport et de permettre une plus grande mobilité des voyageurs. Construite sur un site de 12 hectares, la gare des "baux maraîchers" a coûté 7,5 milliards de fCFA.




Si on applique le permis à points, d’ici deux mois, personne n’aura plus de permis au Sénégal. Mass Diongue, formateur en sécurité routière, affirme que le niveau de formation des chauffeurs sénégalais est très bas. Ce Sénégalais vivant aux Etats-Unis soutient que ceux qui sont morts d’accident, s’ils sont réveillés et exposés à la même situation, cent fois ils périraient à nouveau, parce qu’ils ne savent pas. Il a aussi donné quelques pistes sur les embouteillages en ville.

Il y a beaucoup d’accidents au Sénégal. Quelles en sont les causes ?

Comme vous le dites, il y a beaucoup d’accidents au Sénégal. Mais j’ai l’habitude de dire que c’est un phénomène qui va s’accroitre. Et c’est normal du fait de plusieurs facteurs. D’abord, au Sénégal, il est trop facile d’avoir un permis de conduire. Il n’y a pas de sanction. Même après 20 ans d’expérience, si les chauffeurs repassaient à l’examen de conduite, ils auraient échoué. Sur 100 conducteurs, les 99 % seraient recalés, tellement le niveau est bas. Il n’y a pas de recyclage de chauffeurs. Le vrai point noir, c’est le niveau de connaissance des chauffeurs : ils n’ont pas le savoir.

Vous voulez dire que les chauffeurs, au Sénégal, ne savent pas conduire ?

Ils ne savent pas conduire. Ce n’est pas seulement le chauffeur de transport, les conducteurs des véhicules particuliers non plus ne savent pas conduire. On n’aime pas entendre certaines vérités, mais un chat est un chat. Beaucoup d’accidents sont évitables. Depuis 2000, je ne cesse de le dire, je suis allé partout, mais je n’ai pas trouvé oreille attentive. J’anime des émissions gratuitement à la Rts. Je paye moi-même mon billet entre les Etats-Unis et le Sénégal, aller-retour. On aimerait bien qu’il n’y ait plus d’accident. En réalité, ce ne sont même pas des accidents, ce sont des collisions, à la limite des conneries, passez-moi le terme. Il y a une différence entre accident et collision. Un accident est très rare, c’est ce qui est inévitable. Par exemple, un arbre qui tombe sur toi, un poteau qui chute, un tonnerre… Par contre, terminer sa course dans le buisson, heurter un individu, le non respect de la distance de sécurité, s’enfoncer dans un camion par derrière, ce n’est pas un accident, c’est une collision.

Vous avez tapé à toutes les portes sans être entendu, dites-vous. Que doivent faire exactement les autorités pour stopper ou réduire les accidents de la circulation ?

Il faut d’abord arrêter dès maintenant la délivrance des permis de conduire. Il faut ensuite une formation obligatoire pour le code de conduite. Il y a beaucoup de choses qu’on n’apprend pas avec le code de la route dans lequel il est question de panneaux, de sens interdits… Mais ce qui permet de s’en sortir face à des situations critiques ou de reconnaitre le danger avant d’y arriver, ça s’apprend avec la sécurité routière et la conduite défensive. Quand je quittais le Sénégal en 1982, je conduisais déjà. En 1984, j’ai eu la chance d’intégrer une auto-école, aux Etats-Unis. J’ai eu l’honnêteté de reconnaitre que je ne sais pas conduire.

Le formateur a parlé pendant une heure, et je n’ai jamais rien entendu de ce qu’il a dit. Au Sénégal, on a besoin de beaucoup plus de rigueur, surtout du côté des chauffeurs de transport en commun. Il faut, au minimum, une formation d’une ou de deux semaine (s), 8 heures par jour pour leur enseigner la sécurité routière et la conduite défensive, comment conduire la nuit, connaitre l’état de son véhicule, reconnaitre un danger, en cas d’absence de visibilité, comment conduire s’il pleut, en cas d’éclatement de pneu, comment faire... C’est malheureux que depuis 2002 jusqu’à maintenant, que les accidents se suivent et se ressemblent. Les gens meurent de la même manière.

