Le tollé créé par la concertation à laquelle le ministère de l’Intérieur convie, aujourd’hui à Dakar, l’ensemble des acteurs politiques, relève tout simplement de la surenchère politique. C’est du moins l’avis de Benoît Sambou. Selon le chargé des élections de l’Alliance pour la République, le pays n’est ni en crise institutionnelle ni en crise économique, encore moins sociale. Raison pour laquelle il estime, dans cet entretien avec EnQuête, que le dialogue ne saurait être une exigence politique.
Le ministère de l’Intérieur tient aujourd’hui avec les partis politiques légalement constitués des concertations autour du processus électoral. Quel est, selon vous, l’enjeu de cette initiative ?
C’est une concertation habituellement organisée par le ministère en charge du processus électoral. Il s’est souvent agi pour le ministre de l’Intérieur, quand il y a des questions importantes qui touchent le processus électoral, de convoquer les différents acteurs politiques et sociaux aux fins d’échanger sur la mise en œuvre des éléments constitutifs de la loi électorale. Cela relève d’un exercice normal dans une démocratie qui se respecte. Qu’il s’agisse des élections locales, législatives ou présidentielles, c’est dans le code électoral que sont établis les éléments d’organisation de ces scrutins.
C’est donc tout à fait normal que le ministre de l’Intérieur, à la veille de chaque échéance électorale, convoque les acteurs pour discuter avec eux de ce qui va être fait. N’oublions pas que nous sommes à la veille de la Présidentielle de 2019. En début 2018, autour du mois de février, il y aura la révision des listes électorales. Toutes choses qui font qu’il est aujourd’hui important que les acteurs puissent discuter. Nous l’avons fait à la veille des élections législatives de 2017. Ce qui a d’ailleurs engendré la mise en place d’un comité chargé de discuter sur le code électoral et qui a permis les modifications que nous avons eues sur le code et sur la refonte du fichier pour mettre en place la nouvelle carte d’identité et d’électeur.
Beaucoup d’acteurs du jeu politique assimilent ces concertations à un dialogue politique et refusent d’y participer. Quelle appréciation faites-vous de tout cela ?
On peut l’appeler dialogue. Mais je considère qu’il y a des erreurs d’appréciation que les uns et les autres font. Il faut ramener cette rencontre à sa juste valeur. Elle n’est pas plus importante que les autres rencontres que les précédents ministres de l’Intérieur ont eu à organiser. Il est totalement différent du dialogue national qui a été suscité par le président de la République et qui interpelle les Sénégalais autour des questions politiques, sociales, économiques et culturelles. A mon avis, il faut savoir raison garder et considérer que ce qui est organisé par le ministère de l’Intérieur est une concertation qui a toujours eu lieu et qui entre dans le cadre normal de l’organisation des échéances électorales. Il ne faut pas donc lui donner une connotation qu’elle n’a pas. Le ministère de l’Intérieur a l’habitude de convier les acteurs politiques à des concertations. Ceux qui sont intéressés par les prochaines élections présidentielles, qu’ils soient indépendants, de la société civile ou des institutions en charge de l’organisation, de la supervision des élections ou de la proclamation des résultats, tous sont concernés par cette rencontre et ils devraient y participer.
La plupart des partis de l’opposition dite significative ont décidé de boycotter cette rencontre. Cela pourrait-il, selon vous, porter atteinte au processus électoral ?
Ecoutez ! À la veille des élections législatives de 2017, après la concertation qu’il y a eue autour du comité technique de révision du code électoral, le ministre de l’Intérieur a mis en place un comité de suivi. Mais ce ne sont pas tous les partis politiques qui ont jugé nécessaire de participer à ce comité de suivi. Pourtant, des élections ont été organisées. Ces mêmes gens qui ne venaient pas siéger au comité de suivi ont participé aux élections. Donc, ce n’est pas un problème. Cela ne peut pas empêcher que les élections ne se tiennent à date échue. Il n’y a aucune crainte par rapport à l’évolution du processus électoral et à l’organisation des prochaines élections. Le contexte politique fait que les uns et les autres font de la surenchère. Quelle que soit la situation, les acteurs qui sont intéressés par le processus électoral se retrouveront et échangeront sur les questions qui touchent les prochaines élections. Le ministère de l’Intérieur, organisateur des élections, avec la Cena et les autres partis politiques, va continuer à dérouler. Maintenant, pour le reste, quand le président de la République jugera nécessaire de re-convoquer les acteurs autour de ce qu’on appelle le dialogue national, je crois que là, les uns et les autres pourront s’exprimer. Pour le moment, vu le débat qui est posé, je pense que nous sommes en train de passer à côté de la réalité des choses.
En tant que parti au pouvoir, qu’attend l’Apr de cette rencontre ?
