La recomposition du champ politique qui se profile de plus en plus, à moins de 90 jours des élections locales et surtout en perspective de la présidentielle de 2017 risque d’agrandir davantage le fossé qui existe aussi bien entre pseudo-alliés qu’entre adversaires déclarés. Et dans cette redistribution des cartes qui se dessine à la veille de joutes porteuses de grands enjeux, l’acte d’allégeance de Moustapha Niasse envers Macky Sall, pour 2017, semble marquer un tournant, mais pas nécessairement de tout repos, pour l’avenir de la mouvance présidentielle dont certains partis (le Ps par exemple) se disent plus arrimés que jamais à leurs ambitions politiques. En face, l’opposition politique affiche de plus en plus ses difficultés à former bloc et surtout ses dissensions internes. A l’instar du Pds, miné par une sorte de rébellion qui ne dit pas son nom mais qui fragilise de plus en plus le parti de Me Abdoulaye Wade.
A moins de trois mois des élections locales prévues pour le 29 juin prochain, le champ politique semble traversé, de part en part, par des stratégies plus ou moins diffuses de repositionnement. Alors qu’au sein de la majorité présidentielle, les diverses parties prenantes s’échinaient tant bien que mal à sauver les meubles en attendant la redistribution des collectivités locales, via les joutes de juin, voilà que l’acte d’ «allégeance» de Moustapha Niasse envers Macky Sall vient forcer les membres de Bennoo Bokk Yaakaar à avancer, difficilement, le visage masqué. Surtout en perspective de la présidentielle de 2017 dont les prochaines élections locales constituent une sorte de véritables « primaires ».
En décrétant en effet à l’issue de la réunion de son comité directeur, le lundi 10 mars dernier, qu’il ne présenterait ni ne soutiendrait une quelconque candidature émanant de l’Afp contre Macky Sall à la présidentielle de 2017, Moustapha Niasse (arrivé en 3éme position avec 14% des suffrages lors de la présidentielle de 2012) semble avoir donné le signal de départ pour la nécessaire redistribution des cartes qui se profilait lentement déjà dans le champ politique, quelque deux ans après l’accession de Macky Sall au pouvoir.
Ironie du sort toutefois. Contre tout paradoxe et contre le principe intangible attestant que la finalité de tout parti politique est la conquête du pouvoir et sa conservation, le président de l’Assemblée nationale et patron d l’Afp a plus contribué avec son «djebelu» à…massifier pratiquement l’Apr bien plus que le président Macky Sall lui-même, selon certains analystes. En livrant en effet l’Afp avec « armes et bagages » au leader du parti au pouvoir et non moins chef de l’Etat, le patron des «Progressistes» aurait octroyé à Macky Sall dont le parti s’embourbait dans des opérations embryonnaires et surtout fratricides de remobilisation de sa base, plus d’arguments pour entrevoir l’avenir…en rose. Bien plus même que l’action combinée de tous les lieutenants du Président : un parti structuré, implanté dans toutes les localités du pays, et disposé à accompagner l’actuel locataire du palais présidentiel vers un second mandat en 2017.
Ce faisant, Moustapha Niasse ne s’est seulement mis à dos une partie de ses potentiels successeurs, quoique ceux-ci peinent à clamer leur opposition face à cette posture tendancieuse de leur parti, pour des logiques de politique politicienne. A l’instar du bien nommé Malick Gackou, présumé n°2 des « Progressistes », obligé de différer sa supposée ambition présidentielle s’il veut continuer d’évoluer à l’ombre du « père fondateur » Moustapha Niasse. Un leader pour le moins comptable du bilan de tous les régimes qui ont dirigé le Sénégal de l’indépendance à nos jours pour avoir été à la fois patron de la Chancellerie sous Senghor et Diouf, chef de la Primature sous Diouf et Wade, patron du perchoir sous Macky.