Parmi les mesures prises par l’Etat, il y a l’impossibilité d’avoir un permis avant 30 ans. Est-ce que le problème de jeunesse se pose à ce niveau ?

Il y a des pilotes de 22 ou 25 ans qui conduisent des avions de 400 personnes. C’est parce qu’il y a la formation. Ce n’est pas parce qu’ils sont des Blancs qu’ils sont plus intelligents que nous, mais ils s’assurent qu’il y a eu la bonne formation. Certes, il y a beaucoup d’accidents avec les jeunes conducteurs, partout dans le monde, surtout les week-ends : excès de vitesse, courses, plaisanteries au volant… Mais les ‘’tueurs en gros’’ que nous avons ici ne sont pas liés à l’âge. Si tu donnes à un député un véhicule de transport, il va tuer au moins 7 personnes avant un mois. Tu prends un avocat ou un directeur de n’importe quelle société, il fait la même chose. Le problème est lié à la formation de l’individu.

Au-delà de la formation, qu’elle est la part qui revient à l’état du véhicule ?

Tous les véhicules de transport en commun doivent aller à la casse. Si les assureurs payaient correctement ce qu’ils doivent payer aux victimes des accidents (décès, invalidités…), ils auraient fermé boutique il y a bien longtemps. Ils ont donc une part de responsabilité de ce qui se passe. Nous sommes en 2017, il y a des véhicules qui ne doivent plus circuler. Une voiture doit avoir un airbag, l’Avs, la ceinture de sécurité. On ne doit pas faire le trajet Dakar - Fatick (145 km) en 4 heures de route. Les ‘’ndiaga ndiaye’’ le font. Les véhicules ‘’7 places’’ ne doivent plus rouler. Mais tu as l’impression que le pays appartient aux transporteurs, c’est eux qui dirigent. Ils font ce qu’ils veulent.

Ces véhicules dont vous dites qu’ils ne doivent plus circuler, ils passent la visite technique ?

Justement, voilà un autre problème. Les véhicules de transport ne doivent pas passer la visite technique au même endroit que les particuliers. Il doit y avoir un endroit spécial pour le transport. Les règles doivent être plus sévères que celles des particuliers, qu’on ne leur accorde aucune facilité. Ce sont des voitures qui roulent 7 jours sur 7. Elles font des centaines de kilomètres par jour. Le particulier fait 5, 10, 15 km, il est dans le même environnement de la ville. La vitesse n’excède pas 50 km/h. Mais un véhicule qui prend 7 personnes, alors qu’il devait se limiter à 5, il est en surcharge avec des valises, 20 ans d’existence. Le compteur a déjà fait deux fois la limite, la carcasse est pourrie. Ce véhicule-là ne doit plus rouler. Aller jusqu’à Tamba sous cette chaleur, sans climatisation… Tout cela est à revoir.

Mais est-ce le niveau actuel de l’économie du pays permet d’avoir des véhicules de transport qui respectent les standards internationaux en matière de sécurité routière ?

Pourquoi pas ? Si tu fais des autoroutes comme Ila Touba et autres… ces infrastructures là ne réduiront pas les accidents. Même avec 3x6 voies, les mêmes accidents se reproduisent. Le niveau est bas. Si tu prends 100 chauffeurs de transport, ils ne savent même pas ce dont ils ont besoin sur le tableau de bord du véhicule. Vous leur donnez un véhicule de 15, 20 ou 30 places, ils ne savent pas faire la différence entre les dépassements en ville et en rase campagne. Ils tuent tous les passagers. Il faut savoir compter une distance de sécurité. Ce sont des choses à apprendre. La voiture doit être ‘’up day’’ (à jour). Le chauffeur doit passer une visite médicale pour voir s’il n’a pas de problème cardiaque ou autre.

Vous voulez dire qu’il est trop facile d’avoir un permis au Sénégal ?

