En dépit de l’engouement phénoménal suscité par le téléphone portable qui, entre autres commodités, vous offre l’heure à chaque clic, la montre-bracelet continue d’avoir au Sénégal des adeptes. Au grand bonheur de certains horlogers, épargnés pour le moment de disparition.
Ainsi, le métier d’horloger survit encore, là où d’autres professions comme les réparateurs de poste radios et les gérants de télé centre ont quasiment disparu. La faute aux nouveaux outils de communication dont principalement le téléphone portable avec ses multiples fonctions permettant de converser avec ses correspondants ou de suivre son émission radiophonique préférée.
La poignée d’horlogers ayant pignon sur rue à Sandaga, centre-ville de Dakar, peut bénir le ciel qu’il existe encore des clientes comme Amy et Aminata. Trouvées devant l’étal de Coly Ndour, les deux femmes marchandent ferme pour acquérir une des montres-bracelets du commerçant, notamment celle plaquée or et sur laquelle Aminata a flashé. Pourtant, elle assure avoir à la maison cinq montres mais en véritable collectionneuse elle ne peut laisser passer l’occasion d’en acquérir une sixième.
En « jongoma » adepte des belles toilettes, Aminata assure qu’il n’y a rien de tel pour relever un look qu’une jolie montre-bracelet. Et Amy, sa compagne d’appuyer ses dires, en exhibant son poignet gauche autour duquel on peut voir une montre-bracelet argentée.
Les femmes ne sont pas les seules à être fidèles à la montre-bracelet. Sidy Ndiaye, un rabatteur rencontré quelques mètres plus loin, aux abords de ‘’Keur Serigne Bi’’ (lieu de vente de médicaments de la rue), exhibe presque la montre de « marque Casio » attachée à son poignet. Le bijou lui a été offert depuis deux ans par son frère émigré en Italie et Sidy ne s’en sépare plus, même s’il en a deux autres à la maison.
« Cela fait partie de mon complément vestimentaire. Si je m’habille sans ma montre, c’est comme si j’avais mis le pantalon sans la chemise », ironise-t-il.
Une anecdote que cet habitant de Guédiawaye aime ressasser pour donner une idée de son amour pour les montres : un jour, il a été obligé de regagner sa lointaine banlieue au-delà de 22 heures car il lui fallait attendre que son horloger qui se trouve au centre-ville finisse la réparation d’un de ses « bijoux ».
Cette fidélité de Sidy Ndiaye à la montre-bracelet n’habite pas Mamadou Sagne, étudiant en Licence 3 de la Faculté des sciences et techniques (FST) de l’Université de Dakar. Trouvé à la gare de Petersen en train de consulter l’heure à partir de son téléphone portable, il raconte que sa dernière montre remonte à un an. Achetée 1000 FCFA, à la veille d’un examen, elle est gâtée depuis et Mamadou ne s’en plaint pas.
« Je me servais de cette montre pour calculer l’heure une fois en salle d’examen. Car on ne nous permettait pas d’avoir nos cellulaires là-dedans », explique le jeune homme.
A en croire le vendeur de montres, Coly Ndour, « C’est au début des années 2000 que notre commerce a commencé à flancher avec l’arrivée des téléphones portables qui sont multifonctionnels ». Pourtant, s’empresse de relever ce commerçant en exercice depuis 25 ans, les gens continuent toujours d’acheter les montres-bracelets même si l’engouement n’est plus le même.
Parmi ces derniers, on compte les prétendants au mariage. En effet, s’il y a une tradition qui s’est maintenue au Sénégal c’est bien celle consistant à incorporer dans la dot une montre-bracelet.
Mariée depuis plus de 30 ans, Oumou Bâ, une habitante de Grand-Yoff (périphérie du centre-ville), se souvient encore de la fierté avec laquelle elle se pavanait devant ses amies en arborant la montre-bracelet que lui avait offerte son futur mari.
« Avant (dans les années 80) les cadeaux de mariage étaient principalement un poste radio, une machine à coudre et une montre, rappelle la dame. Si on ne pouvait pas s’exhiber avec les deux premiers pour se promener, il en était autrement du dernier (ndlr, la montre) ».
Tout en se souvenant de la « montre automatique Quartz » que lui avait offerte M. Diop et qui valait à l’époque 10. 000 FCFA, Oumou assure que la tradition se maintient, vu que l’une de ses filles a reçu parmi les bijoux offerts par son futur époux une montre.
Si la persistance de cette tradition fait l’affaire des vendeurs de montres et des horlogers, il reste que ces derniers recrutent une bonne partie de leurs clients chez le troisième âge.
«Les vieux restent les plus fidèles », affirme Cheikh Koné, trouvé sur l’avenue Blaise Diagne où depuis 10 ans il répare et vend des montres. Parallèlement, il change également les bracelets usés ou les piles déchargées des montres électroniques contre 300 ou 500 francs.
Certains horlogers ont migré vers d’autres activités. Mais d’autres, plus tenaces, ont préféré diversifier tout bonnement leur commerce. A l’image de Coly Ndour qui vend en même temps des ceintures et des pochettes.
« Quand les ‘’galons’’ (épouses) augmentent, il faut en faire de même avec les produits commercialisés », lance dans un sourire ce bigame, originaire du village de Réfane (Diourbel, à 180 km de Dakar).
Sur sa table, la variété des montres (Rolex, Hublot, Mont Blanc, Casio, etc.) témoigne de la diversité des prix qui vont de 1000 à 15 000 FCFA.
Chez Cheikh Koné dont l’étal est jonché de montres de qualité inférieure, on peut trouver certaines coûtant 500 francs.
Ces deux horlogers comme leurs quelques collègues éparpillés dans Dakar –parmi eux il y a la select horlogerie-bijouterie «Arzouni Gambetta» dont le responsable a refusé tout entretien-- ont la ferme conviction que l’amour de certains de leurs compatriotes pour la montre-bracelet fait qu’on est loin d’assister à la mort programmée de leur profession.
OD/cat/APA