Dédier une journée mondiale à des toilettes peut sans doute prêter à sourire. Et pourtant, la question cache une réalité préoccupante qui relève à la fois de la santé publique et de la dignité humaine. Selon l’Onu, 2,4 milliards d’individus dans le monde n’ont pas accès à des installations sanitaires acceptables, malgré les milliards de dollars en jeu. Au Sénégal, la situation est tout aussi alarmante, avec la moitié de la population sans latrines améliorées. Et lorsqu’elles existent… bouchez-vous les narines !
Hier, dimanche 19 novembre, a été célébrée, comme chaque année, la Journée mondiale des toilettes. Cette petite salle combien importante et censée être accessible à tout être humain, reste toujours un luxe pour une frange de la population mondiale. Selon l’Onu, 2,4 milliards de personnes au monde n’ont pas accès à des installations sanitaires améliorées. Une réalité qui n’épargne pas le Sénégal. En 2015, un Sénégalais sur deux n’avait pas accès aux toilettes (49,1 %). Le taux d’accès était de 36,7 % dans le monde rural, selon le directeur de l’Assainissement, Dr Ababacar Mbaye. Autrement dit, 2/3 des villageois n’en bénéficient actuellement pas. Un résultat loin des 63 % fixés en 2000, dans le cadre des Omd et qui a été largement manqué par le Sénégal. En 2005, le chiffre était de 26,2 %, ce qui veut dire que la progression faite en 10 ans a été très faible. Quant aux différents programmes de construction de latrines, ils n’ont pas donné réelle satisfaction, avec uniquement 12,8 % de l’existant à leur actif, en plus d’une répartition déséquilibrée sur le territoire national.
À ce jour, les fosses d’aisance avec dalle restent le principal ouvrage avec 17,5 % en 2015 contre 24 % en 2014. Pendant ce temps, la défécation à l’air libre, observée notamment dans le monde rural, est de 22 %. ‘’On note, avec satisfaction, la baisse de 3,9 points sur le taux de défécation à l’air libre, en 2015. Mais, à l’opposé, une augmentation de l’accès via des latrines traditionnelles dont le ratio passe de 29,2 % en 2014 à 35,6 % en 2015’’, relève la revue annuelle 2016 du Pepam.
Par ailleurs, au-delà de la faiblesse du taux d’accès, il y a un autre point qui préoccupe les autorités en charge de la question : la qualité des installations. ‘’Seuls 47,8 % des ouvrages sont construits avec le recours à une main d’œuvre qualifiée. Alors que le recours assez faible à une main d’œuvre qualifiée pour la réalisation des latrines peut constituer une véritable contrainte à la longue durée de vie des ouvrages et leur non réhabilitation ou renouvellement peut contribuer à la décélération de l’accès des populations à un assainissement amélioré’’, s’inquiète le Pepam.
En fait, l’insuffisance des ressources financières constitue, selon M. Mbaye, le principal facteur explicatif. L’Etat a été certes accompagné par des partenaires, comme la coopération luxembourgeoise, la Banque mondiale ou l’Union européenne, mais, il n’en demeure pas moins que les moyens étaient en deçà des besoins. L’Etat ne pouvait donc pas doter toute la population, ne serait-ce que de latrines améliorées.
Aujourd’hui, les gouvernants semblent avoir compris que la méthode qui consistait à construire pour les populations n’est pas payante. Depuis 2016, une nouvelle stratégie élaborée en 2013 est mise en œuvre. Il s’agit de l’assainissement total piloté par les communautés (Atpc) exécuté sans la contribution financière de l’Etat ou d’un partenaire. ‘’Nous allons impliquer davantage le privé et les collectivités locales, mais surtout responsabiliser les ménages. Ils doivent prendre en charge leur projet d’assainissement. Qu’ils n’attendent plus les subventions. Qu’ils sachent que la question de l’assainissement est aussi la leur’’, souligne le directeur de l’Assainissement.
