Depuis quelques semaines, des Dakarois s’opposent au projet de construction de l’ambassade de Turquie au Sénégal sur la corniche, en particulier sur le terrain attribué et délimité par un mur. Randonnée, port de brassard, pétition, point de presse, tous les moyens sont utilisés pour se faire entendre.
Ils sont nombreux les Sénégalais qui ne semblent pas voir d’autres constructions sur le domaine maritime. Hier, lors d’un point de presse, l’Association pour la défense du littoral (Adl), a réitéré son refus de voir ce projet aboutir. Selon les membres de cette organisation, près de « 100.000 m2 ont déjà fait l’objet d’attribution ». « Les ressources littorales sont limitées et fragiles. Tout le monde doit s’impliquer pour la protection du patrimoine commun pour un développement durable de la zone côtière terrestre et marine », a dit Woré Gana Seck, directrice de Green Sénégal. « L’obligation faite aux services de l’Etat et aux promoteurs d’évaluer l’impact environnemental et social des projets fonciers du domaine national et de construction en zone littorale est, hélas, souvent ignoré », ajoute-t-elle.
Quant à Abdou Karim Touré, membre de la plateforme, il a indiqué que la suppression des rares espaces verts publics littoraux de Dakar dégrade le cadre de vie des populations. La proportion d’espaces verts de Dakar est déjà très inférieure aux moyennes préconisées. L’Adl a produit un mémorandum dans lequel elle demande « l’adoption de la loi sur le littoral, l’audit des opérations immobilières, la résiliation des autorisations, baux et titres délivrés irrégulièrement ». Elle exige également « la facilitation de l’accès à l’information publique et l’amélioration de la transparence dans la gestion du littoral ».
Pétition sur le réseau social
Corniche Turquie manifL’Adl dit n’en vouloir à personne, ni aux Turcs ni aux autorités, mais dénonce la cession de parcelles sur le littoral. « Nous n’accepterons pas que l’on privatise le domaine public. Nous nous battrons pour le maintien du littoral. Ce plaidoyer s’est fixé comme unique objectif de défendre les intérêts des populations », a dit Omar Diagne, président de l’Association des volontaires de l’environnement du Sénégal.
Membre de la plateforme, l’architecte Pierre Goudiaby « Atepa » rappelle l’excellence des relations entre la République du Sénégal et celle de Turquie. Mais, « on ne devrait pas pour autant priver à la population dakaroise ces rares espaces de loisirs qui lui restent», a-t-il dit. « Nous réitérons notre attachement à la communauté turque. Toutefois, il s’agit d’enjeux environnementaux et du bien-être des générations présentes et futures », a ajouté Abdou Karim Touré. Les membres de l’Adl ont promis de battre le macadam le 12 avril prochain. La marche prévue samedi ayant été interdite par le préfet.
Certains ont lancé une pétition sur le réseau social Facebook pour exprimer leur opposition au projet. Parmi eux, Demba Makalou. « La semaine dernière, nous avions initié une petite randonnée avec le port de brassard vert pour demander la protection du littoral. Nous n’avons pas voulu porter de brassard rouge qui est très contestataire, mais vert pour montrer que nous sommes des citoyens engagés, respectueux des lois, mais qui veulent que le domaine public maritime soit préservé », a fait remarquer M. Makalou.
Et de marteler : « Nous sommes contre toute aliénation de l’espace maritime, l’octroi de baux pour des constructions en dur » ; tout en rappelant que ce domaine est protégé par la loi. Il a noté, pour le regretter, l’adoption de lois de déclassification par l’ancien régime. Il demande aux nouvelles autorités de penser aux générations futures (développement durable). Selon Demba Makalou, le littoral joue un rôle d’équilibre durable et invite l’Etat à écouter le peuple.
Oumar BA
MME Z. SIBEL ALGAN, AMBASSADEUR DE LA TURQUIE AU SENEGAL: « C’EST UN PROTOCOLE D’ÉCHANGE DE PARCELLES ENTRE ANKARA ET DAKAR »
Ambassadrice TurquieLe terrain de la corniche ouest, objet de la polémique, a été attribué à la Turquie par l’Etat du Sénégal dans le cadre d’un protocole d’échange de parcelles entre Ankara et Dakar, a précisé l’ambassadeur Mme Z. Sibel Algan. Elle a promis qu’une chancellerie sera construite dans ces lieux, en respectant les normes de l’environnement et du domaine du littoral.