A fortiori, l’acte d’ «allégeance» de l’Afp semble en passe de pousser les divers leaders membres de la mouvance présidentielle qui sommeillaient dans les ombrages de Bennoo Bokk Yaakaar, dans l’attente certainement du moment propice pour se repositionner, à dévoiler leur jeu, au su et au vu de tout le monde. Moustapha Cissé Lô ne s’y est pas trompé. En exigeant de tous les leaders de la coalition présidentielle à singer la formation « progressiste » et à renoncer à leur candidature pour 2017 au profit de Macky Sall, sinon quitter le gouvernement, le vice-président « apériste» de l’Assemblée nationale a jeté le…froid au sein de la mouvance présidentielle. De sorte à pousser l’autre force politique de la majorité (le Ps arrivé quatrième à la présidentielle de 2012 avec 11% des suffrages) à remettre les choses à l’endroit. Relayé par la presse, le mardi 18 mars, Abdoulaye Wilane, le porte-parole adjoint des « Verts » a fustigé les propos de Moustapha Cissé Lô avant de préciser que le Parti socialiste saura se déterminer « en temps opportun », car «les priorités sont ailleurs». Et pour qui connaît bien le Ps, principal acteur du jeu politique depuis l’indépendance et partie prenante dans toutes les élections présidentielles organisées au Sénégal de 1960 à nos jours, l’éventualité de ne pas postuler en 2017 pour retrouver le fauteuil présidentiel niché à l’Avenue Léopold Sédar Senghor et perdu en 2000, relève de la chimère.
Qui plus est, note-t-on, avec les Locales qui se profilent à grands pas et les appétits qui risquent d’être fratricides même au sein de la mouvance présidentielle pour le partage des collectivités locales, il est fort à parier que les joutes vont occasionner des frustrations qui pourraient chambouler davantage les cartes au niveau de la coalition au pouvoir.
DEBAUCHAGES, TRANSHUMANCES TOUS AZIMUTS
Dans ce jeu de yoyo qui menace d’écarteler davantage la majorité, certains leaders et militants de la première heure de partis fortement ancrés dans le paysage politique ont vite fait de retourner leur casaque. Pour l’ancien « rewmiste » Pape Diouf qui dit avoir définitivement tourné fermé la page Idrissa Seck, le chemin est ainsi balisé. Sans équivoque, il a fait part de son intention de suivre les pas de Moustapha Niasse pour soutenir Macky Sall en 2017. Au lancement de son mouvement dénommé Mdr, tenu au cours du deuxième week-end de mars, le ministre de l’Hydraulique et de l’assainissement a été explicite. «Je suis dans le gouvernement de Macky Sall. Nous faisons tout pour que demain, s’il doit briguer un second mandat, les Sénégalais le jugent par le bilan de ses activités. Je serai comptable, avec lui, de ce bilan. Donc, je ne vois pas pourquoi m’opposer demain à un Président que j’ai accompagné».
Son ex-camarade rewmiste Oumar Guèye, parachuté dans le gouvernement de Macky Sall par la grâce d’Idrissa Seck, ne fera pas moins. Après des mois de compagnonnage avec les lambris du pouvoir et moins d’une année après avoir annoncé en grande pompe la création de son « Vaste mouvement pour le progrès » destiné à soutenir l’action du président de la République, le ministre du Tourisme, ancien ponte du parti du maire de Thiès et ex-premier ministre de Me Wade, a décidé jeudi dernier de prendre le chemin le plus court de la transhumance en dissolvant son mouvement dans la formation présidentielle. Loin d’être exhaustif, ce listing ne reflète toutefois que la face émergée de la palette des transhumants qui rejoint précipitamment le nouveau pouvoir, à la quête d’un quelconque gîte à l’abri du nouveau maître du jeu. De toutes parts, les défections et autres repositionnements se font jour, à l’approche de la redistribution des collectivités locales. Sans souci du qu’en dira-t-on ou de la morale politique ! Dernière transhumance en date : celle d’Awa Ndiaye, ancienne ministre libérale d’Etat, rendue célèbre par un rapport de l’Armp sur ses marchés de cuillères, nattes, clès Usb et autres achetés à des prix dépassant l’entendement. L’ancienne responsable politique Pds à Saint-Louis a fini en effet de déposer ses baluchons dans les prairies marron de l’Apr, tout en s’engageant à élire la liste « apériste » à la mairie et à s’investir pour permettre à Macky de rempiler en 2017.
