La prolifération des chaînes de télévisions engendre une rude concurrence pour attirer les téléspectateurs. Dans cette féroce bataille, les télés font recours de plus en plus à la production externalisée pour étoffer leurs contenus programmatiques.
Si l’externalisation de la production est une pratique bien établie en Europe ou en Amérique, en Afrique par contre elle s’effectue encore de façon timide. Les télévisions y manquent de moyens techniques, financiers et de ressources humaines qualifiées, pour produire des documentaires, des téléfilms, des séries et autres productions du genre. Du coup, les talk show et plateaux occupent la grande partie des plages programmatiques. Le Sénégal qui, ces dernières années, connaît une inflation de télévisions privées, est confronté au même problème de contenu. Pour pallier ces insuffisances, l’externalisation de la production s’impose comme solution. «Grand rendez-vous», «Dinama nekh», «Style et mode», «Un café avec», etc. sont des produits typiquement externalisés. Pour le moment, nombre de ces émissions gardent un caractère hybride. C’est le cas du Grand rendez-vous, qui est une co-production de la 2stv et d’une structure dénommée Aldemba-productions. Selon Alioune Ndiaye, directeur de la maison Aldemba-productions et par ailleurs présentateur de l’émission, «la 2stv gère uniquement la partie technique». Concernant les moyens financiers permettant la réalisation de l’émission, ils sont à la charge de la maison productrice. «Pendant la première saison, nous avons dépensé 40 millions de FCfa, répartis dans différentes rubriques», nous révèle-t-il. Toutefois, lors de la deuxième saison, les dépenses de la maison Aldemba-productions ont été atténuées, grâce notamment à l’appui des sponsors. N’empêche, chaque épisode continue de coûter un million de FCfa et de grever le budget de la maison de production. En dépit du succès enregistré, le Grand rendez-vous n’est rentable que pour la télévision. Cette dernière en tire un profit colossal en termes de taux d’audience. «Même si l’émission est classée la meilleure du paysage médiatique, elle n’est rentable que pour la télévision et non pour notre maison de production», fait remarquer M. Ndiaye. Ce constat sur les contraintes budgétaires relatives à la production est partagé par Moïse Ambroise Gomis, l’un des précurseurs de la production externalisée au Sénégal. D’après lui, «le coût d’une émission varie entre 500.000 et 10 millions Cfa. Mais, s’il s’agit d’une série de 12 épisodes, cela peut coûter excessivement cher». A l’en croire, pour faire une émission, c’est le promoteur lui-même qui déploie tous ses moyens matériels et financiers. Ce qui fait que beaucoup de producteurs externes se sont retirés, à cause de cette lourde charge. «Parmi les gens qui faisaient ce métier, bon nombre d’entre eux ont laissé tomber et louent désormais leur matériel à des entreprises françaises, qui viennent pour réaliser un reportage ou documentaire. D’autres ont tout simplement préféré vendre leur matériel», informe-t-il.
De même, El Hadj Mamadou Niang plus connu sous le nom de Leuz, réalisateur et producteur, relève de son côté des problèmes liés au secteur. Il fait remarquer qu’à cause de la cherté de la production externe, les télévisions préfèrent chercher des sponsors ou des collaborateurs avant d’acheter un produit. «Cela coûte très cher, mais depuis 2008-2009 ma principale option est de produire pour le Sénégal afin d’apporter ma contribution dans l’amélioration des contenus programmatiques», soutient-il. Et d’ajouter : «d’habitude mes produits innovent ou tentent d’améliorer les programmes des télévisions. J’essaie toujours de relater le vécu des Sénégalais, voire des Africains de manière générale».
Malgré leurs efforts, les promoteurs de la production externalisée constatent avec amertume que les télévisions jettent leur dévolu sur les téléfilms venus de l’étranger. «Les télévisions préfèrent acheter des films brésiliens ou américains pas très ambitieux, en lieu et place de ceux produits localement», se désole Leuz. Selon une information relayée dans les médias, un organe comme la «RTS dépense à peu près 50 millions Cfa par année pour acheter des séries américaines». Face à cette concurrence, peu de place est faite à la production externalisée.
Pourtant, renseigne Moïse Ambroise, la Rts a expérimenté ce mode de production en confiant ses programmes de théâtre à des professionnels. Mais, elle a aujourd’hui abandonné cette option. Moïse explique la faible commande des télévisions auprès des producteurs par un manque de confiance. L’autre contrainte qu’il soulève porte sur le non respect des heures de diffusion. «Les télévisions, dit-il, ne respectent pas le timing demandé. Elles balancent les éléments sans aucun contrôle et cela nous porte préjudice». Avec une riche expérience de huit années de production, Moïse connaît mieux que quiconque ce secteur. Il a réalisé plusieurs concours de beauté (Miss Sénégal, Miss Diongama) et des émissions de mode (Style et mode, Rendez-vous du samedi, etc.). Son expérience lui permet d’affirmer que les directeurs de télés sont souverains et ne se plient guère aux dispositions du contrat signé avec le producteur.
Pour se conformer aux contraintes du marché, Leuz a, pour sa part, opté pour la diversification de ses produits (des téléfilms, des documentaires, des sketchs, etc.) afin d’attirer le plus de clients. Une stratégie payante puisqu’il a réussi à vendre ses produits à divers clients au Sénégal et… à l’étranger. «J’ai vendu à ARTE, une chaîne européenne, un de mes documentaires sur les inondations dans la banlieue sénégalaise. Par la suite, j’ai donné gratuitement le film à la 2stv pour qu’il le diffuse», explique-t-il.
Mais l’arrivée du numérique risque de corser davantage la situation déjà bien difficile qu’affronte la production audiovisuelle externalisée. Avec le basculement qui va donner au Sénégal la capacité de se raccorder à une foultitude de canaux, l’on assistera inéluctablement à une bataille du contenu. Où les moins offrants seront purement et simplement laissés sur le carreau. Dans cette guerre sans merci des contenus, seule la qualité fera la différence.