C’est comme vendre de l’arachide. Des chauffeurs qui ne savent pas ce qu’il y a de plus basique, démarrer un véhicule correctement. Si ces gens-là passent devant un jury sans complaisance, personne parmi eux n’aura un permis. Il leur suffira de démarrer le véhicule pour être disqualifiés. Si on applique le permis à points, d’ici deux mois, personne n’aura plus de permis au Sénégal.

Le permis à points n’est pas applicable au Sénégal ?

Il y a des préalables. Je suis pour à 100 % ; il faut une tolérance zéro. Ça a permis de réduire drastiquement les accidents dans d’autres pays. Mais il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Ici, il y a une indiscipline notoire doublée d’un niveau de formation très bas. Les chauffeurs n’aiment pas mourir, ils n’ont pas envie de devenir infirmes, ils ne veulent pas rester longtemps sans travailler. Mais comme j’ai l’habitude de dire, ceux qui commettent les accidents, qu’ils meurent ou pas, si tu les remets dans la même situation, ils vont refaire la même erreur. S’il était possible de ressusciter les conducteurs morts d’un accident, tu leur remets la clé du véhicule, s’ils sont confrontés aux mêmes conditions ayant causé leur mort, ils périraient à nouveau. Vous les mettez 10 fois dans les mêmes conditions, 10 fois ils meurent, parce qu’ils ne savent pas. La conduite, ce n’est pas quelque chose qu’on devine. Ça ne s’acquiert pas avec l’expérience. C’est un travail qui nécessite de l’apprentissage. Ce que le bon sens te dit n’est pas toujours exact. On parle de pertes en milliards, mais c’est plus que ça. Il y a des familles déchirées à cause des accidents.

Quelle est la part de l’indiscipline dans tout ça ?

C’est à ce niveau que le permis à points a son importance. Il permet de trier pour sortir la mauvaise graine de la circulation. Ces gens-là, il faut les traquer. Organiser des campagnes contre eux. En cas de contravention, leur retirer 5 points, les traduire devant le juge, qu’ils soient traités de criminels, avec une amende de 200 000 F Cfa, récupérer le véhicule sur le champ et transborder les passagers. En cas de connerie, d’indiscipline manifeste, que le permis soit retiré et suspendu pour une durée de trois mois. Dans ce cas, le permis à points peut limiter les dégâts, parce que là où il y a les accidents graves, en rase campagne, les forces de l’ordre ne sont pas présentes. Heureusement qu’en ville, les embouteillages font que les véhicules ne roulent pas vite, sinon ils allaient tuer 10 par jour.

Justement, venons-en en ville. La circulation à Dakar est intenable. Qu’est-ce qui est la cause des interminables bouchons ?

D’ abord, il y a les accidents qui, très facilement, bloquent la circulation. Le fait de mal garer sa voiture par indiscipline ou encore des erreurs dans les aménagements, comme par exemple la Vdn ainsi que dans d’autres localités. Malheureusement, au Sénégal, nous avons cette mauvaise habitude de repérer des erreurs et ne pas les corriger. Au contraire, nous en rajoutons. Prenez le cas des stations d’essence. Où avez-vous vu dans le monde une station qu’on place juste à hauteur d’un carrefour. Partout à Dakar c’est ainsi, avec les voitures qui entrent et qui sortent. Aux Almadies, tu vois un immeuble qui abrite plus d’une centaine d’employés sans le moindre parking, ils sont obligés de se garer sur la route. Pendant que les gens cherchent difficilement à stationner leur véhicule, facilement une queue se crée derrière. Prenez les écoles, par exemple l’institution Jeanne d’Arc, les églises, les mosquées, c’est pareil, même si je suis musulman. Les marchés, les cantines, la future grande mosquée à Colobane ; tout ceci cause problème. On pense qu’il n’y a pas trop de voitures à Dakar, mais non !

Donc c’est le système de validation qui fait défaut ?

Voilà ! Tu te lèves un bon matin et la corniche est modifiée, les entrées et sorties sont faites n’importe comment et les problèmes de signalisation, du jour au lendemain, plus de rond-point. Sur la Vdn, déjà nous pleurons la Sonatel et on se permet de construire une clinique qui va empirer la circulation.

