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Amath Niang (président de l’ordre des pharmaciens) : ‘’Aucun dépôt ne devrait exister à Touba’’
Publié le jeudi 16 novembre 2017  |  Enquête Plus
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© Autre presse par DR
Le trafic de faux médicaments inquiète de plus en plus




La saisie de médicaments contrefaits devient, de plus en plus, récurrente au Sénégal, surtout dans les villes religieuses. Dans cet entretien, le président de l’Ordre des pharmaciens explique les raisons de ce trafic, avant d’annoncer une plainte contre les contrevenants. Selon Amath Niang, c’est aux autorités politiques et religieuses d’assumer leurs responsabilités. Parce que, non seulement Touba ne devrait pas avoir de dépôt, mais la vente des faux produits constitue un crime organisé.

Quel est votre point de vue sur ce qui s’est passé à Touba ?

Un sentiment de désolation, d’amertume et d’inquiétude anime la profession et toute une population. Parce que, quand un fléau pareil se présente dans un pays, cela met le système mal à l’aise. Un système de santé ne peut prospérer qu’avec une bonne politique du système du médicament. Le médicament se trouve au début et à la fin de tout processus. Il faut un médicament de qualité pour pouvoir garantir la santé des populations. Parce qu’à aller jusqu’à saisir un stock aussi important en médicaments, et ce qui est extraordinaire dans cette affaire, est qu’il ne s’agit pas de bons médicaments.

Des médicaments contrefaits pour une valeur de 1,35 milliard de francs, cela interpelle plus qu’un niveau de la responsabilité de l’ordre. Cela va au-delà même des préoccupations de l’institution que je dirige. Parce que l’ordre a une mission régalienne de santé publique, de réglementation en direction des professionnels par rapport au respect du devoir professionnel. Si, dans un pays, on peut se permettre de saisir une quantité aussi importante de médicaments contrefaits, cela interpelle certaines responsabilités. En plus, cela s’est passé à Touba, qui est considérée comme la deuxième ville du Sénégal. Cela interpelle la responsabilité de l’autorité politique et religieuse. Je félicite la gendarmerie nationale pour sa promptitude, sa vigilance et son professionnalisme. Parce que ce n’est pas évident d’avoir pu arriver à ce résultat.

Que comptez-vous faire ?

Déjà, une première action est menée. C’est de porter plainte contre les contrevenants et que justice soit faite. Parce qu’aujourd’hui le monopole du médicament est de la responsabilité du pharmacien. Il est le seul à qui le législateur a confié la gestion. De ce point de vue, il y a une violation et une infraction. Cela interpelle la justice de notre pays, pour qu’elle soit rendue conformément aux dispositifs législatifs et règlementaires. L’autre action, nous sommes en vue de nous prononcer sur la question, pour attirer davantage l’attention de l’autorité politique, de l’autorité religieuse sur ce danger que revêt le marché public. L’existence des dépôts est à l’origine de tout cela. Parce que ces médicaments ne peuvent être nullement déversés dans le circuit normal. Nous sommes très bien organisés avec des pans de responsabilités, avec une structuration qui permet de transcender et de déterminer la traçabilité du système. Quand un circuit n’est pas bien maitrisé, cela ouvre à des dérives, à des actions que personne ne pourra contrôler. Nous allons faire face à la presse, sous peu, pour mieux nous prononcer sur la question et faire part de notre position.

Le propriétaire des médicaments se réfugie chez son marabout. Et Touba a été épargnée, lors de l’opération de contrôle de trafic des produits médicaux illicite organisée les 6 et 7 juillet dernier. Ne pensez-vous pas que l’histoire se répète ?

La question se situe à ce niveau. Nous devons pointer du doigt là où le problème connait des blocages. Le problème connait de véritables obstacles. Il y a même une ambiguïté, parce que personne ne peut expliquer ce qui se passe. Ce n’est pas dans un souci de préserver un secteur, non, nous sommes loin de là. Nous sommes des citoyens sénégalais et cela est une question de santé publique. Il est de notre devoir d’alerter, d’attirer l’attention de l’autorité politique pour se rendre compte de la nécessité de garantir la qualité de santé des populations. Pour un système réglementaire, un système qui se veut persévérant et performant, on ne doit pas cautionner des actions qui vont à l’encontre de la logique. Aucun dépôt ne devrait exister à Touba.

Ce sont les textes qui l’interdisent. Un dépôt de pharmacie ne peut pas cohabiter avec l’existence d’une pharmacie légalement autorisée et instituée. C’est ainsi que nous devons pouvoir cerner la question. Pourquoi certains médicaments n’ont pas été acheminés vers Kaolack, Thiès et autres régions ? C’est parce que les gens sont clairement édifiés de la possibilité de pouvoir écouler leur stock dans un milieu où le circuit n’est pas sécurisé.

C’est la réalité et cela cause la conséquence de la fragilisation de la santé de ces populations. Nous sommes au regret de constater qu’il n’y a pas mal de maladies chroniques qui se développent à Touba et sont liées à l’utilisation de ces médicaments. L’Etat est en train d’investir beaucoup d’argent pour faire face aux besoins des malades qui souffrent d’insuffisance rénale, parce que tout ceci est lié à l’utilisation de ces médicaments. Là où les gens nous parlent de concept des médicaments de la rue, je dis que ce sont des médicaments de la mort. Les professionnels de la santé, de concert avec les autorités politiques et religieuses, doivent pouvoir initier des actions concrètes, majeures pour pouvoir faire face à ce fléau qui gangrène notre système de santé. Tant que le médicament n’est pas géré de manière rationnelle avec des professionnels à même de pouvoir le contrôler et garantir son efficience et son efficacité, le système va être voué à l’échec.

