La succession est une question délicate, notamment dans les familles riches. L’existence de plusieurs textes, leur ignorance par la population ainsi que les rivalités entre protagonistes sont autant d’écueils difficiles à surmonter.
‘’La vie est telle une flamme, un jour elle finit par s’éteindre’’, dit-on souvent. Dans plusieurs familles sénégalaises, au-delà du choc et du deuil, la perte du chef signe le début des difficultés. Si ce n’est le commencement de la traversée du désert, parce que le défunt a été le pilier principal de la maison. C’est parfois le point de départ de la division pour des questions d’héritage.
L’héritage se définit comme la transmission des biens d’une personne morte à une personne vivante. Il peut être testamentaire (volonté de l’homme) ou contractuel (légitime ou ab intestat). Ce dernier peut se diviser entre les descendants, les ascendants et les collatéraux ou avec les enfants naturels, le conjoint survivant. Les bénéficiaires peuvent aussi être, selon la volonté du défunt, des personnes morales que sont institutions, entreprises et associations. En l’absence d’héritiers, le patrimoine se trouve en situation de déshérence et les biens reviennent à l’Etat.
En droit, la succession s’ouvre par la mort et par la déclaration judiciaire du décès, en cas d’absence ou de disparition, et, au lieu du dernier domicile du défunt. Les concernés doivent se rendre chez un notaire et lui fournir l’ensemble des informations afin qu’il puisse recenser tous les biens et dettes constituant le legs du défunt. Le cas échéant, le juriste devra leur faire la lecture du testament, s’il en a fait avant sa mort. Au Sénégal, les règles de répartition de l'héritage entre les différents héritiers de la personne décédée sont fixées par le Code civil.
La succession doit se faire selon les règles du droit musulman ou celles du droit positif qu’est le Code de la famille. Magistrat et non moins imam de la mosquée de Thiaroye-Sur-Mer, Ndary Diop se veut formel : ‘’Quand une personne est décédée et qu’elle a laissé des biens, il faut que ses biens soient partagés.’’ Dans ce cas, la première chose à faire est de chercher le jugement d’hérédité auprès du juge du tribunal d’instance qui est l’équivalent du tribunal départemental. Le document doit préciser la période du décès et les héritiers que le défunt a laissés derrière lui. Il peut s’agir de l’épouse du mari ou de l’enfant. A partir de ce document, le demandeur va saisir à nouveau le juge pour qu’il ordonne la liquidation de la succession.
Les héritiers ont le choix d’aller chez un imam du quartier ou aller voir le juge directement. Mais, dans tous les deux cas, le dernier mot revient au tribunal. Le religieux peut procéder à la liquidation et chacun aura sa part. Par la suite, ils devront aller voir le tribunal départemental pour homologuer le procès-verbal.
La nécessité de l’homologation
D’habitude, les héritiers ne vont au tribunal que s’ils ont un contentieux. Et pourtant, la loi l’exige, quelle que soit l’issue de la succession ou la voie choisie. ‘’Ils peuvent ignorer cette procédure devant les tribunaux. Même si c’est fait devant le religieux, pour être valable et être opposable à d’autres personnes, il faut que cela vienne au tribunal. Cette juridiction, dans tous les cas, sera le dernier recours. Soit ils viennent directement au tribunal, on leur délivre un jugement de liquidation, soit ils vont devant l’imam et le procès-verbal sera homologué devant le tribunal. Sinon, il ne sera pas valable’’, fait savoir le juge.
Cette ignorance de la nécessité de passer par le tribunal fait qu’un partage des biens peut avoir lieu dans une famille et qu’un contentieux naisse 2, 3 ou 4 années plus tard, parce qu’un héritier a déclaré ne pas être d’accord sur ce qui a été fait. ‘’Il aura gain de cause, car s’il vient au tribunal, on reprend tout, parce que cela n’a pas été homologué’’, précise le magistrat Ndary Diop. D’après lui, ce passage au tribunal s’explique par le fait qu’on veut s’assurer que tout a été fait selon les règles établies. ‘’Même si le partage est fait devant l’imam, on doit voir est-ce que ce n’est pas contraire à l’ordre public, comme l’omission d’un héritier. L’imam peut omettre un successible’’, indique-t-il. Le cas échéant, la personne omise peut attaquer cette décision. ‘’Elle va faire opposition’’, déclare le juge. ‘’En tant qu’héritier, si un jour vous découvrez que vos cohéritiers ont un jugement d’hérédité dans lequel votre nom ne figure pas, vous pouvez attaquer ce jugement par la loi de tierce opposition pour que vous soyez incorporé dans ce jugement’’, renseigne-t-il. Cependant, si cet héritier veut remettre en cause le partage, il a intérêt à faire vite.
En effet, en cas d’existence d’un jugement d’hérédité, s’il attend que les délais d’appel et d’opposition expirent, il perd la partie. Seules les personnes bénéficiaires de l’héritage seront considérées comme des héritiers. ‘’Parfois, l’imam peut ignorer cet aspect, parce qu’il n’a pas de contrainte’’, relève le juge.
La différence de parts entre l’homme et la femme
S’il est vrai qu’il y a une différence entre le droit positif et le droit musulman, il n’en demeure pas moins qu’ils se recoupent sur bien des points. C’est le cas, par exemple, du système de partage. ‘‘Au tribunal, la transmission est la même pour les musulmans, sauf quelques distinctions que sont l’enfant naturel et la différence de parts’’, précise Ndary Diop. A preuve, lorsque quelqu’un décède, s’il était marié, l’épouse aura un huitième, s’il a des enfants. S’il n’a pas d’enfant, la femme aura un quart. Si c’est la dame qui est décédée, de deux choses l’une : le conjoint aura un quart, si elle n’a pas laissé d’enfant ; et il aura la moitié si elle (la défunte) en a laissé, même si ce n’est pas celui du mari.
