830 000 cartes biométriques en souffrance lors des dernières Législatives, confection actuelle de pièces d’identité à l’arrêt, saisie de données truffées d’erreurs, prochaines joutes électorales...Autant de sujets que le commissaire divisionnaire de classe exceptionnelle, directeur de la Direction de l’automatisation du fichier (DAF), Ibrahima Diallo, a tenu à aborder hier avec EnQuête pour éclairer sur les tenants et les aboutissants d’un processus très décrié.
Depuis les Législatives du 30 juillet 2017, le débat sur les cartes d’identité biométrique s’est un peu refroidi. Quelle est la situation actuelle ?
Au moment des élections nous avons enrôlé un peu plus de 6 400 000 électeurs. Ces dossiers ont fait l’objet d’un traitement par la suite et il en est sorti un fichier stabilisé à 6 219 437 électeurs. Au moment des élections nous avons produit près de 5 300 000 cartes qui ont été mises à la disposition des autorités administratives pour le Sénégal et des consulats généraux pour l’étranger. Elles ont permis à 54% de Sénégalais de voter, soit près de 3 300 000, ce qui est supérieur aux 34% des Législatives de 2012. Nous considérons donc que le travail a été fait. Il se trouve qu’au moment des élections, il nous restait quelque 830 000 cartes non éditées que nous nous sommes attelés à éditer aussitôt après les élections. Elles ont toutes fait l’objet d’édition et mises à la disposition des préfets et sous-préfets sur l’ensemble du pays. Aujourd’hui, elles sont distribuées. La moitié est localisée dans la région de Dakar. Nous avons jugé utile, au mois d’octobre, de renforcer les commissions de distribution dans la région. Mais avant cela, la DAF a envoyé des agents en appui, sur instruction du ministre, dans les préfectures et sous-préfectures pour trier les cartes, pour qu’elles soient plus faciles à retrouver. Pour Dakar, nous avons créé 33 commissions à raison de 8 commissions dans le département éponyme, 17 dans le département de Pikine, et 8 pour Guédiawaye. A Rufisque, le préfet avait déjà créé 22 commissions à raison d’une par commune. La distribution se fait correctement.
Il y a eu de nouveaux dépôts depuis la fin des élections, le 16 août 2017. Mais aucune de ces nouvelles cartes n’a manifestement été produite. Qu’est ce qui bloque ?
Nous avons commencé à enrôler les Sénégalais qui ne sont pas électeurs. Dans les centres de dépôt que sont les commissariats de police, ce sont des cartes d’identité sans données électorales. Soit il s’agit de Sénégalais qui n’ont pas 17 ans ou des Sénégalais qui veulent juste une carte d’identité sans être intéressés par la question électorale. Etant entendu que le fichier électoral va être de nouveau rouvert en février 2018 dans le cadre d’une révision exceptionnelle qui précédera les élections, Présidentielle et Locales de 2019, nous avons tenu à les séparer des dossiers de cartes d’identité sans données électorales de celles qui en contiennent.
C’est ça qui explique que quand nous avons commencé à enrôler au mois d’août dernier, nous avons demandé aux commissariats d’attendre que le gros des stocks des cartes d’identité soit remis aux propriétaires avant de commencer à produire à nouveau les cartes d’identité. Depuis la semaine dernière, nous avons commencé à saisir les dossiers de cartes qui nous parviennent des commissariats et nous sommes dans le processus de les valider, les produire et les distribuer aux différents intéressés. Nous allons d’ailleurs continuer l’ouverture des centres de dépôt.
Aujourd’hui, nous en avons dans chaque département où il y a un commissariat de police, jusqu’à Kédougou. Le mois prochain, nous allons dans les sous-préfectures qui sont également des centres de dépôt. Nous faisons le point chaque lundi. Avant-hier, nous avons reçu 16 944 parmi lesquels, il y a 109 corrections, 137 duplicata et 87 rejets. Il y a donc pratiquement 17 000 dossiers de cartes d’identité de non-électeurs qui sont en traitement.
On dénonce en sourdine la double saisie qui serait à l’origine de tous les ratés dans la confection des cartes. En quoi est-ce problématique ?
Il n’y a pas de double saisie. Dans les commissariats, le centre de dépôt, on rentre les données d’Etat-civil. Ensuite on joint l’extrait de naissance de la personne et on prend les données biométriques (empreintes, photo...) et nous recevons le dossier physique où il y a l’extrait, le certificat de nationalité, et éventuellement le certificat de résidence, avec les données d’Etat-civil qui sont saisies dans la machine directement connectée au serveur de la DAF. Quand les dossiers arrivent, nous faisons un premier contrôle et ensuite, on s’assure sa validité (extrait original, signature, photo).