Comment se fait-il qu’il y ait des dépôts à Touba, alors que les textes l’interdisent ?

En tout cas, en ce qui nous concerne, aucun dossier de création de dépôt ne peut faire l’objet d’une autorisation au niveau de l’Ordre des pharmaciens. C’est un pari que nous avons gagné. Mais là où nous intervenons, dans le cadre de l’avis qu’il faut donner pour la création d’un dépôt, c’est dans des zones qui sont complètement dépourvues de pharmacie. Donc, ce problème ne peut être posé qu’au niveau de l’autorité politique, de l’autorité administrative. C’est à ce niveau que les gens doivent faire face à leurs responsabilités, pour pouvoir assainir ce milieu. Nous sommes dans un pays de droit. Il est du devoir de ceux qui ont en charge l’exercice de ce droit et de son application de faire preuve d’intégrité afin que les populations puissent se soigner correctement. Mais nous, nous ne pouvons en aucun cas régler cela. Les faits le démontrent davantage, aujourd’hui. L’existence de dépôts est la cause réelle de l’existence de ce marché. C’est de cause à effet. A défaut d’avoir une réaction objective de nos autorités politiques et religieuses, les citoyens doivent comprendre qu’ils n’ont aucun intérêt à aller vers ces médicaments.

Il y a également eu la restitution des produits saisis à Darou Mousty. N’est-il pas temps de régler définitivement cette question dans les villes religieuses ?

Nous sommes l’autorité professionnelle qui, en réalité, ne peut contraindre en rien l’autorité politique. Ce sont deux pouvoirs dissociés, mais qui devraient agir dans la complémentarité. Nous le regrettons. Parce que si on nous permettait de pouvoir intervenir et de dire à l’autorité de mener des actions contre ces actes qui ont des effets néfastes sur la santé des populations, le fléau pourrait être neutralisé. Maintenant, qu’est-ce qu’il faut dire ? C’est là où se trouve le problème. C’est de manière regrettable que je le dénonce.

Pour l’opération qui s’était passée à Darou Mousty, je me demande qui est-ce qui a pu autoriser la restitution de ces produits. Cela veut dire quoi ? Est-ce qu’on est en face d’une autorité tout à fait consciente de sa responsabilité de devoir garantir la santé de sa population ? Parce que nous sommes les plus habilités à devoir dire : voilà le bon médicament. C’est pour cela que nous sommes constitués en institution. Maintenant, si l’autorité se démarque de tout cela, pour mener des actions qui viennent perturber la stabilité de tout un système, c’est un problème. Je dis au président de la République qui se soucie de l’émergence de ce pays, il est important, à son niveau personnel, de s’entourer de toutes les informations, pour éviter toute action qui pourrait entraver cette ambition. N’importe quelle politique de santé qu’ils auront à initier, tant que la qualité du médicament n’est pas garantie, c’est peine perdue. Quand on parle de maladie, c’est par rapport au traitement et tous ses aspects.

Est-ce qu’il ne se pose pas un problème d’indépendance de cette profession ?

Mais oui ! En tout cas, à notre niveau, nous sommes bien organisés. C’est une mission pour laquelle nous sommes investis : assurer la sécurité de la profession. Mais cela ne peut se réaliser qu’avec le concourt de l’autorité. Parce que tout ce qui relève de sanctions et d’actions majeures n’est pas le propre de l’ordre en tant que tel. De ce point de vue, nous ne pouvons que l’interpeller par rapport à ses responsabilités. L’indépendance pose problème, parce qu’on est en train de remettre en cause le titre de propriété de pharmacie qui est son monopole.

Le Sénégal est considéré comme un pays de trafic de faux médicaments. Qu’en pensez-vous ?

Je pense qu’il est temps qu’on règle tout cela. La gestion du médicament n’est pas une affaire de nation. Elle est transversale, universelle. C’est une politique qui se mène partout, dans tous les pays du monde. L’ordre est affilié à des institutions africaines et à des institutions internationales. Ce n’est plus une politique qui est spécifique au Sénégal. C’est une politique internationale, universelle, la gestion du médicament. De ce point de vue, le Sénégal ne doit pas demeurer en reste et doit pouvoir s’aligner sur ce qui se passe dans les autres pays.

Nous avons les potentialités, les capacités qui doivent nous permettre de garantir un médicament de qualité. Je pense qu’aller vers des pratiques de ce genre nous ferait citer parmi ces pays qui encouragent le trafic de faux médicaments. Ce qui me dérange, dans tout cela, c’est le défaut de qualité de ces médicaments qui vont être consommés par les populations. Des gens qui doivent lutter contre la mort. Des gens qui sont dans le besoin de se soigner et à qui on offre des soins assez défectueux. C’est un crime organisé. Et de la même façon que les chefs d’Etat africains sont en train de s’organiser par rapport à la lutte contre le terrorisme, ils doivent le faire pour les faux médicaments. Parce que voilà des actions qui sont pires que le terrorisme, qui gangrènent et affectent toute une population. C’est une mort programmée.

VIVIANE DIATTA


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