Parmi les points de divergence entre les deux droits, il y a la place des parents. Au Sénégal, ils sont partie intégrante de la succession. ‘’En droit commun, ils n’héritent pas. Mais, en droit musulman, et en droit musulman sénégalais, précisément dans le Code de la famille, le père et la mère héritent. En aucun cas, on ne peut pas les exclure de la succession. Sauf s’ils sont les auteurs de la mort de la personne’’, fait remarquer le juge.
La différence des parts entre l’homme et la femme est aussi un autre point de divergence qui s’explique, selon Ndary Diop, par une longue histoire. ‘’On a toujours considéré que la femme est entretenue soit par son mari, soit par son père, soit par ses frères. Elle ne supporte pas la dépense. C’est dans le comportement naturel d’un couple musulman, d’un couple sénégalais en particulier. C’est l’homme qui fait tout. Même le Code de la famille dit que les charges pèsent à titre principal sur le mari. Donc, vaut mieux lui donner (la femme) une partie inférieure. Mais s’ils sont d’accord, on peut transmettre l’héritage à parts égales. L’islam ne s’y oppose pas, s’ils s’entendent’’, souligne celui qui, par ailleurs, est un imam.
A propos des documents que les justiciables doivent apporter au tribunal pour obtenir un jugement d’hérédité, l’homme de droit affirme que tout dépend de la personne qui est décédée. Si c’est le père de famille, il faut qu’on apporte d’abord le certificat de décès. Pour l’épouse, pour prouver sa qualité d’héritière, elle doit produire le certificat de mariage, puis le certificat de naissance des enfants ainsi que des témoins qui vont fournir leur carte nationale d’identité.
L’équation de l’enfant né hors mariage
En outre, l’enfant né hors mariage est également une équation dans la succession. Lorsqu’il s’agit du droit musulman, cet enfant n’est pas considéré comme un héritier. Mais, au tribunal, c’est-à-dire dans le droit positif, il hérite. ‘’Cela est une incompréhension, parce que l’enfant naturel n’est pas considéré comme héritier. C’est quelqu’un qui a une part, parce qu’il a un lien de parenté avec la personne décédée et l’islam ne reconnait pas cet enfant. Mais il y a des interprétations. Certains disent que, même si au moment de l’héritage (la personne avant son décès peut dire qu’il a un fils qui est né hors mariage), la famille peut s’arranger à lui donner quelque chose, comme on dit : les ‘’sutura’’, pour éviter de ternir l’image du défunt. C’est possible’’, fait-il remarquer. Dans ce cas de figure, précise-t-il, il ne s’agit nullement de l’héritage, mais d’un arrangement. ‘’Quand même, il y a quelques interprétations avec des gymnastiques intellectuelles pour accueillir l’enfant dans la succession. On peut avoir la surprise d’entendre qu’un enfant qui n’est pas né dans les liens du mariage puisse hériter. Mais ce sont des cas très rares’’, souligne-t-il. Lorsqu’il s’agit de la mère, par contre, l’enfant né hors mariage hérite, en droit musulman comme en droit positif.
Lenteurs dans les dossiers de succession devant le tribunal
Au vu de toutes ces équations difficiles à résoudre et sources de conflits, certains sont tentés par une gestion commune du legs. Très souvent, les héritiers rechignent, par exemple, à vendre la maison familiale pour en faire un patrimoine commun ou pour respecter la recommandation du père. Mais le juge et imam estime que la meilleure solution est de procéder au partage. ‘’Tant qu’ils restent en paix, il n’y a pas de problème, mais cela ne peut pas durer, parce que même si ces personnes s’entendent, demain, elles auront des enfants qui pourront ne pas s’entendre. Il faut faire le partage le plus vite possible, sinon, il y aura d’autres problèmes qui viendront se greffer encore dans la gestion des biens. Et ça complique les choses’’, avertit-il. N’empêche, si les successifs veulent rester dans l’indivision, la loi ne leur impose pas le partage, précisent des juristes.
Il est à noter que le problème de succession se pose davantage, lorsque le défunt a laissé une fortune. Les dossiers des grandes familles comme celle de Ndiouga Kébé qui ne sont pas toujours liquidés en sont des exemples patents. ‘’Des affaires durent pendant des années au tribunal, parce que les héritiers ne parlent pas le même langage’’, relève-t-il. Des lenteurs qui s’expliquent, selon lui, par des ‘’ramifications’’. ‘’La personne peut introduire un dossier de liquidation de succession et il y aura d’autres procédures qui vont s’y greffer. Par exemple, un des héritiers peut venir pour dire qu’il occupe une des maisons et veut qu’on la lui attribue à titre préférentiel. Et là, c’est une autre procédure. Pour les cas d’omission aussi, le juge est obligé d’attendre’’.
Toutes choses qui font dire à Ndary Diop que vaut mieux ne rien laisser sur terre. Et ainsi, ‘’chacun va s’occuper de ses problèmes pour avoir ses propres biens’’.
En tout état de cause, l’essentiel est de faire le partage de la succession entre les ayants droit. Le testament avant le décès est encore mieux. L’islam recommande d’ailleurs de le faire chaque jour ou chaque mois, jusqu’à l’heure de la mort. Mais il faudrait que les héritiers soient d’accord sur cet acte, après le décès du testamentaire.
Comme quoi, la succession n’est jamais facile, sauf s’il y a des miettes à se partager.