Comme d’habitude, que nous puissions discuter de certaines questions qui touchent aux candidatures pour les prochaines élections. La question de la caution est importante, elle doit être posée. Les conditions pour les candidats de pouvoir participer à ces élections doivent également être discutées. Il faut également voir s’il y a des éléments à améliorer dans la loi électorale, faire en sorte que le maximum de citoyens puissent avoir sa carte d’électeur. Puisqu’en principe, à la veille de 2019, il n’y aura pas de révision exceptionnelle, l’élection présidentielle devant se tenir normalement au mois de février. Il faudrait donc que tous ces éléments soient discutés avec le ministère de l’Intérieur et éviter les désagréments qu’on a pu connaître dans la distribution et la confection des dernières cartes électorales.
Est-ce que le boycott de ces concertations ne mène pas tout droit vers des contestations futures ?
La constitution et le code électoral du Sénégal contiennent en leur sein les éléments constitutifs de l’organisation des élections. Ce sont des choses qui existent depuis belle lurette. Il y a eu toujours de grands consensus autour du code électoral. Jusqu’ici, il n’y a pas de contestation majeure sur la loi électorale, puisque tous les acteurs se sont mis ensemble pour la rédiger. A ce niveau, ce qui est important est que nous puissions continuer à avancer et que le ministère de l’Intérieur, la Cena et tous les autres organes qui interviennent dans le processus électoral puissent jouer leurs rôles et faire en sorte que les élections se tiennent à date échue. A mon avis, la manière dont la question a été posée, c’est faire croire qu’il y a une crise. Au Sénégal, il n’y a pas de crise institutionnelle, politique ou économique. Le dialogue ne saurait être une exigence politique. Cela d’autant plus que le Président Macky Sall a institué le dialogue en mode de gouvernance. Pour preuve, il travaille tout le temps à de larges consensus dans l’organisation des responsabilités au sein du gouvernement et de toutes les autres institutions telles que l’Assemblée nationale, le Haut conseil des collectivités territoriales etc. Le dialogue est donc une réalité au Sénégal, depuis l’avènement de Macky Sall.
Certains partis et coalitions posent la libération de Khalifa Sall comme une condition sine qua non au dialogue. Qu’en pensez-vous ?
Il ne s’agit pas confondre les choses, encore une fois. Il s’agit aujourd’hui de voir dans quelle condition nous devons organiser la prochaine élection présidentielle. Pour le reste, ce sont des revendications politiques d’un autre ordre. Les gens ont la liberté de prendre des positions politiques sur des questions précises. A ce que je sache, Khalifa Sall était en prison et pourtant, les élections législatives ont eu lieu et les gens y ont participé. Donc, je pense que c’est de la surenchère politique qui ne saurait remettre en question l’évolution du processus électoral.
Vous venez d’être nommé par le président de la République à la tête de la CNDT. Quels sont les chantiers sur lesquels vous comptez mettre l’accent ?
D’abord je remercie le président de la République pour la confiance qu’il a eue à porter à ma modeste personne, pour conduire les destinées de la Commission nationale de dialogue des territoires. Il y a des missions qui sont dévolues à cette commission, notamment d’assister le président de la République dans l’élaboration de mécanismes de coopération territoriale, accompagner et aider le gouvernement dans ses rapports avec les différentes collectivités, à travers la mise en œuvre de groupement d’intérêts territoriaux etc. Il s’agit aujourd’hui de nous imprégner et d’être dans la continuité de ce que feu le président Djibo Leyti Kâ a déjà fait, notamment la proposition d’une loi régissant l’intercommunalité.
Il faut travailler à ce que cette loi puisse être adoptée par le gouvernement et votée à l’Assemblée nationale. Mais aussi, faire en sorte que cette commission soit beaucoup plus opérationnelle et qu’elle soit vraiment au service des collectivités, dans le cadre de la mission qui nous a été dévolue par le président de la République. Il faut faire en sorte qu’elle puisse mobiliser tous les acteurs locaux, sociaux et institutionnels autour des questions qui interpellent les collectivités territoriales. Puisque l’Acte 3 de la décentralisation est un des éléments constitutifs des politiques publiques. Le président de la République tient à ce que les collectivités territoriales puissent bénéficier de manière efficiente des retombées du PSE et de participer de manière effective à la mise en œuvre de ce plan. Il faut faire en sorte que le PSE puisse être largement partagé.
Que répondez à ceux qui pensent que cette commission est un sosie du Haut conseil des collectivités territoriales ?
Vous savez, le dialogue des territoires est aujourd’hui une réalité sociale, économique, politique et culturelle. En France, vous avez vu que le Président Macron, dès son accession au pouvoir, a convoqué une grande concertation nationale sur le dialogue des territoires. Aujourd’hui les territoires sont une réalité dans le processus de développement des nations. Ceux qui le disent ne savent pas trop la mission de la CNDT. C’est à nous de faire en sorte que les missions de cette commission puissent être mieux appréhendées pour qu’il y ait une large appropriation du travail qui est fait.
PAR ASSANE MBAYE