Dakar, un lieu d’aisance à ciel ouvert
L’une des techniques, explique Baïdy Diop du Service national d’hygiène, consiste à susciter la honte et le dégoût chez la population, en lui faisant comprendre que c’est une question de dignité humaine, avant toute autre considération. Les conséquences sanitaires sont aussi expliquées.
En effet, avec la défécation à l’air libre, on note de nombreux vecteurs de maladies. Après la pluie, le sol est contaminé. Les eaux de ruissellement transportent également les bactéries ; de même que le vent, sans oublier les mouches. Autant de vecteurs qui favorisent les maladies liées au péril fécal. Ainsi, avec des techniques modestes, on arrive à avoir des latrines de base au profit de la famille.
S’agissant du milieu urbain, le taux d’accès à l’assainissement (toilettes, eaux usées…) s’élève à 61 %. En ville, c’est surtout l’évacuation des eaux qui pose problème, avec l’absence ou le caractère défectueux des ouvrages de drainage de celles-ci. Ainsi, dans certains endroits comme Pikine et Guédiawaye, à côté du système d’épuration des eaux usées, il y a la station de traitement des boues de vidange qui est un ouvrage autonome différent de celui dit collectif. Il faut dire que dans la banlieue, se pose un véritable problème d’accès à des toilettes décentes.
C’est ce qui explique d’ailleurs l’intervention de la fondation Servir le Sénégal de la première dame, dans le cadre d’un programme de réhabilitation des lieux d’aisance. Il s’y ajoute que la défécation à l’air libre ne fait peut-être pas l’objet d’une attention particulière en ville, mais ça devient de plus en plus une réalité. A Dakar, par exemple, il suffit de faire le tour du mur de clôture du stade Léopold Sédar Senghor, notamment la partie qui fait face à l’autoroute, pour s’en convaincre. En vérité, du fait de l’inexistence de toilettes publiques et de l’incivisme, tous les coins mal éclairés de la capitale peuvent aujourd’hui servir de lieu d’aisance. Sous les ponts, sur les passerelles, aux ronds-points…
‘’Je préfère attendre la sortie ou bien aller dans les maisons alentour’’
Justement, l’accès aux toilettes ne saurait se limiter à la maison. L’individu en a besoin également dans son lieu de travail où il passe au minimum 8 heures par jour. Or, à ce niveau-là, il y a un véritable problème. Dans plusieurs lieux publics, soit il n’y a pas de toilettes, soit celles-ci sont mal entretenues. En 2016, selon le ministère de l’Education (document), presque la moitié des collèges des régions de Kolda et de Kédougou ne disposent pas de latrines (respectivement de 52 et 56 % de couverture). Dakar et Thiès, qui ont le plus fort taux, sont tous les deux à 94 %. Or, l’absence de Wc est l’une des causes principales de l’abandon scolaire chez les filles.
Et lorsqu’elles existent, l’hygiène des installations devient un problème. Aïda, Awa et Penda sont toutes des élèves au lycée Kennedy. Les trois collégiennes affirment ne pas aller aux toilettes, à cause d’un manque d’hygiène. ‘’J’y suis allée, une fois, mais j’étais obligée de retourner sur mes pas, tellement, c’était sale. Depuis lors, je n’y vais pas’’, soutient Aïda. ‘’Je préfère attendre la sortie ou bien aller dans les maisons alentour, mais jamais dans les toilettes de l’école’’, renchérit Awa. Quant à Penda, elle n’a eu que des échos venant de ses camarades. L’idée d’y aller ne lui traverse même pas la tête. De plus, ce qu’elle entend des élèves ne la rassure guère.
A l’image du Sénégal, les pays développés sont aussi confrontés à la même réalité. En France, par exemple, rapporte ‘’Le Parisien’’, une étude faite en 2013 montre qu’un tiers des élèves, du Cp au lycée, évitent d'utiliser les Wc de leur école. ‘’Toilettes sales, manque d'intimité, zone d'insécurité... Les enfants préfèrent se retenir jusqu'à la fin des cours. Un comportement qui favorise le développement de pathologies : maux de ventre, constipation, troubles urinaires’’, relève le journal.