L’OPPOSITION SENS DESOUS SENS DESSUS
La reconfiguration politique qui se dessine de plus en plus, avec ses schémas de tous ordres, n’épargne pas non plus l’opposition. L’ancien parti au pouvoir (le Pds) comme ses satellites (anciens membres des Fal 2012 aujourd’hui reconverties en Booloo taxawu Askan wi) sont au centre d’un émiettement progressif qui risque d’être fortement préjudiciable au parti du « Pape du Sopi ». Le parti libéral n’a en effet pas seulement été usé par la perte du pouvoir et sa vivisection en mille et une parties : Convergence Bokk Gis Gis de Pape Diop, Ucs d’Abdoulaye Baldé, Elan de Sitor Ndour…Pis, le Pds semble miné par une sorte de rébellion interne qui ne dit pas son nom mais qui pousse de plus en plus d’anciens ténors libéraux à se désaffilier, petit à petit, de Me Wade, en créant leur propre espace d’action politique pour survivre dans un champ politique ayant changé de couleur. Abdou Fall avec son mouvement Alternative Citoyenne Andu Nawlé, aujourd’hui à deux pas de Macky Sall, Moustapha Guirassy et ses Forces citoyennes solidaires du Sénégal (Fcss) pour conserver la mairie de Kédougou, et tout dernièrement la mairesse de Bambey et députée Aïda Mbodji avec son mouvement dit Alliance Nationale pour la Démocratie/Saxal Sénégal, pour émerger des flancs du Pds et négocier un avenir politique actuellement en stand-by.
Dans ce processus post électoral de déconfiture latente, le Pds n’est pas non plus épargné par les courants et autres mouvements qui faisaient déjà florès en son sein. En désaccord avec le nouveau leadership incarné par Oumar sarr, le député maire de Dagana nommé coordonnateur du parti par Me Wade au lendemain de sa « retraite » en France, ou simplement pour affirmer leur indépendance vis-à-vis de leur ancienne formation politique, certains leaders libéraux ont choisi de proclamer leur singularité en marge de l’ancien parti, devenu simple parti d’opposition. Habib Sy (Nouvelle Vision pour le Sénégal ), Aliou Sow (Mouvement des patriotiques pour le développement/Liggeey), Serigne Mbacké Ndiaye (Kolleuré-Fidélité) n’avaient pas manqué de mettre en place des initiatives spécifiques de pensée et d’action à la lisière du Pds. Et pour ne rien arranger, d’autres ténors du parti libéral étaient plus ou moins soupçonnés de briguer la direction du parti, même sans l’aval du « Pape du Sopi », à l’instar de l’ancien premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye, voire d’être sur le point de lâcher le Pds. Une rumeur persistante faisait ainsi état d’un probable départ du parti libéral de l’ancien ministre des Affaires étrangères Madické Niang, malgré le démenti de ce dernier.
QUETE DE … LEADER !
En tout état de cause, des observateurs n’avaient pas manqué de se poser des questions sur ces postures de tous ordres en marge du Pds. Etait-ce une façon de se positionner pour la succession de Wade, de contester un éventuel parachutage à la direction du parti ou un raccourci pour transhumer vers l’Apr ou Rewmi ? Ces divers courants et mouvements étaient pour le moins de l’eau dans la pirogue libérale. Et ça ruisselait de partout. La seule embellie pour l’ancien parti au pouvoir, aussi anecdotique qu’elle peut l’être selon pas mal d’observateurs, est le retour de Khouraïchi Thiam au Pds. Après avoir « courtisé » sans succès l’Apr, pendant des mois et des mois, l’ancien ministre de l’Economie maritime sous Abdoulaye Wade, s’était décidé la mort dans l’âme à regagner le bercail. « Après 22 mois d’attente devant les portes de l’Alliance pour la république (Apr), je reviens dans la maison mère, je reviens au bercail. Je suis à nouveau dans le parti. J’ai quitté définitivement l’autre rive », a-t-il dit devant ses militants l’autre semaine. Le Pds moribond avait presque jubilé avec le retour d’un « fils perdu» qui s’engageait à se battre à ses côtés pour gagner les collectivités locales, dans la région de Tambacounda.
De fil en aiguille, relèvent enfin des observateurs, ces divers éléments d’analyse renseignent à quel point le champ politique peut éclater davantage, à l’orée des élections locales et de la nécessaire redistribution des collectivités locales. Dans ce jeu, la coalition présidentielle patchwork risque de pâtir fortement des positionnements diffus qui se font çà et là comme des contrecoups des appétits de ses diverses composantes sur les mairies (Dakar, Saint-Louis, Diourbel, Pikine, Guédiéwaye, voire Thiès …). Au même titre que l’opposition qui peine encore à rassembler ses troupes, sous les coups de boutoir de la défaite de mars 2012, et qui attend à l’absence de Me Wade, voire d’Idrissa Seck qui joue à l’abonné absent, le « charismatique » leader pouvant la réconcilier avec elle-même.