La liberté d’expression est un droit fondamental dont la protection doit être l’affaire de tous. La conviction est d’Alioune Tine, Directeur d’Amnesty International bureau Afrique de l’Ouest et du Centre, et parrain du ‘’Forum sur les droits de l’expression’’ organisé ce samedi par Article 19 qui fête ses 7 années d’existence au Sénégal.
Article 19 fête 7 années de présence en Afrique de l’Ouest et vous avez été choisi pour être le parrain de la célébration. Quelle appréciation faites-vous du chemin parcouru par cette organisation ?
Cette Ong, en 7 ans, a bien grandi. Aujourd’hui, Article 19 fait bien partie du paysage des organisations de la société civile parmi les plus dynamiques en Afrique de l’Ouest qui, non seulement fait la promotion de la liberté d’expression, mais s’engage pratiquement sur tous les fronts où cette liberté est violée et où les membres de la presse sont arrêtés ou assassinés. Parmi les acteurs les plus ciblés dans les zones de conflits en Afrique avec les lois anti-terroristes qui sont des lois qui ciblent de plus en plus les organisations de défense des Droits de l’homme, figurent les journalistes et les dissidents politiques. Donc, nous avons beaucoup de problèmes et n’oublions pas les bloggeurs aussi.
Nous avons vu Fatou Jagne (Ndlr : Directrice Article 19 bureau Afrique de l’Ouest) qui a quand même un bon leadership sur tous les plans. Sur la Gambie par exemple, on a vu ce leadership sur la question des droits humains et leur violation. En plus, nous avons cheminé avec Article 19 dans les années 2009-2011 et donc j’ai été très surpris par la mobilisation de femmes comme Fatou Jagne et Ndèye Tapha Sosseh, l’ancienne secrétaire du syndicat des journalistes gambiens. Ces deux femmes avaient pratiquement porté au plus haut niveau le combat contre Yahya Jammeh.
Je me sens très honoré, très agréablement surpris par cette décision de Article 19 faisant de ma modeste personne le parrain de ce ‘’Forum sur la liberté d’expression’’ qui est un droit fondamental qui est d’ailleurs l’objet du premier amendement de la Constitution américaine.
La liberté d’expression fait aussi partie des noyaux durs en matière de droits humains. Beaucoup de travail a été mené par Article 19 dans sa conquête, sa promotion, sa défense, de même que l’accès à l’information dans la sous-région, au Niger, en Gambie et dans la formation des bloggeurs. C’est le cas également dans le domaine de la cybercriminalité.
Voilà pourquoi je pense que tout cela c’est important pour l’Afrique. L’organisation s’investit, avec beaucoup de courage et d’abnégation, à travers une grande mobilisation, en collaboration avec d’autres organisations de la société civile.Elle travaille avec la Raddho, avec Amnesty International et est également très présente à la Commission africaine des Droits de l’homme et des peuples.
Souvent, la violation de la liberté d’expression peut entraîner des conflits graves. Beaucoup de journalistes, pour cette raison, sont exilés parce qu’ils ne peuvent pas rester travailler chez eux. C’est pour cela qu’on ne demandera jamais assez aux gens de se mobiliser pour défendre cette liberté fondamentale.
Pouvez-vous nous faire un état des lieux de la liberté d’expression en Afrique de l’Ouest ?
La liberté d’expression ne se porte pas très bien, en Afrique de l’Ouest. Ce que nous observons, en ce moment, c’est une espèce d’état de démocratie minimal. Une espèce également d’état avec le statut minimal de respect des droits humains. Dans beaucoup de pays, il est extrêmement difficile de manifester, alors que cela fait partie de la liberté d’expression. Sortir dans la rue pour manifester sa colère vaut mieux que d’aller prendre des armes. S’exprimer dans les réseaux sociaux, comme le font les bloggeurs, comme le fait tout le monde aujourd’hui, fait partie de la liberté d’expression. Dans certains pays, les réseaux sociaux ont été coupés, en période d’élection, pour priver les populations de leur liberté de s’exprimer.
Cela a été fait en Gambie, au Congo-Brazzaville, au Cameroun, même ici au Sénégal, lorsqu’on transférait Karim Wade, nous avions tous constaté qu’il était difficile de s’exprimer dans les réseaux sociaux. On a constaté également le harcèlement dont les journalistes font l’objet en traitant certaines questions, en faisant certaines investigations. Les défenseurs des Droits de l’homme font également l’objet de harcèlements et d’intimidations dans certains pays comme la Mauritanie, le Niger, en Côte d’Ivoire, etc. C’est pour cela que le ‘’Forum sur les droits de l’expression’’ organisé à l’occasion de l’anniversaire des 7 années d’existence d’Article 19 est extrêmement important. Cela permet de relever, de promouvoir les libertés et de faire comprendre aux Etats que les organisations de la société civile ne sont pas leurs ennemies, ce sont leurs partenaires. Les institutions démocratiques en Afrique sont presque un peu partout en panne, nous avons un Exécutif hypertrophié avec une présidence exacerbée qui cannibalise toutes les autres institutions de la république. Par contre, il y a des contre-pouvoirs hors institution et c’est très important que ces institutions gardent leur liberté, car si elle disparait, nous aurons des espèces de dictatures molles.
Donc, promouvoir la liberté d’expression qui est le noyau dur des droits humains, comme le fait Article 19, est fondamental. Les gens doivent se mobiliser tout autour de cela pour qu’on aille vers un statut maximal des Droits de l’homme. Nous devons être d’accord sur ces noyaux durs pour pouvoir dialoguer.
Dans le contexte sénégalais, que faut-il faire pour éliminer les goulots qui étranglent l’accès à l’information ?
L’accès à l’information est fondamental et je pense que nous avons un code de la presse qui est là. Il faut d’abord travailler la formation permanente des journalistes. Ensuite, il faut savoir que si la presse disparait comme contre-pouvoir, c’est foutu. Dans certains pays démocratiques, la presse est le deuxième pouvoir, car elle fait des révélations sur des autorités qui disqualifient immédiatement ces dernières. Nous devons avoir une presse bien formée, qui a de la déontologie avec des journalistes qui ont les moyens, parce que toute la construction de l’extérieur et de sa vision ne viennent pas de nous, mais des journalistes étrangers. Il me semble que les Etats africains et les journalistes africains doivent faire en sorte que nous puissions construire notre vision de l’extérieur et même note vision de l’Afrique à partir de la presse africaine. Il faut également que nos administrations ne soient pas fermées des autres, car l’accès à l’information est un droit fondamental du citoyen. Essayons de construire notre propre vision de la démocratie et de l’accès à l’information.
Quels sont les chantiers sur lesquels les pays africains devront s’attaquer pour un meilleur respect de la liberté d’expression ?
De mon point de vue, on remarque aujourd’hui une faiblesse de la société civile ouest-africaine. La sous-région est aujourd’hui absente du sommet de la Cedeao à un moment où l’on parle de la Cedeao des peuples. Il faut que des organisations leaders comme Article 19 organisent de grandes consultations avec la société civile pour mettre en place une plate-forme citoyenne pour la Cedeao, pour que les organisations soient là et fassent entendre la voix des populations dans tous les domaines. Il faut travailler aussi à tirer vers le haut les organisations de la société civile, c’est vraiment important.