Une fois que ce premier contrôle en entrée-sortie est effectué, nous constituons des lots de 50 et faisons des saisies de bordereau. Le dossier doit être suivi depuis son numéro de bordereau jusqu’à l’archivage. Quand ça arrive à l’atelier de saisie, ce n’est pas une saisie qui est faite en tant que tel, mais un contrôle. On rentre le numéro d’identification national NIN et le dossier qui a été saisi au commissariat s’affiche sur l’écran de l’opérateur. Ce dernier vérifie la conformité des données entre le commissariat et celles qui sont sur l’extrait. C’est donc un contrôle de la saisie du commissariat. Une fois fait, on fait entrer ce dossier dans la chaîne de contrôle des empreintes. Si ça passe cette étape sans doublon, l’opérateur de validation reprend la main pour valider le dossier qui est ainsi bon pour la salle de production
Le contrat du sous-traitant d’IRIS, Synapsis, était censé prendre fin à la fin des Législatives. Pourquoi ce n’est pas toujours le cas ?
Synapsis a cessé ses activités en 2001 en même temps que Delarue et Eastshore, dans le cadre du projet de cartes d’identité numérisées. C’est eux qui ont fait le travail depuis 2006 mais le contrat est arrêté avec cette société. L’Etat a confié le projet de cartes d’identité biométriques à la société IRIS qui fait les passeports. Cette dernière avait l’obligation de prendre un sous-traitant sénégalais pour gérer les données de citoyens sénégalais sur le sol sénégalais. Donc IRIS a choisi une société sénégalaise qui travaille sur ce sujet depuis le début du millénaire. Ce sont des ingénieurs sénégalais et ils gèrent le volet électoral et les données des Sénégalais sur le territoire national. C’est donc un nouveau contrat qui lie Synapsis la Sénégalaise à la société malaisienne IRIS. Ce n’est pas un contrat qui les lie à nous mais une sous-traitance qui est bien mentionnée dans le marché qu’Iris a signé avec le gouvernement du Sénégal. D’ailleurs le jour où le Président est venu lancer le projet, il a dit que ce qui devait rassurer les Sénégalais est le fait que leurs données ne soient pas exportées mais gérées par une société sénégalaise.
La distribution des cartes lors des dernières Législatives a été un vrai casse-tête et le problème n’est toujours pas résolu.
Je considère, pour nous les techniciens, que la mission qui nous a été confiée a été bien remplie. Il y a eu deux refontes dans l’histoire de la CNI. Celle de 2006 pour les cartes numérisées qui a duré 17 mois pour enrôler 4 900 000 électeurs. La refonte de 2016 qui a lancé les cartes biométriques a duré six mois. Le lancement a été fait en novembre 2016 pour être arrêté le 23 avril 2017. Dans cette période, nous avons enrôlé 6 400 000 Sénégalais. Donc en un temps plus court, nous avons fait plus. Une fois cet enrôlement fait, nous avions aussi l’obligation de produire toutes ces cartes. Au moment où nous avons arrêté, en avril, le temps de recevoir les dossiers et faire ça en juillet, nous n’avions pratiquement que deux mois. En deux mois, nous avons produit 5 300 000 cartes mises à la disposition des autorités administratives et des consulats. Au moment des élections, on peut considérer que 80% des cartes ont été distribuées. Après le scrutin, nous avons repris la production pour faire plus de 830 000 cartes mises à la disposition des autorités dès septembre pour distribution.
Nous continuons à recevoir des réclamations pour les erreurs matérielles qui procèdent d’erreurs de saisie. Si on se trompe d’un chiffre sur la saisie, ça peut renvoyer vers une femme alors que c’est un homme ou vice-versa. Il y a aussi des erreurs d’orthographe et d’adresse électorale ; en tout état de cause, il y a une procédure en cours, les gens peuvent aller dans les centres de dépôt pour leurs réclamations. Toutes les semaines, nous recevons ici des réclamations pour traitement.
Il arrive également qu’on dise que votre carte est prête à la sous-préfecture de Thiénaba où vous ne la trouvez pas. Nous nous adressons dans un premier temps aux autres circonscriptions administratives pour savoir si un dossier de Thiénaba n’est pas à Bignona. Nous avions pris également 3 000 vacataires qui ont procédé à un tri et il se peut qu’il y ait des problèmes d’erreurs de destination. Quand ces cartes nous reviennent, nous les trions et les envoyons dans le bon sens. Si ce n’est pas le cas, ils font une liste qu’ils envoient à la DAF. On regarde, si on ne la trouve pas, on la réédite. Il y a une procédure pour traiter les réclamations ; il y a un appui aux commissions de distribution, principalement à Dakar et dans les autres arrondissements de tout le pays.
La marge de manœuvre d’ici aux élections de 2019 est assez conséquente. Est-ce qu’on peut avoir l’assurance que la question des cartes ne sera pas aussi litigieuse que pour les Législatives passées ?
Nous sommes en train d’évaluer avec la classe politique, dans le cadre des concertations avec le ministre de l’Intérieur, pour évaluer toutes les étapes du processus des élections législatives. Ce sera pour nous l’occasion de lister tout ce qui a pu être noté comme dysfonctionnements et difficultés. L’objectif du ministre de l’Intérieur est qu’au plus tard, en juillet 2018, tout ce qui est carte nouvelle aura été produite. A partir du 15 février prochain on va rouvrir les listes pour deux mois ici et à l’étranger. Le temps de recevoir les dossiers, de traiter les contentieux etc.. En juillet, nous espérons avoir terminé toutes les cartes et nous aurons un minimum de six mois pour les distribuer avant la Présidentielle de 2019. C’est notre objectif.