Au Sénégal, ce même problème d’hygiène se pose dans presque tous les lieux publics. Dans les hôpitaux, les tribunaux, les mairies, les marchés, le personnel et les visiteurs ont très souvent du mal à faire leurs besoins, s’ils en ressentent la nécessité. Nettoyer généralement une fois dans la journée, les sanitaires deviennent impraticables, à certaines heures. Si ce n’est pas des eaux stagnantes, ce sont des bassins remplis à ras bord ou alors une odeur pestilentielle avec parfois des excréments en surface.
4,2 milliards d’euros de pertes en Afrique
Comme au Sénégal, la question de l’accès se pose partout en Afrique, notamment dans la région subsaharienne. Selon ‘’Jeune Afrique’’, la Banque mondiale s’inquiétait, en 2012, de l’impact économique exorbitant, sur le continent, du manque d’assainissement. D’après l’institution de Bretton Woods, ces manquements ‘’coûteraient à une vingtaine de pays 1 à 2,5 % de leur Pib annuel. Soit, au total, près de 4,2 milliards d’euros, si l’on ne tient compte ‘’que’’ des conséquences sanitaires directes sur les populations (décès prématurés, dépenses de santé, etc.). Et il faut ajouter à ce bilan des effets à long terme plus difficiles à évaluer, comme l’apparition d’épidémies, le mauvais développement infantile ou la dégradation de l’environnement’’, note l’hebdomadaire. D’après le journal, c’est uniquement 30 % environ des habitants au sud du Sahara qui ont accès à l’assainissement. Les meilleurs scores venant des pays du Maghreb, notamment le Maroc et la Tunisie.
En fait, l’assainissement a longtemps été mésestimé dans les pays au sud du Sahara. D’ailleurs, presque aucun de ces pays n’a atteint les objectifs visés dans le cadre des Omd. Les autorités considéraient la construction de toilettes comme relevant du domaine privé. Ce qui explique la non-prise en compte de ce volet dans les politiques publiques. Un pays comme le Congo, malgré ses 4 années d’excédent budgétaire, n’a rien fait dans ce domaine, relève ‘’Jeune Afrique’’. Le journal constate tout de même un début de prise de conscience à travers la rédaction de schéma directeur en Cote d’Ivoire, au Niger, au Bénin et au Cap-Vert.
Par ailleurs, même si l’Afrique accuse un grand retard, le problème n’est pas que celui des pays pauvres. Un pays comme la Chine est confrontée au même problème. En 2015, a été lancé un vaste programme de rénovation et d’installation de cabinets avec un budget de plus d’un milliard d’euros, selon rfi.fr. En juin 2017, le programme était presque arrivé à terme, avec 52 485 toilettes publiques réhabilitées ou nouvellement installées. Pourtant, l’investissement, dans ce secteur, est très rentable, selon l’Onu. Lors de la célébration de la Journée des toilettes en 2016, le secrétaire général de l’Onu de l’époque, Ban Ki-moon, affirmait, dans son message, que ‘’chaque dollar investi dans l'eau et l'assainissement rapporte 4 dollars en retombées économiques’’. D’après l’organisation international, en cas d’accès restreint aux toilettes, les travailleurs se retiennent et peuvent aller jusqu’à éviter de manger et boire pour ne pas fréquenter les sanitaires. Ce qui n’est pas sans conséquence sur la performance et la productivité. ‘’Plus que des désagréments et de l'inconfort, cette situation peut avoir des répercussions sur la santé, notamment pour les femmes, et occasionner absentéisme et maladies’’, prévient-elle.
En bref, il y a certes de la dignité humaine dans les toilettes, mais il y a aussi de la santé, de l’économie, de l’emploi et du profit.