L’attribution d’un terrain à l’ambassade de Turquie à Dakar sur la corniche ouest, pour la construction d’une chancellerie, a poussé des défenseurs du domaine du littoral à sortir dans la rue pour dénoncer le projet. Mais, Son excellence Z. Sibel Algan, ambassadeur de la Turquie au Sénégal, a fait des précisions dans un entretien qu’elle nous a accordé. « Nous n’avons pas acheté ce terrain. Il nous a été attribué dans le cadre d’un protocole d’échange de terrains entre Ankara et Dakar », a-t-elle informé.
Elle a expliqué qu’au moment où son pays cherchait un terrain pour construire une chancellerie à Dakar, le Sénégal avait aussi besoin d’une parcelle dans son pays pour construire son ambassade à Ankara. « Les deux pays ont signé alors un protocole d’échange de terrains. C’est dans ce cadre que l’Etat du Sénégal nous a proposé plusieurs terrains et nous avons accepté celui de la corniche qui va nous permettre de construire une chancellerie digne de la coopération sénégalo-turque », a dit Mme l’ambassadeur. Elle a indiqué que si son pays a choisi le terrain de la corniche, c’est parce qu’il a pensé qu’une ambassade doit être implantée dans un endroit fréquenté et accessible. Il s’y ajoute une question de visibilité. Mme Algan a informé que les locaux qu’occupe actuellement l’ambassade ne permettent pas d’accueillir les demandeurs de visas, composés d’hommes d’affaires, de chefs religieux… «Nos locaux actuels sont étroits. Les demandeurs de visas et autres visiteurs restent dehors sous le soleil – même quand il pleut – à attendre. La construction de cette chancellerie est une manière, pour nous, de rendre service aux Sénégalais, car ils auront une salle d’attente et d’autres infrastructures d’accueil», a-t-elle expliqué, insistant sur l’accessibilité qui a également guidé le choix de ce site.
Mme Algan a précisé que ce terrain n’a pas été attribué par la mairie de Dakar, mais bien par l’Etat. Elle a rappelé que la Turquie a aussi attribué un terrain au Sénégal de la même valeur pour la construction d’une ambassade à Ankara. « Ceux qui dénoncent ce projet doivent arrêter de le faire et respecter ce protocole d’échange de terrains signé entre les deux Etats. C’est pour cette raison que nous n’envisageons pas de l’abandonner. D’ailleurs, les chantiers seront bientôt lancés. Car, nous avons reçu du ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat le permis de construire», a informé l’ambassadeur de la Turquie au Sénégal. «Pour le moment, nous sommes encore dans la phase de préparation de ce projet. Je ne peux pas vous donner la date exacte du démarrage des travaux de construction. J’espère que ce sera pour bientôt », a-t-elle ajouté.
Le littoral sera protégé
Mme l’Ambassadeur a promis que le littoral sera bel et bien protégé. Toutefois, elle a dit ne pas comprendre l’acharnement de certains Sénégalais contre le projet de construction de la chancellerie alors qu’il existe d’autres bâtiments sur le site. « Je comprends que les gens sortent dans la rue pour demander que l’on protège le domaine maritime. Mais ce qui me pose problème, c’est que tout au long de la corniche, il y a des immeubles. Pourquoi, tant de commentaire sur notre projet de construction, en particulier le mur qui délimite notre terrain. Le terrain mis à la disposition de la Turquie est nu. Il n’y a même pas de verdure. En plus, il est éloigné de la mer, les populations pourront continuer, après la construction, à mener leurs activités. La chancellerie n’empêchera pas les gens d’accéder à la plage. Mieux, nous allons embellir les lieux. Il y aura des aménagements qui respecteront les normes de l’environnement», a dit l’ambassadeur. « Sincèrement, nous ne construisons pas cette chancellerie dans le but de faire du tort, mais pour faire bénéficier aux Sénégalais nos services », a déclaré Mme l’ambassadeur.