Si je vous comprends bien, certains grands immeubles doivent être éloignés des grandes routes ?

Absolument ! De même que la corniche, il n’y a que des écoles. Tous les jours, tu passes et c’est le même problème ; donc les autorités concernées doivent se rendre compte que ce sont ces écoles qui en sont la cause. Aux Almadies, c’est pareil, du Nirvana club jusqu’à la Brioche Dorée, là où on a les bureaux. Les cars ‘’ndiaga ndiaye’’ et clandos surtout stationnent n’importe où et n’importe comment ; devant l’université, les arrêts bus se font face. A l’entrée/sortie corniche, une intersection, on voit plus de plus de 100 véhicules garés. A la rue suivante, à 200 m, il y a un autre immeuble en construction qui va abriter au moins 300 personnes. Si une personne sur deux a un véhicule, ça fera 150 unités qui vont chercher un lieu de stationnement.

Faut-il des parkings souterrains ?

Si nous réglons le transport, les gens rentreront sans crainte. On peut rester une semaine sans voiture aux Etats-Unis, c’est plus économique, tu pays moins cher avec le transport en commun. Il y a le confort et la sécurité.

Donc, Dakar manque de moyens de transport de masse ?

C’est ça qui manque. Le Ter va arriver, mais j’ai peur que les gens le heurtent. Avec ces chauffeurs mal formés qui ne font pas la différence entre une ligne continue et discontinue, j’ai peur qu’il y ait collision. Nous vivons ce qui s’est passé dans les pays soviétiques. A la chute du communisme, les voitures sont arrivées en nombre important, chacun voulant avoir le sien. C’est ce qui nous est arrivé. Les voitures ont été déversées, chacun en dispose et est allé chercher un permis. Il y a des erreurs sur les tracés de la route. Il faut que le Sénégal crée une police de circulation.

Quand est-il de l’attitude des forces de l’ordre sur la route ?

Mais il nous faut une police spéciale dont les agents vont bénéficier d’un salaire de base plus une prime, 10 % par contravention. Ils seront sous la protection de la police pour réguler la circulation. Si on leur donne des moyens, des motos, avec des check-point dans les coins où on enregistre le plus d’accidents du fait de l’indiscipline. Il faut tendre des pièges aux chauffeurs qui font du je-m’en-foutisme. Si tout cela est accompagné d’une communication, on voit chaque jour le nombre de véhicules arrêtés, 300, 400, tant de contreventions, tant de permis retirés, le problème sera éradiqué. Il doit également y avoir une police qui ne s’occupe que du transport pour traquer ceux qui ne sont pas en règle. Les passagers ignorent tous sur les chauffeurs qui les transportent. C’est des aspects qu’on néglige. Il y a des chauffeurs qui fuient après un accident, on dit qu’il a peur. Non ! C’est parce qu’il n’a pas de permis. C’est un autre qui a un permis qui viendra après se présenter pour le couvrir.

A-t-on besoin d’interdire le transport de nuit ?

Au crépuscule même ! Les véhiculent ne doivent pas rouler la nuit. Ils n’ont pas de visibilité, les routes sont mal éclairées. Le pire, c’est qu’ils sont à 100 km/h. Au Sénégal, les accidents sont causés par les écrasements de pneus. Les pneus d’occasion doivent être éradiqués, ils sont pires que le sida et les médicaments de la rue. Ils sont pour la plupart usés. Il faut un contrôle strict sur les pneus. Ne permettre à personne d’importer des pneus d’occasion. Quand, en France, on enlève un pneu parce qu’il est usé, cela veut dire qu’il ne doit plus être utilisé. Chaque éclatement de pneu entraine des pertes en vies humaines. Les arbres doivent être distants de la route. La norme, c’est 7 mètres, mais au Sénégal, il faut faire 15 mètres. Il faut d’abord sensibiliser les chauffeurs, car les accidents se suivent et se ressemblent. Il faut arrêter les pneus d’occasion ou les détruire.
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